Après la lecture des quatre mesures[1] de Jean-Michel Blanquer pour bâtir l’école de la confiance pour la rentrée de 2017, publiées le 13 juin. Je me suis arrêtée sur la première mesure « Dédoubler les classes de CP en REP+ ».
« Pourquoi dédoubler les classes de CP en REP+ ? »
« Il faut agir à la racine pour combattre la difficulté scolaire, c’est-à-dire dès les premières années des apprentissages fondamentaux (CP et CE1). À la rentrée 2017, le choix est de concentrer l’effort là où c’est le plus nécessaire : dans les classes de CP des REP+. L’objectif global dans lequel s’inscrit cette mesure est “100 % de réussite en CP” : garantir, pour chaque élève, l’acquisition des savoirs fondamentaux – lire, écrire, compter, respecter autrui. »
Eh bien, avec « garantir, pour chaque élève, l’acquisition des savoirs fondamentaux – lire, écrire, compter, respecter autrui. », les inégalités scolaires ont de bons jours devant elles !
L’accès aux connaissances qui donnent sens aux savoirs opérationnels et permettent de comprendre le monde et d’y prendre place, ce n’est pas pour l’enfant de REP +, il n’en a pas besoin ! Sa voie est toute tracée : être « enseigné » de savoirs opérationnels, être « civilisé » pour accepter respectueusement les injustices qu’il découvrira tout au long de ses études – courtes bien sûr – et de sa vie professionnelle.
Ce retour aux fondamentaux opérationnels rendrait possible les pratiques pédagogiques idéalisées de l’enseignement de l’École républicaine du 20e siècle qui permettaient aux enfants de lire, d’écrire sans fautes, de débiter la suite numérique, d’effectuer les quatre opérations, de réciter quelques dates et récits d’histoire, de reproduire des cartes de France… et d’écouter quotidiennement des leçons de morale pour construire un citoyen respectueux des lois – qu’il n’a pas besoin de connaître, mais qu’il ne doit pas ignorer.
On oublie bien sûr que ces acquis récompensés par le certificat d’études primaires (CEP) ne concernaient pas tous les enfants.
« On peut estimer à seulement 25 % la proportion d’une classe d’âge qui obtient le certificat de fin d’études dans les années 1880, au tiers dans les premières années de l’entre-deux-guerres et à presque la moitié juste avant la Seconde Guerre mondiale. La proportion de lauréats du certificat de fin d’études primaires ne dépassera jamais 55 % d’une classe d’âge : c’est la proportion actuelle de lauréats d’un baccalauréat général ou technologique », précise Claude Lelièvre dans un article du Monde (21 août 2016).
De plus, pour de nombreux enfants, les études se terminaient avec le CEP qui représentait le bagage minimum opérationnel pour participer à la vie économique et citoyenne.
Est-ce donc ce qui est visé aujourd’hui pour les enfants de REP et de REP + ?
Quant au « respect d’autrui », limiter ainsi l’éducation à la citoyenneté élimine tous les droits de l’enfant pour ne se centrer que sur ses « devoirs ». La participation et l’expression des enfants sont ainsi balayées d’un revers autoritaire où seule la parole de l’adulte est reconnue. Celle de l’enfant n’est sans doute que du bavardage qu’il faut réprimer et canaliser pour ne la réserver qu’aux réponses aux interrogations du professeur !
Et pourquoi éduquer un enfant, un jeune à ses droits si un projet de société ne souhaite pas qu’ils les utilisent une fois adultes ?
Et pour ce gouvernement, la participation citoyenne n’est certainement pas attendue des jeunes et des adultes sur les territoires populaires – ou pas !
« L’enjeu majeur c’est la qualité de la pédagogie déployée dans ces classes »
« La qualité de la pédagogie » est sans doute celle qui était utilisée dans les classes de l’école républicaine idéalisée par les penseurs de l’éducation qui inspirent le gouvernement ?
Par exemple pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture l’enseignant devra-t-il utiliser les méthodes syllabiques, voire phonétiques, la répétition collective de syllabes isolées, la lecture et l’écriture de phrases sans sens, mais qui scandent les syllabes, la rédaction de petits textes avec ce que l’élève a mémorisé… ?
Et pour la langue orale et le vocabulaire, devra-t-il instituer la répétition collective d’expressions, de mots avant que les élèves les apprennent par cœur pour les restituer dans des exercices ?
On peut imaginer la même « qualité pédagogique » pour le calcul basée sur la répétition, l’apprentissage par cœur, et la résolution de petits problèmes d’application.
« Les professeurs bénéficieront d’une formation adaptée à ce nouveau contexte d’enseignement. »
Qui ? Des experts des think tanks, instituts, fondations… et autres chercheurs inspirateurs de la politique éducative ou tout simplement une formation à distance avec quelques bonnes vidéos dans des classes validées.
Beaucoup d’inquiétudes pour ce projet qui en induiront d’autres en REP.
Les CP en 2017, les CE1 en 2018 et après ?
Un projet d’éducation prioritaire centré sur les seuls fondamentaux opérationnels pendant que dans les écoles des autres territoires, l’accès aux autres fondamentaux (ceux qui permettent de comprendre et de penser le monde avec toute sa complexité, de se projeter dans la société…) sera possible.
La « qualité » émancipatrice de la pédagogie n’est certainement pas prévue dans ce déploiement !
Les autres propositions pédagogiques comme la classe de CP/CE1 qui réunit les CP et les CE1[2] ne sont pas entendues, voire rejetées sur le terrain. Pour constituer une classe de 12 CP, certaines écoles voient leur projet de constitution de classes refusé par l’inspection.
Et pourtant, deux ans pour apprendre « à lire, à écrire, à compter », comprendre le monde et assurer la suite du chemin scolaire, ce n’est pas rien dans la vie scolaire d’un enfant !
Mais la « qualité » émancipatrice de la pédagogie n’est pas envisagée.
Petit à petit, la « qualité » pédagogique souhaitée en éducation prioritaire sera-t-elle étendue à toutes les écoles ?
Le ministère de l’Éducation nationale ne redeviendrait-il pas celui de l’Instruction nationale ?
Beaucoup de questions !
Mais elles traduisent les inquiétudes d’une pédagogue portant les valeurs et les principes de l’Éducation nouvelle et qui n’a pas confiance dans le projet d’école du ministre.