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« Nous n’avons pas besoin et nous ne voulons pas d’un petit chef ! »…

L’annonce par le président de la République d’une “expérimentation” sur le recrutement des enseignant·es par les directeurs d’école et l’examen de la loi Rilhac, adoptée en première lecture au Sénat en mars, et qui devrait repasser devant l’Assemblée nationale réunie en session extraordinaire à partir de la fin du mois de septembre, raniment le souvenir de la fameuse mobilisation contres les “maîtres directeurs” de l’hiver 86-87.

Nous proposons ici un petit retour sur cette mobilisation inédite :

“Aux vacances de la Toussaint [1986], une rencontre nationale des collectifs anti-inspection, organisée à Marseille, s’intéresse de près au projet de statut de directeur d’école concocté par Monory1. L’automne et le début de l’hiver 1986-1987 sont marqués par le mouvement des étudiants (projet Devaquet2) et des cheminots, mobilisés à travers des coordinations de lutte. Le 12 janvier 1987, une quinzaine d’instituteurs parisiens se lancent dans une grève reconductible contre le projet de statut de maître-directeur. Deux semaines plus tard, ils sont quelques centaines, militants du Sgen (CFDT), de l’École émancipée et du collectif, mais surtout jeunes non-syndiqués. Ils se réunissent le matin en assemblée générale d’arrondissement et envoient des délégués chaque soir à la coordination parisienne. Une grève nationale, à l’appel du SNI, est prévue pour le 27 janvier, elle touche 75 % de la profession alors que dans les départements, les actions, les manifestations, les occupations d’inspections académiques se multiplient. Dès le 2 février, des grèves reconductibles ou tournantes sont déclenchées un peu partout. Le 4 février, à la manifestation parisienne, la moitié du cortège défile derrière la banderole de la Coordination. À la fin de la semaine se tient la première Coordination nationale, représentant les coordinations d’un tiers des départements. Elle appelle à la grève la veille et le lendemain de la manifestation nationale du SNI (11 février). Ce jour-là, plus d’un instituteur sur quatre est en grève à Paris, une mobilisation inédite depuis 1968. Les représentants de la Coordination nationale des instituteurs en lutte, après un mois de grève, sont intégrés au carré de tête (mais les coordinations départementales sont reléguées en queue de cortège).

Dès lors, le SNI reprend la main (avec la proposition d’une « grève au travail » où les personnels sont invités à verser une partie de leur salaire pour financer une action « médiatique » !). Ce n’est pas seulement l’ampleur exceptionnelle de ces semaines de mobilisation, ni même leur radicalité, qui mérite d’être soulignée, mais bien leur exigence anti-hiérarchique, tant dans les revendications que dans l’organisation du mouvement : « On comprend que, pour beaucoup d’instituteurs, le thème anti-hiérarchique de la mobilisation ait été jugé indissociable de sa forme anti-institutionnelle. Pour ne pas être “sous la coupe” d’un “petit chef”, ni “d’une direction syndicale”, il s’agit de savoir prendre ses responsabilités3. » Dans un secteur jusque-là encadré par la puissante FEN, l’affaire n’est pas mince. D’ailleurs les appareils sauront mettre un terme à cette effervescence, non sans contribuer à la défaite du mouvement. Jamais véritablement appliqué, le décret sera abrogé deux ans plus tard. Dans la foulée, les collectifs « contre l’inspection et la notation » se transformeront en collectifs anti-hiérarchie, prolongeant le cri de dizaines de milliers de manifestants : « Nous n’avons pas besoin et nous ne voulons pas d’un petit chef ! »

Apprendre à désobéir, petite histoire de l’école qui résiste, Laurence Biberfeld & Grégory Chambat, éditions Libertalia, collection N’Autre école, 1ère édition 2013.

1 René Monory (1923-2009). Ministre de l’Éducation nationale de 1986 à 1988.

2 Alain Devaquet (1942). Ministre délégué auprès du ministre de l’Éducation nationale, chargé de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, du 20 mars 1986 au 8 décembre 1986. Son projet de réforme des universités repose sur le développement de la sélection, l’augmentation des frais d’inscription, la fin des diplômes nationaux, une université à deux vitesses. Fin novembre-début décembre 1986, il doit faire face à un large mouvement de contestation. Des centaines de milliers de jeunes manifestent contre son projet. Le 6 décembre, Malik Oussekine décède, battu à mort par la police ; Alain Devaquet décide de présenter sa démission. Le 8, Jacques Chirac annonce qu’il retire le projet de loi et qu’il accepte la démission du ministre délégué à la Recherche et l’Enseignement supérieur.

3 Geay Bertrand, « Espace social et “coordinations” », in Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 86-87, mars 1991, p. 2-24.

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