« L’école sans parti » se présente comme un mouvement qui vise à lutter contre la diffusion des idées du marxisme culturel et des études de genre dans le système scolaire brésilien. L’école sans parti accuse les enseignants d’endoctriner les élèves. De leur côté, les opposants à « l’école sans parti » font valoir que ces idées sont inconstitutionnelles. Elles s’opposent aux valeurs de la République brésilienne qui promeut la démocratie et la laïcité. Ce programme irait contre une éducation citoyenne qui constitue une finalité de l’enseignement public. Les opposants de l’école sans parti ont pris pour slogan : « non à l’école sans parti, oui à l’école démocratique ». Ils fustigent par ailleurs la pseudo-neutralité du mouvement de « l’école sans parti » qui masque les idées des courants conservateurs. L’extrait de texte ci-dessous montre comment le mouvement de « l’école sans parti » s’oppose à une autre conception de l’école : l’école citoyenne.
Traduction d’un extrait de la prise de position en date du 2 septembre 2016 de Moacir Gadotti, universitaire et président d’honneur de l’Institut Paulo Freire au sujet du mouvement de l’Ecole sans parti :
[…]
Eduquer par et pour la citoyenneté
En 1994, comme base des premières expériences d’éducation citoyenne, l’Institut Paulo Freire a systématisé les lignes fondamentales d’un projet d’éducation pour et par la citoyenneté – le projet de l’école citoyenne – qui accentue la co-responsabilité dans la gestion de l’éducation publique entre les pouvoirs publics, l’école et la communauté citoyenne. Ces idées ont gagné en force non seulement au Brésil, mais dans d’autres parties du monde.
Chaque école est unique, fruit de ses propres contradictions et luttes, mais elle ne sera réellement citoyenne que si elle s’allie et se solidarise avec les autres écoles. Pour cela, les Conseils des écoles ne demeurent pas isolés dans leur propre école, ils agissent également en étant organisés en interconseils […] L’autonomie ne signifie pas isolement. Pour que l’école soit réellement un auteur instituant et non bureaucratique, il était nécessaire de dépasser le localisme et le particularisme, et d’établir, avec autonomie, des relations de portées nationales et globales.
La plus grande ambition de l’Ecole citoyenne est de contribuer à la création des conditions pour le surgissement d’une nouvelle citoyenneté comme espace d’organisation de la société en vue d’une défense des droits et de la conquête de nouveaux droits.
Il me semble que c’est Paulo Freire qui a le mieux défini une éducation pour et par la citoyenneté quand durant un entretien pour la télévision éducative à Sao Paulo en 1997 à l’institut Paulo Freire, il a parlé de sa conception de l’Ecole citoyenne : « L’école citoyenne » a-t-il dit « est celle qui s’assume comme un centre de droits et de devoirs. C’est une école en cohérence avec la liberté. C’est une école de communauté, de camaraderie, qui vit une intense expérience de démocratie ».
L’école citoyenne freiriste est une école une et diverse, une école qui a une perspective d’union de la société et de l’éducation. Pour cela, c’est une école qui lutte pour le dépassement des inégalités et le droit à l’éducation. Unitaire ne signifie pas uniformisée. Au contraire, cela signifie qu’elle se ressent comme divers. Mais la diversité est démocratique seulement quand il existe des conditions de production sociale d’une existence égalitaire.
Ces dernières années, divers auteurs se sont consacrés à l’étude et à l’analyse de cette conception de l’école transformée en mouvement de renouveau pédagogique. [Il cite plusieurs ouvrages et explique que l’école citoyenne s’oppose à l’école néo-libérale].
Une des principales cibles du mouvement de l’Ecole sans parti est Paulo Freire et en particulier un de ses derniers rêves, l’école citoyenne. Si Lula est en ce moment la principale cible des élites dans le champ politique, Paulo Freire est la principale cible dans le champ de l’éducation.
Pour cela, je considère que le mouvement de l’Ecole sans parti est une réaction à l’avancée des diverses pratiques de l’Ecole citoyenne, de l’éducation populaire, d’une éducation pour et par la citoyenneté. C’est un affrontement qui dure déjà depuis plus de dix ans, mais qui est devenu plus visible quand la politique éducative de ceux qui ont mené le coup d’État contre Dilma commence à instituer l’Ecole sans parti comme l’axe structurant de sa proposition éducative.
L’éducation populaire citoyenne ne se réduit pas au champ de l’éducation informelle et ne doit pas être confondu non plus avec l’éducation en direction des populations les plus pauvres. Il s’agit d’une tradition riche et variée reconnue pour son caractère émancipateur, alternatif et participatif. Ce qui défini l’éducation populaire citoyenne n’est par l’âge des apprenants, ni leur classe sociale, mais l’option politique assumée dans la pratique éducative. C’est un processus qui se construit à la fois dans et hors de l’État. C’est pourquoi il peut et doit inspirer les politiques publiques de l’éducation.
Notre lutte […] vise à contribuer à ce que la société brésilienne prenne conscience du caractère réactionnaire de la proposition de l’Ecole sans parti et qu’elle la repousse. La démocratie doit prévaloir sur l’absurdité.
Dans un autre texte en date du 19 mai 2016, Moacir Gadotti présente l’expérience de l’école citoyenne :
L’auteur y fustige une autre modèle opposé à l’Ecole sans parti à savoir l’école néo-libérale dominée par la rationalité économique et instrumentale. Les évaluations internationales et les méthodes de l’éducation par les preuves sur la base d’expériences scientifiques sont alors l’horizon de l’enseignement.
Pour avancer dans la construction de l’Ecole citoyenne nous avons besoin de dépasser les modèles actuels instructionnistes de la formation des professeurs. Dans l’instructionnisme le savoir des professeurs n’est pas pris en compte. Les professeurs sont exclus de la thématique de la qualité de l’éducation. Ils n’ont pas leur mot à dire. Ce que l’on recherche, c’est la standardisation de la qualité, de l’évaluation, de l’apprentissage.
[…] Il s’agit de former pour et par la citoyenneté en vue d’une gestion d’un nouvel espace public qui conduit la société à faire entendre une voix plus active dans la formulation des politiques publiques et ainsi pouvoir participer au changement de l’État en vue de la création d’un Etat réellement démocratique. Nous ne pouvons pas changer les écoles d’aujourd’hui sans une nouvelle conception de l’État.
Le néolibéralisme a transféré dans la relation professeur-élève, à l’intérieur de l’école, la logique de rentabilité et de profit du marché. Cela cause des tensions dans les relations sociales et humaines. La relation entre professeur et élèves devient agressive quand elle reproduit les relations compétitives du marché parce qu’en prenant la forme du marché, l’école finit par reproduire les relations de production dominantes dans la société.
L’éducation ne peut être subordonnée aux exigences du marché. Nous avons besoin de substituer à ces relations marchandes de nouvelles relations et une culture de la non-violence. L’Ecole citoyenne s’insère dans la lutte pour la démarchandisation de l’éducation, pour l’affirmation du droit universel à une éducation émancipatrice, entendu comme une éducation pour la justice sociale. Sa référence est la citoyenneté et non le marché. […]
La participation citoyenne est un principe pédagogique, mais c’est également un droit humain. Paulo Freire, comme secrétaire municipal de l’éducation de la ville de Sao Paulo, a institué en 1989 une politique d’éducation aux droits humains, en valorisant le dialogue et la participation populaire, en repensant le curriculum scolaire. Un des axes basiques de sa réorientation curriculaire a été la participation sociale par la collégialité, en comprenant l’éducation aux droits humains comme une éducation par la citoyenneté. L’éducation par la citoyenneté est une éducation aux droits humains et vice-versa. L’éducation pour la citoyenneté, en cherchant à fortifier la participation et le contrôle de la société civile, encapacitera les personnes comme sujets humains.
Paulo Freire ne défendait pas n’importe quelle éducation dans les droits humains. Pour lui, « l’éducation aux droits humains était une éducation populaire ». Il la comprenait comme un projet politique de construction du pouvoir populaire. Il a montré, comme secrétaire de l’éducation, que c’était un processus qui se construisait, en même temps, dans et hors de l’État.
Le dialogue est la principale pratique de l’éducation aux droits humains. Mais le dialogue et la participation ne peuvent être appris que par la pratique du dialogue et de la participation. De là, l’importance du renforcement des conseils scolaires et de la gestion démocratique dans les écoles et de tous les conseils représentatifs dans la société civile, pour promouvoir la conscience des droits et des devoirs et amplifier le contrôle citoyen et la participation comme méthode de gouvernement. C’est cela que propose l’Ecole citoyenne.