Elaborer un projet pédagogique, c’est anticiper ce que pourra être le cours, la séquence, la semaine ou le trimestre, c’est organiser les apprentissages en fonction d’un objectif pédagogique et donc en fonction des élèves et de ce qu’ils sont réellement, c’est donner du sens pour les élèves à ce qu’on va faire puisqu’ils et elles peuvent se projeter dans le travail à venir.
Certes, il existe une grande différence entre la simple planification des cours et le projet de longue haleine élaboré avec les élèves et qui suppose un investissement matériel et humain qui peut être considérable. Mais c’est pour moi le b-a-ba du travail d’enseignant, et j’imagine mal un-e professeur qui n’ait pas de projet. J’ai toujours dit à mes étudiant-e-s qu’un-e professeur sans projet était plus un robot qu’un-e enseignant-e.
J’ai personnellement, tout au long de ma carrière, en m’inspirant des diverses pédagogies coopératives, développé de manière permanente et mis en œuvre avec les élèves, en collège et en lycée, des projets pédagogiques, parfois jugés « fous » par mes collègues et surtout ma hiérarchie…
Aujourd’hui, cependant, plus que les « projets pédagogiques », c’est la « pédagogie de projets » qui est mise en avant, y compris par le ministère ; mais le grand nombre d’enseignant-e-s qui s’en réclament ne doit pas faire illusion, tant est répandue la confusion entre ces deux notions qu’il conviendrait pourtant de distinguer clairement.
La « pédagogie de projets », inspirée pour une large part des expérimentations du philosophe américain John Dewey au début du XXe siècle, est la démarche qui consiste à créer chez l’enfant, supposé avoir un désir inné de « donner, de faire, c’est-à-dire de servir », une « motivation » pour le travail scolaire en l’aidant à bâtir lui-même des projets pour « apprendre en faisant » (hands-on learning).
Cette démarche peut paraître séduisante par son apparence démocratique, son rejet de la contrainte comme de la compétition, sa volonté de partir de l’expérience de l’enfant pour le guider.
Mais dans le cadre scolaire, la « motivation » est, qu’on le veuille ou non, un conditionnement, visant à faire intégrer à l’élève, de manière acritique, que le travail scolaire est quelque chose d’agréable et répondant à ses désirs d’enfant ou d’adolescent-e. Comme l’ont expliqué les théoriciens de la motivation (Maslow, Herzberg, Apter,…), celle-ci suppose une possibilité de choix. Or en situation scolaire banale, l’élève est toujours en situation contrainte (assiduité, horaires, programmes, …).
Et, comme je l’écrivais ailleurs (1), de manière un peu provocatrice mais néanmoins assumée, « Avec mon chien, je pratique le “conditionnement opérant”, qui vise, en récompensant certaines activités et pas d’autres, à l’amener à sélectionner lui-même celles qui vont dans le sens que je désire ; mais le chien domestique est, par définition, un animal captif. Ce n’est pas le sort que je souhaite à mes élèves. »
La notion de « motivation » est pour moi à l’opposé de l’esprit critique que j’ai toujours cherché à développer chez les élèves, en leur disant « vous êtes ici parce que vous y êtes obligé-e-s, nous ferons des choses agréables et d’autres qui le seront moins, mais c’est la règle du jeu social dans cette micro-société que nous formons vous et moi »… Il est vrai que j’avais des élèves du second degré, et que c’était, sans doute, plus facile. Mais j’ai du mal à me convaincre qu’il est légitime de « motiver » des jeunes enfants à rester six heures par jour enfermés dans une salle de classe, le plus souvent assis, et qu’il n’y a pas quelque hypocrisie à imaginer que les plus grand-e-s vont bâtir « naturellement » un projet autour de tel auteur classique du programme quand ils et elles rêvent de musique ou de mangas.
Alors pendant trois décennies j’ai élaboré, avec elles et eux, de multiples projets pédagogiques … Mais, si les mots ont un sens, ce n’était pas de la « pédagogie de projets ».
1) Former sans déformer ni conformer, L’Harmattan, 2013, p. 74.