Poisseuse et ampoulée, la tribune livrée au Monde par Souad Ayada illustre une nouvelle fois la dérive d’une laïcité scolaire qui n’en finit pas de payer un lourd tribut à sa récupération par les milieux identitaires et racistes de tout bord.
A la remorque de son ministre de tutelle, la présidente du CSP (Conseil supérieur des programmes) déroule autour du foulard des mères accompagnatrice tous les poncifs, tous les fantasmes que le sujet autorise depuis tellement d’années. Partant des propos tenus par Blanquer (« le voile n’est pas souhaitable dans notre société »), elle les prolonge par un sophisme d’anthologie qui fait jeter un doute sur sa qualité affichée de docteure en philosophie : que dirait-on – explique-t-elle – d’un « contradicteur hypothétique » qui soutiendrait la thèse inverse : « le voile est souhaitable dans notre société » ? Car il va de soi, pour Ayada, qu’accepter le libre choix d’un certain nombre de femmes équivaut à vouloir l’imposer à toute la société. Difficile de faire pire au Café du commerce.
Et de se lancer dans un laborieux argumentaire tendant à opposer « la norme et le droit », qui, de fait, autorisent le voile, aux « valeurs et principes » (i.e les valeurs et les principes d’Ayada et ceux d’une certaine France) qui devraient les faire interdire, pour arriver à « une neutralisation du religieux comme tel qui a pour fin le recul de sa visibilité et sa sortie hors de la sphère publique ». A quelques jours d’intervalle, Ayada développe sur la laïcité les mêmes contrevérités que Le Pen ; curieux… Contrevérités pourtant largement mises à mal par l’histoire de la laïcité comme par le droit. Que ce soit à travers l’action de Jules Ferry comme ministre de l’Instruction publique qui s’est toujours bien gardé de vouloir heurter les convictions religieuses des familles, que ce soit dans les principes affichés par la loi de 1905 qui garantit la liberté de conscience religieuse et la non-intervention de l’état en la matière, que ce soit dans toutes les déclarations solennelles, nationales et internationales, relatives aux droits de l’homme, jusqu’aux plus récentes, la laïcité exclut toute intervention des pouvoirs publics pour limiter la religion à la sphère privée.
Surtout, comme c’est le cas avec ce débat nauséabond sur le voile, quand cette exclusion se focalise sur la religion musulmane.
Ce n’est pas la première fois que la présidente du CSP se laisse aller publiquement à ses obsessions islamophobes – et au passage, dépasse largement le cadre de ses attributions : voir par exemple un entretien à Causeur dans lequel elle dénonçait la « haine de la France » perceptible dans « une partie des élites et des médias », une société qui ne peut se construire, ajoutait-elle, sans « relation charnelle à un pays et à une histoire » ou encore son audition devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale (24/01/2018) au cours de laquelle elle réduisait l’enseignement de l’histoire de l’Islam en collège à une concession démagogique faite aux populations des banlieues.
Mais dans cet entretien au Monde, Ayada franchit une marche supplémentaire dans le sordide : « L’Islam ou plutôt sa visibilité dans l’espace social au travers des femmes voilées, revient au-devant de la scène, dans un contexte où il a partie liée avec une autre visibilité qui fait horreur, celle des crimes terroristes (…) ». Femmes voilées, islam, terrorisme : par l’intervention publique de la présidente du Conseil supérieur des programmes, cet amalgame récurrent d’une rhétorique propre à la fachosphère fait aujourd’hui figure de discours quasi officiel à l’Education nationale. Dans un même ordre d’idées, un même registre de parole décomplexée, dans une chronologie qui ne doit rien au hasard, hier, en séance publique du Sénat, un parlementaire d’extrême-droite se lâchait sur les migrants à travers une formule dont, même avec un peu de recul, il ne se sent absolument pas déshonoré : « les migrants d’aujourd’hui sont les terroristes de demain »… Comme Ayada se lâche sur les mères de famille voilées.
En signant sa tribune comme présidente du CSP et non à titre personnel, Ayada engage bien évidemment la responsabilité d’un rouage essentiel de l’Education nationale, chargé de mettre en œuvre, à travers les programmes officiels, des principes, des valeurs, censés inspirer la politique éducative des prochaines années. Dans ces conditions, quelle peut être aujourd’hui la légitimité d’un organisme (et d’un ministre qui en a nommé la présidente) qui se fait, sans état d’âme, la caisse de résonnance d’une logique politique (et donc éducative) ouvertement raciste ?