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Le pédagogue et le paysan

S’il y a bien trois fonctions essentielles permettant à l’espèce humaine de survivre, ce sont bien se nourrir, se mettre à l’abri et éduquer sa progéniture de telle façon qu’elle puisse s’insérer dans le monde qu’elle a aménagé, normalement pour mieux survivre. Comme pour les autres espèces sociales (fourmis, abeilles…), ces fonctions sont assurées collectivement. On pourrait dire que l’espèce humaine contrairement aux autres, prise dans une logique d’extension exponentielle, n’a pas su trouver (ou pas encore trouvé), les points d’équilibre assurant sa pérennité, mais c’est une autre histoire.

J’ai toujours été frappé par le parallèle entre la fonction se nourrir (agriculture) et la fonction éduquer. Toute deux résultent en des actions dans le domaine du vivant.

L’agriculture en tant que système remonte à la nuit des temps. L’éducation érigée en système est beaucoup plus récente. Les systèmes éducatifs de masse sont nés au moment ou l’agriculture s’engageait dans l’ère industrielle. A partir de cet instant leur évolution a été semblable, conduite par la même logique.

Entre autres et pour faire simple, l’éradication de la polyculture d’un côté, de l’hétérogénéité de l’autre (et des petites structures agricoles ou scolaires) ; taylorisation, quotas, scientificité des modes de production et planification des productions d’un côté, programmes, évaluations, pourcentages de réussite, de l’autre ; multiplication des filières dans les deux cas pour aboutir à la même impasse : fragilité extrême des “productions” (vaches folles, échec scolaire, violence…), consommation exponentielle d’énergie pour compenser les effets (PAC, réseaux d’aide…), et perte totale de sens pour ceux qui ont à faire fonctionner le système.

Dans ces systèmes cloisonnés à l’extrême, chacun n’étant qu’un maillon à qui échappe à la fois la raison de son action comme sa finalité. La finalité de l’agriculture n’est plus nourrir l’humanité mais nourrir la machine économique et financière, celle de l’éducation n’est pas la construction d’êtres sociaux, mais de remplir les cases des systèmes éducatifs elles-mêmes devant alimenter la même machine économique devenue une entité.

Dans cette logique et fuite en avant, agriculture et éducation conduisent aux mêmes excès et aux mêmes conséquences :

Par exemple la culture hors sol ou la stabulation apparaissent comme plus “rentables” mais conduisent à un besoin d’énergie et de moyens disproportionnés aux résultats, dépendant étroitement de la fiabilité de l’infrastructure qu’il a fallu créer (industrie agro-alimentaire..). Le moindre dysfonctionnement de cette infrastructure retentissant sur la totalité de l’agriculture (vache folle (1)) et conduisant à des solutions totalement irrationnelles comme l’abattage de milliers de bêtes, inutile quant à l’éradication d’une épizootie, aberrante quand la moitié de l’humanité souffre de la faim, mais bien utile à la sauvegarde de l’entité économie qui n’a plus comme finalité qu’elle-même (1). L’apparente “rentabilité” d’une production industrielle est même aujourd’hui reconnue comme ne répondant pas aux besoins (qualité alimentaire, empoisonnement aux pesticides…).

La culture de l’homme (éducation) a les mêmes caractéristiques productivistes : l’éducation hors contexte en stabulations (dès 2 ans enfants entassés dans les cages vides des écoles) différentes suivant les “produits” à traiter ou obtenir, pour aboutir à une labellisation (bac), nécessite une infrastructure sans cesse plus compliquée et de moins en moins efficiente mais dont dépend tout le système (l’industrie de l’édition scolaire correspondant aux farines animales par exemple). Les maladies scolaires (violence, illettrisme,..) ayant la même origine que les épizooties. On n’abat pas le cheptel, mais on ne sait pas quoi faire d’un rebus de plus en plus grand. Si les deux systèmes nourrissent une partie de l’humanité, ils la nourrissent mal et n’en nourrissent que la partie privilégiée.

Les deux systèmes devenant des machines dont il n’est plus possible de rectifier la course lorsque l’on s’aperçoit enfin de leurs méfaits : réforme impossible de la PAC, réformes éducatives impossibles à appliquer.

Or dans les deux domaines, éducation et agriculture, sont nées les mêmes réactions de survie, presque au même moment. D’un côté l’agriculture biologique, de l’autre les pédagogies actives ou Freinet. Et aux mêmes endroits : dans les petites structures multi-âges scolaires (pour une école du 3ème type) ou de polyculture agricole. Et selon le même processus de tâtonnement, de pratiques intuitives, d’échanges. Avec les mêmes ruptures qu’il y a eu à faire avec les représentations généralement admises. Et selon les mêmes fondements : l’acceptation de la complexité, le respect des processus biologiques, la mise en avant de l’importance du terrain dans lequel s’effectuent les croissances (végétales, animales ou humaines). Et avec les mêmes conséquences en ce qui concerne les comportements qu’elles supposent en aval : une autre conception des relations et des organisations sociales ou économiques. Et avec les mêmes accusations dont elles ont été l’objet : archaïsme, non scientifiques, non rentables

Pratiquement au même moment, pédagogie Freinet et agriculture biologique commencent à être reconnues comme pouvant être une solution (suite aux épidémies de vaches folles ou de violence et d’échecs scolaires). Mais dans les deux cas, elles se heurtent aux représentations et au système en place. Si l’on tente de faire une “agriculture raisonnée” ou des “pédagogies différenciées”, cela reste dans le cadre des macrostructures et des modèles industriels ou urbains, et l’éradication des seuls endroits où une autre conception est possible et mise en œuvre (classes uniques, petites exploitations) se poursuit inexorablement.

Qu’il s’agisse des CREPSC ou de la Confédération Paysanne, leur lutte et le fondement de cette lutte sont rigoureusement les mêmes. Les uns comme les autres ne défendent pas des méthodes particulières mais les conditions qui permettraient de faire et d’être autrement. Il serait urgent que paysan et éducateurs travaillent ensemble.

(1) Article paru dans la revue “Alternatives rurales” – N° 79 – été 2001. C’était au moment de l’épizootie dite de la vache folle.

Bernard Collot
http://education3.canalblog.com

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