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Via le site de L’éducateur équitable
Cela fait plusieurs semaines, voire plusieurs mois, que je n’ai pas réussi à écrire sur mon quotidien. Manque d’inspiration ? Forme de résignation ? Découragement ? Peut-être un peu tout ça à la fois. Suivre l’actualité éducative m’est devenu pénible. J’ai l’impression de vivre une boucle temporelle qui me ramène constamment au même point, au même constat. Le ministère Blanquer n’a fait qu’accentuer ce découragement et la colère qui en a découlé. Le Ministère de l’éducation est une chose publique trop importante pour le laisser entre les mains de « bonimenteurs ». Comme le chantait Kent dans sa chanson Les vrais gens : « Les vrais gens se font piller le cœur par des bonimenteurs ». J’ai aussi cette triste impression de me faire piller le cœur, de me faire piller mes engagements, de me faire piller mes idéaux, de me faire piller tout ce pourquoi je me suis engagé dans ce métier.
Mais qui a envie que ça change ? Ce qui est triste, c’est que cette situation d’immobilisme dans l’Education nationale semble convenir à beaucoup. Nous vivons une sorte de guerre de position où chacun se retranche dans sa tranchée avec ses idées et ses certitudes. Chacun jouant son propre rôle et sa propre partition, sans se soucier de la figure d’autrui. Comme le faisait remarquer Tolstoï dans Guerre et Paix, les intérêts particuliers priment très souvent sur les intérêts généraux : « Nous avons cette impression parce que nous ne saisissons du passé que les intérêts généraux de l’époque et perdons de vue la multitude des intérêts personnels des individus. Or ces intérêts individuels ont sur le moment une importance tellement plus grande que l’intérêt général qu’ils empêchent de se rendre compte de celui-ci (on ne le remarque même pas). La majorité des gens de cette époque ne prêtait aucune attention à la marche générale des événements, étant uniquement préoccupée de leurs intérêts particuliers »1. Cette réflexion pourrait parfaitement s’adapter au domaine éducatif. Cette guerre scolaire qui n’en finit pas entre les tenants d’un élitisme républicain méritocratique et les partisans d’une école plus juste produit des porte-paroles dans chaque camp. Ces derniers en portant la parole du plus grand nombre en profitent aussi pour défendre leurs intérêts particuliers et se construire un personnage public. Ils deviennent des porte-parole institués avec le risque que la parole soit parfois confisquée et que des acteurs agissants soient « invisibilisés ». Fernand Deligny (encore lui !) se méfiait beaucoup des institutions. En effet, comme l’écrit Michael Pouteyo dans sa thèse consacrée à Deligny : « Opposée à la tentative, l’institution se marque avant tout par sa propension à assigner les individus à des places, des fonctions, des façons de faire qui reviennent hors du temps et fonctionnent comme des automatismes. L’institution, reprend souvent Deligny, c’est avant tout ce qui est dedans et qui opère sur lui de la sorte : « C’est vous dire, que peut-être que l’institution, ce que j’appelle quelquefois le dedans, le « c’est là que ça se fait », dégageait pour moi un champ magnétique qui me repoussait, ou plutôt me maintenait à distance, et je crois bien que c’est le ON d’institution, le ON y va » »2.
L’image que notre institution donne à voir apparaît désastreuse. Sur le terrain, les professionnels semblent fatigués. Fatigués de devoir se battre contre une institution qui ne leur permet plus d’exercer correctement les missions pour lesquelles ils se sont engagés. Fatigués par l’écart grandissant qu’il y a entre les objectifs fixés par la Nation à l’Education nationale et leurs mises en œuvre sur le terrain qui peinent à se réaliser.
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