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Réflexions en lisant « Quand le fascisme rêve de faire école » de Grégory Chambat

Un article sur le blog de Mediapart de desembuleur

La lecture du petit livre de Gregory Chambat sorti récemment dresse un état des lieux inquiétant surtout lorsque les comparaisons internationales mettent en perspectives les différents courants réactionnaires qui tous emploient les mêmes stratégies mais il ébauche aussi la possibilité d’une riposte qui relève de notre responsabilité collective et individuelle.

Quelques notions autour de l’idéal scolaire fasciste

Cela fait maintenant plusieurs années que le fascisme à l’école n’est plus un horizon menaçant mais une réalité étouffante. Les années Blanquer ont à ce sujet été un tournant évident vers une banalisation des principes, des thèses d’extrême-droite dans l’école.

Le livre de Grégory Chambat, Quand l’extrême-droite rêve de faire école (éditions du Croquant), est à ce sujet éclairant tout comme l’avait été celui de Laurence de Cock paru un an plus tôt sur l’affaire Freinet dans les années 30 (Laurence de Cock, Une journée fasciste, Agone). Il rappelle les grands principes du fascisme, principes très simples puisqu’ils peuvent se résumer ainsi : « l’ordre, l’ordre, l’ordre » et le programme pour arriver à ce très saint Graal est simple : de la discipline, de l’obéissance, du déterminisme social. Les ennemis sont très aisément identifiables, ce sont les attributs de la société démocratique et ouverte : l’égalité, l’émancipation et la laïcité.

L’égalité parce que ce concept généralement attribué à Rousseau amène à gaspiller de l’argent pour des enfants des classes sociales défavorisées et risque de faire contrepoids à la reproduction sociale. L’émancipation car cela amène réflexion et esprit critique et, en conséquence , de l’indiscipline. La laïcité parce que jamais l’instituteur ne pourra remplacer le prêtre pour ce qui est d’inculquer des principes moraux selon le mot d’un ancien président et que le sentiment d’appartenance nationale s’exalte mieux dans un cadre religieux simple, clair et, surtout, clos.

Alors, est-ce à dire que nous sommes un pays fasciste ?

Disons que le fascisme est un idéal jamais totalement atteint et que sur le chemin de cette quête il y a différents états d’avancement mais qui vont systématiquement dans le même sens et c’est ce que démontre le livre de Grégory Chambat à travers le développement des exemples du Brésil de Bolsonaro, de la Hongrie de Orban ou des États-Unis de Trump notamment. Ces noms peuvent de prime abord soulager le lecteur qui pourrait être tenté de penser « ah oui, on parle de ces pays là… Nous en sommes loin ! » Sauf que la lecture de ces exemples montrent au moins deux choses qui, elles, ne sont pas du tout rassurantes nous concernant.

La première est que dans tous ces pays ce sont les mêmes principes et les mêmes méthodes qui sont ou qui ont été à l’œuvre. La deuxième est que nous sommes bien sur le même chemin que le Hongrie ou le Brésil de Bolsonaro. Peut-être pas au même stade mais sur le même chemin, indubitablement.

Le fascisme, un long cheminement

Ce chemin est simple : paupérisation et contrôle des enseignant·es, contrôle des programmes et des esprits infantiles, primauté absolue du principe d’ordre, remise en cause des principes d’égalité. A chaque péage nous abandonnons un peu de ce qui a fait de notre pays une démocratie pour foncer sur la même autoroute que les Trump, les Orban et compagnie. Nous ne sommes tout simplement pas arrêtés à la même aire de repos mais après une pause pipi et un café, c’est sûr, on reprend la route…

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Le chemin vers le fascisme est toujours le même et nous sommes dessus…

Et depuis ?

Grégory Chambat ne doit pas être surpris outre mesure par la suite des événements encore qu’elle soit assez rare dans son style. En effet, Amélie Oudéa-Castéra a déjà remplacé le ministre communicant qui promettait une révolution par semaine dans l’éducation nationale et qui nous aura offert sa dernière révolution, son départ, comme la seule bonne nouvelle de son mandat, Gabriel Attal.

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A la base de la pensée réactionnaire est le mépris pour les enseignant·es et l’encadrement extrême de leurs pratiques. © Nico pour Touraine en luttes et alternatives

Le moins qu’on puisse dire est que le ton a été donné d’entrée par la ministre couteau-suisse au cv très limité en ce qui concerne l’Éducation avec des propos très insultants pour l’école publique que les gouvernements successifs dont elle est un maillon s’acharnent à détruire depuis de longues années. Elle semble bien partie (à moins qu’elle doive elle-même partir, d’ailleurs, du fait de la polémique permanente qui l’entoure – à raison – depuis son arrivée et qui semble s’auto-alimenter perpétuellement) pour ajouter une nouvelle pièce à l’édifice fascisant français avec un coup de projecteur horrifiant des pratiques éducatives qu’elle a choisies pour ses propres enfants : classes non-mixtes, éducation religieuse intégriste, protocole vestimentaire de deux pages pour les filles qui sont appelées à ne pas « provoquer les garçons » etc.

Gabriel Attal est aujourd’hui premier ministre et son discours de politique générale a offert toujours le même discours mêlant violence sociale, menaces envers les mauvais pauvres qui seraient les profiteurs d’un système bien trop généreux, militarisation avec la généralisation du Service National Universel, criminalisation de la jeunesse, le tout avec force propos infantilisants. tous les poncifs du genre débités sur un ton martial.

Nous poursuivons donc bien le chemin vers toujours plus de fascisme dans la société et – c’est le juste corollaire – dans l’école.

Mais alors, comment évite-t-on le pire ?

La partie finale du livre de Grégory Chambat soulage et engage. Non, tout n’est pas joué et l’ascension fasciste n’a rien d’irrésistible. Prendre conscience du phénomène est la première pierre à la barricade de la riposte. Il convient ensuite de s’engager et de faire du lien. D’aller à la rencontre des associations, des syndicats, des collègues. La loi immigration avec son lot de racisme et la tentative de passage en force du principe d’extrême-droite de “préférence nationale” a ouvert les yeux sur l’immédiateté du danger à de nombreux·ses militant·es et des collectifs rassemblant les associatifs, les syndicalistes, les politiques ont vu le jour partout permettant de créer du lien sur les réalités vécues et pouvant amener des échanges féconds dans les pratiques et les théories.

Les enseignant·es, leurs syndicats et les associations issues de l’éducation populaire doivent bien évidemment prendre toute leur place dans ce moment important qui peut permettre de reconnecter entre elle toute la France populaire, associative et syndicale.

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Le Collectif des Associations Partenires de l’Ecole d’Indre-et-Loire prend ses responsabilités

Et puis il faut proposer encore et toujours une autre manière de faire, d’imaginer, de vivre le réel. D’autres voies sont possibles permettant l’épanouissement de tou·tes, l’émancipation. Aller à la rencontre des collègues car ils et elles sont de plus en plus nombreux·ses à céder aux sirènes réactionnaires dans l’espoir de voir des conditions de travail et des conditions matérielles très dégradées s’améliorer (Gregory Chambat évoque le chiffre de 22% des enseignant·es ayant voté pour Marine LePen au second de la dernière présidentielle).

C’est en faisant du commun que l’on pourra contre-attaquer et remettre les valeurs d’émancipation, d’égalité, de laïcité (dans son sens originel bien sûr) en avant et afin que l’école redevienne le lieu de l’apprentissage de la vie en démocratie et des savoirs qui libèrent.

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