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Macron, réarmement, uniforme, Buisson… et les pédagogues anarchistes.

Ne faut-il pas être doté d’une certaine épaisseur de vulgarité intellectuelle pour en appeler au « réarmement civique », à l’uniforme et, simultanément au pédagogue Ferdinand Buisson, prix Nobel de la paix 1927, lequel fit appel pour ses grands projets pédagogiques à deux militants anarchistes bakouniniens membres de l’Association internationale des travailleurs (AIT) ?

Lien de l’article sur le Club de Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/nestor-romero/blog/090124/macron-rearmement-uniforme-buisson-et-les-pedagogues-anarchistes

Ferdinand Buisson confia, en effet, la direction de l’orphelinat de Cempuis, auquel il tenait tant, à Paul Robin, militant et pédagogue anarchiste, membre de l’AIT à la scission de laquelle il participa, se situant au côté du « libertaire » Bakounine contre l’ « autoritaire » Marx.

Collaborateur du Dictionnaire pédagogique, grand œuvre de Ferdinand Buisson, celui-ci le nomme inspecteur de l’enseignement primaire et lui confie l’orphelinat de Cempuis. Là il met en pratique une pédagogie, c’est-à-dire un mode de vie dans l’école, qu’il a théorisé comme « éducation intégrale » se donnant pour objectif la réduction, autant que faire se peut, de la dichotomie intellectuel/manuel, d’une part et, d’autre part l’institutionnalisation de la mixité ou « coéducation des sexes » de sorte que Cempuis est la première école où filles et garçons vivent et étudient ensemble ce qui, sous la pression d’une église outrée, conduira à la révocation de Robin en 1894 à la suite d’une odieuse campagne de presse.

Non seulement Robin le libertaire pacifiste et internationaliste collabora au monumental « Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire » de Buisson mais celui-ci en confia la rédaction en chef au non moins anarchiste, internationaliste et pacifiste James Guillaume, membre éminent de la Fédération jurassienne de l’AIT et fondateur de l’internationale anti-autoritaire de Saint Imier.

De sorte qu’il n’est pas exagéré de dire que les pratiques et théories libertaires ont eu une influence déterminante dans l’histoire de l’éducation. Faut-il rappeler les noms de Francisco Ferrer Guardia et son « Escuela moderna » à laquelle collaborèrent des personnalités telles que A. France, Herbert Spencer, Élisée Reclus, P. Kroptkine ? Celui de Sébastien Faure et son école de « La Ruche » (L’enfant n’appartient ni à Dieu, ni à l’Etat, ni à sa famille mais à lui-même, disait-il) ou même celui de Tolstoï et son école de Lasnaïa Poliana ? Peut-être même n’est-il pas exagéré de dire que l’ « éducation intégrale » de Robin a eu une influence déterminante sur ce qu’il y a de meilleur dans l’institution éducative, ces tentatives de « pédagogie active », en butte sempiternellement aux rigides instructeurs de tous poils. Et voici que refait surface le serpent de mer de l’uniforme, de l’uniforme  comme effacement.

S’agissant d’effacement comment ne pas évoquer l’émotion suscitée, au mitan des années soixante, par la dernière phrase des « Mots et des choses » de Michel Foucault dont on a pu se demander si elle proclamait la mort de l’homme comme Nietzsche proclama la mort de Dieu ou si elle n’était que pure provocation.

Voici ces derniers mots : « alors on peut bien parier que l’homme s’effacerait comme à la limite de la mer un visage de sable ». C’est donc à l’ombre tutélaire du philosophe qu’il me vient de dire un mot de l’idée, plus dramatique que saugrenue, qui propose de revêtir les corps d’enfants d’un uniforme.

Paraphrasant Foucault je dirais volontiers ceci : si à l’école l’uniforme était imposé alors on peut bien parier que l’enfant s’effacerait comme à la limite de la mer un visage de sable.

Qu’est-ce donc, en effet, que l’uniforme sinon la tentative d’occultation de la vérité, du corps en vérité ? Car le vêtement, qu’il soit choisi (par le riche) ou subi (par le pauvre), est nécessairement discours (pour demeurer dans l’univers foucaldien), discours à soi-même et aux autres.

Dissimuler la vêture, effacer cette interpellation de l’autre, c’est évidemment porter atteinte à la liberté, c’est entraver la recherche de la vérité, recherche qui devrait être la pratique essentielle de l’institution éducative, pratique qui implique, nécessite et mobilise l’acquisition de connaissances qui, maîtrisées, se constituent en savoir.

Cette recherche, cette démarche de vérité, on le sait, Foucault la caractérise par deux vocables venus de l’Antiquité grecque, la parrêsia, le parler vrai et l’alêtheia, l’acte par lequel se manifeste la vérité. Le philosophe alors interroge : qu’est-ce qui fait qu’en démocratie il y a une impuissance du discours vrai ? Est-ce l’impuissance du discours vrai lui-même ? Certainement pas. C’est l’impuissance en quelque sorte contextuelle. C’est une impuissance qui est due au cadre institutionnel dans lequel le discours vrai apparaît et essaie de faire valoir sa vérité. (Le courage de la vérité, P. 40).

Le vêtement comme tentative de discours vrai, tentative de manifester la vérité, peut-être même de manifester une forme de vie « comme scandale vivant de la vérité » (P. 118), de manifester une « stylistique de l’existence », « la vie comme beauté possible » (P. 149), le vêtement multiple, disparate, saugrenu est alors une mise à l ‘épreuve du contexte, de la capacité du système éducatif à accueillir un discours vrai en garantissant l’égale attention de l’institution portée à chaque enfant quel que soit le « discours » manifesté par sa vêture.

L’uniforme, occultant toute altérité et sachant qu’il n’y a pas d’instauration de la vérité sans une position essentielle de l’altérité, sans un éclair d’altérité (P. 328) apparaît alors comme dispositif de dissimulation, comme effacement, comme atteinte à la connaissance, comme outrage à la vie qui est nécessairement altérité.

Telles sont quelques unes des raisons pour lesquelles occulter le discours porté par le vêtement est, comme je l’affirmais dans un précédent billet, une ignominie. Une ignominie sous-jacente à l’argumentation promouvant l’uniforme en tant que signe d’appartenance. A quand le salut au drapeau comme signe d’appartenance à une nation, comme manifestation d’un national-patriotisme dont nul ne peut ignorer les crimes commis, hier comme aujourd’hui, en son nom ?

L’uniforme, enfin, comme disciplinarisation des corps et des âmes. Car disciplinariser le corps, le dissimuler c’est interdire le discours vrai, celui du vêtement qui situe l’individu dans la dichotomie riche/pauvre, c’est évidemment (si l’on opte pour le monisme spinozien plutôt que le dualisme cartésien) meurtrir l’âme en interdisant la possibilité d’une pensée percutant les structures d’un contexte disciplinaire.

C’est interdire la possibilité d’une pensée libre se libérant autant qu’il est possible par la pratique sans entraves de la science et de la poésie, de la science poétisée, à la recherche incessante de la vie comme beauté possible, loin de tout enfermement disciplinaire.

L’imposition de l’uniforme à des enfants est un acte de délinquance axiologique, un acte d’agression contre les valeurs de liberté, de vérité, autrement dit de salut ici et maintenant, dans l’école au quotidien, et non dans l’inepte futur du « quand tu seras grand ».

Nestor Romero

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