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Lycée pro : réformer pour mieux soumettre – Guillaume Cuny (Contretemps)

Via le site de Contretemps

Macron et son gouvernement veulent réformer le lycée professionnel. Ils entendent approfondir les politiques menées depuis près de quatre décennies, aller encore plus loin dans le sens de la grande régression néolibérale. Il s’agit notamment d’imposer à nouveau l’apprentissage comme mode dominant de formation des travailleurs/ses, en lieu et place du mode scolaire d’enseignement professionnel. Rappelons que celui-ci s’était imposé dans les décennies d’après-guerre, précisément suite à la faillite du modèle libéral consistant à confier au patronat la formation professionnelle des jeunes, notamment des ouvriers/ères et des employé-es.

L’apprentissage a tous les avantages pour le capital : pour les patrons individuels, il livre une main-d’œuvre quasi gratuite (les salaires sont faibles et les cotisations sont prises en charge intégralement ou presque par l’État), corvéable à merci (puisque totalement dépendante du patron) et avec peu de contrôles pour vérifier qu’une formation professionnelle est réellement assurée en entreprise ; pour le capital dans son ensemble, l’apprentissage permet de soumettre la formation professionnelle à ses exigences immédiates, bien davantage qu’un mode de formation scolarisé qui dispose d’un degré d’autonomie plus important. Réformer pour mieux soumettre non seulement les jeunes mais aussi le lycée professionnel.

Dans cet article, Guillaume Cuny analyse la réforme que le gouvernement veut imposer, en mettant en évidence sa logique sous-jacente (centrée sur la prétendue « adéquation formation-emploi »), et il déconstruit les mythologies du « choix » et de l’ « autonomie », qui sont au cœur du mode de légitimation néolibérale des inégalités scolaires et sociales. Car si l’une des manières de justifier cette réforme (et plus largement l’apprentissage), c’est de promettre l’insertion de tous les jeunes ; une autre consiste à prétendre qu’elle permettra à chacun de « trouver sa voie », d’accomplir sa « vocation ».

C’est devant les recteurs réunis en Sorbonne à l’approche de la rentrée qu’Emmanuel Macron a esquissé, lors de son discours du 25 août 2022, sa vision de l’enseignement professionnel. Dans un contexte de pénurie historique d’enseignants et dans un souci affiché de revalorisation de la voie professionnelle, le président a déclaré que cette dernière “ne [devait] pas être une voie par défaut mais une voie de choix”.

Le mardi 13 septembre 2022, en déplacement aux Sables d’Olonne, le président, accompagné du ministre de l’Éducation nationale et de la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnelle, en a profité pour insister sur la nécessité de renforcer les partenariats entre écoles et entreprises, de manière à améliorer l’insertion de ces jeunes et à répondre aux besoins de main-d’œuvre des entreprises[1].

Quelques mois plus tard, le 4 Mai 2023, lors d’une visite au lycée technologique et professionnel Bernard-Palissy à Saintes (Charente-Maritime), le chef d’État déclare que la réforme du lycée professionnel est une “cause nationale” et présente les pistes envisagées pour cette réforme : gratification des périodes de stages pour les élèves, adaptation de la carte des formations en fonction des besoins, fermeture des formations dont les débouchés seraient trop faibles. Les objectifs visés sont de “réduire le décrochage scolaire”, “aller vers 100% d’insertion professionnelle” et “reconnaître l’engagement des enseignants de lycée pro”.

Au-delà des vœux pieux (le « 100% d’insertion professionnelle ») ou des promesses qui n’engagent à rien (que signifie concrètement reconnaître l’engagement des enseignants ?), cette réforme a pour objectif plus ou moins implicite d’adapter plus étroitement la formation professionnelle aux exigences immédiates des employeurs, c’est-à-dire d’adopter une logique adéquationniste (en référence à l’adéquation formation-emploi), tout en prétextant que les élèves sont libres de choisir.

Cette perspective adéquationniste ne date pas d’hier : on la retrouvait déjà en 1971 dans la loi d’orientation sur l’enseignement technologique qui avait vocation à renforcer les relations entre formation-emploi[2]. La création du Bac Pro en 1985-86 participait de la même logique en prétendant fournir aux entreprises une main-d’œuvre formée (Dayan et al., 2017 ; Dubar, 2015 ; Maillard, 2020). La nouveauté de cette réforme tient plutôt au fait qu’elle s’appuie sur une vision particulièrement court-termiste, que l’on peut rattacher à une volonté de professionnalisation immédiate;

Toute l’orientation macroniste en matière de formation professionnelle semble procéder de cette vision étroitement adéquationniste, consistant à favoriser l’orientation des jeunes vers les secteurs dits « en tension ». Elle est (à peine) tempérée dans le discours par la volonté prétendue de permettre aux élèves de choisir leur orientation. Cette thématique renvoie à l’idéologie du libre choix dont on sait – grâce à plusieurs décennies de travaux en sociologie de l’éducation – qu’elle néglige à quel point l’orientation scolaire est prédéterminée par l’origine sociale, le genre ou l’origine ethno-raciale des élèves. […]

La suite à lire sur le site de la revue Contretemps.

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