[**Introduction générale:*]
Nous réfléchissons depuis longtemps à nos modalités de « gouvernance », non pour céder à une quelconque mode ou à l’avancée des techniques de management , voire de coaching dans les secteurs sociaux ou éducatifs, mais parce qu’il importe que nous réfléchissions à notre manière d’agir, de prendre des décisions, de définir des buts , de gérer les inévitables conflits, et pouvoir définir et exprimer la manière que nous avons de nous diriger.
Nous partageons avec tout le champ de la Pédagogie Sociale l’exigence de l’isomorphisme , à savoir que notre « gouvernance » doit déjà réaliser en petit ce que nous visons en grand, mais qu’elle doit aussi être mise à l’épreuve de la réalité, des difficultés et des crises.
Nous ressentons aussi une grande nécessité de sortir d’un brouillard conceptuel qui nous imposerait comme équivalents, bons en eux mêmes et « allant de soi » des concepts « sympathiques » , comme « non directivité », « collégialité », « transparence », « participation », et l’emploi jusqu’à plus soif de l’adjectif « démocratique ».
Nous savons que la Pédagogie sociale n’est pas une « pédagogie Nouvelle », qu’elle rompt avec le courant de l’Education Nouvelle; et même si elle a des bouts d’histoire en commun, ce courant ne saurait adopter, sans discuter, la non directivité rogérienne, la « liberté » à la manière de Summerhill, ou même l’idéal d’autonomie tel que le voyait Montessori.
De même la proximité de la Pédagogie Sociale avec les pédagogies libertaires ne sauraient effacer la diversité et parfois les contradictions qui traversent ce dernier courant. En effet, la Pédagogie Sociale ne tourne pas le dos à toute forme d’institution, de fondation, d’organisation; et il est important de définir où se situent toutes ces différences.
A titre personnel , je (Laurent) retire de la longue pratique de la, vie de l’association, de son organisation, de son développement , de ses difficultés, et de l’expérience qui me semble en ressortir, quatre caractéristiques de notre propre modalité de fonctionnement, et de gouvernance de cette organisation. On peut les nommer, « Appropriation », « Clarté », « Directivité » et « Transmission ».
Il reste à les définir; c’est l’objet de ce texte et des suivants. [*I Appropriation: l’appropriation collective contre la participation*] Une des bases de la Pédagogie Sociale est que nous commençons par nous autoriser à agir plutôt que de rechercher au préalable des autorisations, par définition toujours hasardeuses. C’est presque comme une attitude dans la vie, une tendance à se demander d’abord « Pourquoi pas? », plutôt que « Pourquoi? » . Cela part d’un constat qu’il est toujours plus libérateur d’inverser la charge de la preuve et plutôt que de prouver la possibilité d’une chose, renvoyer à celui qui la croit impossible, la charge de le prouver. Face au travail que toute preuve demande, face à la difficulté si commune d’aller au bout de ses croyances , on constate que ce mode de fonctionnement rend l’initiative sociale, nettement plus praticable. Il en va de l’autorisation préalable , comme de la participation; celle ci ne devrait pas être un dogme comme elle l’est aujourd’hui, au risque de n’être qu’une valeur incantatoire, qu’un volet obligé mais négligé de tout projet, de toute action. Si on attend de la participation, un assentiment préalable à ce qui n’est pas encore commencé; si on s’en fait une idée telle que le recueil des opinions initiales, des représentations de chaque acteur, alors on milite pour un monde qui ne changera jamais. La Pédagogie Freinet nous apprend que la pertinence des choix, des avis , des décisions et délibérations individuelles des « participants » à une action, ne devrait dépendre que de la participation effective au travail de ce qui se fait . Pas de décision, sans action, pas d’avis, sans implication. L’opinion des uns et des autres , si elle ne veut pas se réduire à des influences et stéréotypes devrait toujours s’inscrire soit dans l’expérience de vie (ce que j’ai connu, ce que j’ai traversé, ce qui m’a touché, ce qui m’a impacté, modifié, transformé) , soit dans le « Travail » (l’effort de production, la confrontation à la matière, à la difficulté, à la durée, l’exigence de transformer une réalité ou environnement inhospitalier). Si la participation n’est que représentation, délégation, opinion, … elle n’est rien, ou en tout cas rien de nouveau. Il y a peu de chance qu’il en ressorte quelque décision que ce soit de changer l’ordre des choses, ou une réalité sociale, injuste ou inacceptable. Pire , cette conception de la participation, favorisera toujours ceux qui ont une ambition personnelle, contre un intérêt collectif, et tous ceux qui font allégeance aux puissants, voire à ceux qui organisent cette « participation ». Il ressort de notre expérience qu’en Pédagogie Sociale, nous devons nous défier du concept de « participation », pour affirmer à sa place celui « d’appropriation collective ». L’appropriation collective, permet seule de faire groupe, de faire communauté, autour d’un domaine défini dès lors comme commun. Il ne s’agira plus de débattre de choses extérieures, mais de réalités dans lesquelles on s’implique; le principe d’appropriation collective ré-interroge tout ce qui devrait être commun, mais qui dans la réalité nous est retiré, interdit, ou administré sans nous. Il s’agit de faire « ‘nôtre » tel espace qui était dit public ou collectif, mais qui en réalité était étranger et froid. Il s’agit de faire notre telle ou telle institution, depuis la crèche, la bibliothèque, l’école ou le Centre Social qui était ouverte au public, mais dont la raison d’être , comme son mode de fonctionnement, restent radicalement inaccessibles. Il s’agit de faire nous, de faire collectif autour d’espaces et d’institutions communes, ce qui suppose un double mouvement: – reconnaître comme légitimes et à pied d’égalité , l’intégralité des acteurs concernés qu’ils soient enfants, adultes , professionnels ou « usagers », – reconnaître comme illégitime l’administration « par le haut » , qui échappe ainsi au groupe constitué. Chacun de ces préalables représente bien entendu une difficulté qui est d’ailleurs bien plus mentale que réelle; curieusement, il n’est pas sûr que le premier mouvement ne soit au fond pas plus difficile à faire admettre que le second var il remet en question les divisions sur lesquelles nous avons fondé la représentation de notre participation à tout ce qui est public. C’est bien parce que « l’Appropriation » est difficile, qu’elle n’a rien de spontané ; c’est par sa pratique, par son exemple, par son expérience que nous pourrons l’aborder, en commençant par les « petites choses », les bas d’immeuble, la rue , la grille et le devant de l’école;.. avant d’entrer. [**A suivre dans les prochaines KroniKs: [**II Clarté : la Clarté contre la transparence III Directivité: Directivité contre dirigisme IV Transmission: Transmission contre communication*]*] Lire la suite http://recherche-action.fr/intermedes/2014/11/