Voilà deux champs qui ont du mal à se rencontrer dans leurs luttes. Lorsqu’ils sont liés comme dans la « pédagogie sociale », il faut bien reconnaître que c’est alors essentiellement hors de l’école qu’en est l’application, même si le chantier du même nom se réfère à la pédagogie Freinet. Involontairement ou volontairement l’école est exclue de ce champ d’expérimentations et de pratiques. Il est vrai qu’il est bien difficile d’y inclure l’école actuelle, ghettoïsée.
Pourtant la plupart des militants des mouvements pédagogiques sont aussi des militants sociaux, je peux même dire beaucoup d’enseignants quel que soit leur bord pédagogique, même si on entend très souvent « Nous ne sommes pas des travailleurs sociaux ! ».
En général les luttes sont qualifiées de sociales quand il s’agit de lutter contre les injustices sociales, l’intolérable (les « sans papiers », les « sans logement », les enfants roms, les discriminations et exclusions de tous ordres,…). Si la pédagogie se préoccupe du « comment les enfants apprennent à écrire-lire, mathématiser… » et qu’on en tire les conséquences, ce ne serait plus du social. Même sur Q2C, c’est distingué ! Comme si avec la même école, avec le même système éducatif, avec la même conception de la transmission des savoirs, on pourrait faire du social « durable » pour reprendre le qualificatif très à la mode. La « pédagogie pure » n’aurait rien à voir avec le social.
Certes, ce n’est pas la « pédagogie pure » qui va protéger les enfants roms, empêcher que d’autres arrivent à l’école le ventre creux, retrouvent la rue hostile, l’isolement à la sortie de l’école, les maltraitances…
Cependant :
Définition dans wikipedia : Dans une définition large de la notion du social, on peut l’entendre comme étant l’expression de l’existence de relations entre les vivants. J’aurais rajouté à cette définition « … de relations bénéfiques à chaque vivant » !
Or, qu’est-ce qu’ont démontré depuis des décennies ce qu’on peut regrouper sous l’expression « pédagogies modernes » ? Elles ont démontré que la construction de tous les outils langagiers s’effectuait essentiellement et nécessairement dans les interactions et dans les interrelations… sociales.
La « pédagogie pure », quand elle explore vraiment les conditions des apprentissages, aboutit à cette conséquence : l’école ne peut être qu’un espace social intimement lié au tissu social auquel elle appartient et sur lequel elle agit aussi. Parce que, qu’on le veuille ou non, l’école traditionnelle et sa conception des apprentissages influe fortement sur les comportements sociaux de son environnement, ce d’autant que cet environnement a été formaté par elle (exemple de la compétition qui n’a aucun fondement pédagogique).
Quand des pédagogies différentes ont pu s’inscrire dans une durée, il a toujours été noté une transformation des comportements sociaux de leur périphérie. Elles n’éliminent pas les injustices sociales, les malfaisances institutionnelles, mais celles-ci peuvent commencer à être appréhendées comme nuisibles à la collectivité et pas seulement à ceux qui les subissent. Ce qu’induisent ces pédagogies, c’est l’importance du collectif agissant dont elles, au moins, ont besoin.
Pour reprendre l’exemple des paysans biologiques (voir Le pédagogue et le paysan), une autre conception de l’agriculture (pas forcément sociale à l’origine) implique nécessairement une transformation des comportements, des relations et des organisations sociales ou se heurte à elles.
Peut-on alors être dans des luttes sociales sans être dans des luttes pédagogiques ? Et vice-versa évidemment. Peut-on cantonner les « pédagogos » dans le camp des « illuminés » et dans leur école qui n’aurait rien à voir avec le social ?
Ce qui est subversif, c’est la façon dont les enfants apprennent réellement et les conditions nécessaires pour cela et non pas les présupposés idéologiques dont on affuble les pédagogies qui ne se préoccupent que de cela.
Bernard Collot