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Lutter contre le travail gratuit à l’école et en stage. Bilans et récits de grève au Québec

Depuis 2016, des étudiant·e·s s’organisent au Québec pour obtenir la rémunération de tous les stages obligatoires dans le cadre de leur cursus à l’université, dans les collèges et les écoles de métiers.

Dénonçant la non-rémunération des stages, qui touche principalement les secteurs féminisés (éducation, travail social, soins infirmiers…), le mouvement constitué à partir des Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE) a lancé des appels à la grève des stages à répétition, qui s’est soldée à une grève générale des étudiant.e.s et des stagiaires qui a duré entre une semaine et un mois selon le campus, au cours de l’hiver 2019.

Juste après la grève, le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur a annoncé qu’un programme de compensation financière sera mis en place dès cet automne. En renouvelant les analyses du travail étudiant à la lumière de la théorie féministe marxiste, les contributions des CUTE ont également l’intérêt d’enrichir notre réflexion sur les différentes formes et fonctions du travail gratuit.

Depuis, l’heure à l’exercice des bilans pour les militant.e.s. Et ce bilan débute par un avis de dissolution de ces comités. Il est publié intégralement ici (voir plus bas).

Pour en savoir plus:

Pour consulter les magazines produits par les militant.e.s des comités unitaires sur le travail étudiant: https://issuu.com/cute-mv

Sur Contretemps: L’exploitation n’est pas une vocation. Grève des stages, grève féministe

Sur Mouvements.info: [L’exploitation n’est pas une vocation !
Pour la rémunération des stages et la fin du travail étudiant gratuit->http://mouvements.info/lexploitation-nest-pas-une-vocation/]

Sur Ballast: Étudier, c’est travailler — entretien avec les CUTE.
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Puisque la permanence embourbe la vitalité

Avis de dissolution des comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE) et des comités pour la rémunération des internats et des stages (CRIS)

La grève des stages aura abouti, sans tambour ni trompette, à l’annonce de la mise en place de bourses dans plusieurs programmes liés aux domaines de l’éducation, de la santé et des services sociaux au sein des écoles de formation professionnelle, des cégeps et des universités. On est loin du salaire horaire et des protections exigés par le mouvement et plus encore de la rémunération universelle des stagiaires, quels que soient le programme et le niveau d’études. Plusieurs seront également demeuré.e.s en reste, notamment dans les domaines de la culture et des communications, et l’attribution de cette compensation aura reproduit, encore une fois, les disparités entre les niveaux d’études.

Mais c’est ce qu’on a réussi à obtenir et on l’aura poussée jusqu’au bout, cette grève. Contre le lobbying et contre tout repli stratégique. Et bien au-delà de la compensation obtenue, la lutte pour la rémunération des stages aura été un grand laboratoire. Elle aura permis de mettre en pratique une critique féministe du mouvement étudiant, de la bureaucratie et de la centralisation, de la représentation et du nationalisme. Cette critique se sera concrétisée en comités autonomes des associations étudiantes et des partis politiques; en coalitions régionales sans palier national; en mobilisation concentrée dans des programmes historiquement délaissés par la gauche étudiante et composés d’une majorité de femmes, souvent issues de l’immigration; en ultimatum lancé en pleine période électorale; en publication transparente des débats et tensions politiques au sein du mouvement; en la rotation préconisée des tâches entre les personnes impliquées; en prises de parole publiques par un grand nombre parmi les principales concernées; en diffusion large des réflexions théoriques et pratiques qui ont amplement dépassé la propagande et l’agitation; et bien sûr, en l’invention de la grève des stages.

On peut l’inscrire au bilan. Première grève générale des stages au Québec. Première grève étudiante offensive à avoir obtenu des gains tangibles en quarante ans. Première grève générale étudiante initiée par un appel féministe. Une grève entièrement organisée par des comités de base comme ça s’est rarement vu. Le tout dans un contexte où les réseaux militants organisés dans les associations étudiantes locales et nationales n’ont pas réussi à initier de mouvements comparables au cours de la même période.

Et c’était ça, l’objectif à l’origine des comités unitaires sur le travail étudiant, dès la création du tout premier, il y a un peu plus de trois ans, au Cégep Marie-Victorin. Les principes d’organisation étaient simples : ne s’en tenir qu’au nécessaire en matière de structures et que celles-ci soient décentralisées, flexibles et transparentes pour permettre une participation large aux débats et à toutes les dimensions de l’organisation d’un mouvement. La stratégie? D’une part, profiter de la grève des internes en psychologie pour étendre la revendication aux autres programmes avec stages à l’université, au cégep et même, si possible, dans les écoles de métiers. D’autre part, profiter du mouvement pour diffuser de nouvelles propositions pour la gauche étudiante, tant sur le plan des analyses et revendications que des structures et stratégies. Et on en a profité! C’est sur les campus de Gatineau, Sherbrooke, Montréal, Saint-Jérôme, Québec, et plus encore, que des militant.e.s ont tenté bon an, mal an l’expérience de l’autonomie et de la décentralisation.

Bien sûr, l’organisation en autonomie et la défense de la grève des stages n’ont pas été sans heurt. Nombreuses ont été les difficultés rencontrées tout au long de la campagne sur le travail étudiant : enlisement de certains programmes dans le corporatisme professionnel; démêlés avec les bureaucraties étudiantes pour le financement et la diffusion d’information; difficulté d’élargissement dans certaines régions; tensions saines et moins saines entre tendances à l’intérieur des comités comme dans les coalitions régionales, les conseils de grève, les assemblées générales et sur les réseaux sociaux; répression des stagiaires grévistes par les directions académiques et les milieux de stages; réorganisation de la droite étudiante dans les cégeps et universités; réactions paternalistes et misogynie ambiante sur les campus; épuisement psychologique généralisé; violences sexuelles dans les espaces militants, avec la désorganisation qui s’ensuit , etc.

En rétrospective, on peut affirmer que la grève des stages aura eu lieu en deux temps. Le premier constituait une démonstration de force à la suite de l’élection du nouveau gouvernement à l’automne 2018: une semaine de débrayage en novembre qui s’est révélée beaucoup plus large qu’anticipée. Mais aussi beaucoup plus épuisante et réprimée que prévu. À titre d’exemple, on peut mentionner la moitié d’une cohorte de travail social à l’Université de Sherbrooke qui s’est retrouvée avec une mention d’échec à son stage, la reprise obligatoire des journées de stages manquées pour plusieurs dans les programmes de soins infirmiers des cégeps ou encore les nombreuses menaces d’annulation des stages dans différents départements de la plupart des universités. Dès la première journée de grève, le nouveau ministre de l’Éducation annonçait qu’une solution serait mise en place rapidement pour répondre aux demandes, sans donner le moindre détail. Son appel à « ne pas défoncer des portes ouvertes » dissimulait médiocrement sa volonté de freiner ce qui devait être le second moment : la grève générale illimitée des cours et des stages à la session d’hiver 2019.

Et puis, les difficultés à tenir la grève des stages à l’automne et ses nombreuses conséquences ont entraîné un contrecoup. Celui-ci s’est rapidement fait ressentir lorsque l’assemblée générale de l’Association des étudiantes et étudiants de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM (ADEESE-UQAM) a rejeté à faible majorité la proposition de grève générale illimitée, alors qu’elle avait adopté en premier tous les jours de débrayage depuis le début de la campagne. Le déclenchement d’une grève des stages à l’hiver était alors sérieusement compromis. Et les militant.e.s n’étaient pas dupes : la grève ne pourrait tout simplement pas être reprise à l’automne suivant. On devait se réajuster pour qu’un mouvement de grève ait lieu. Ainsi, alors que les fédérations étudiantes nationales tentaient de récupérer, en vain et sous une version édulcorée, notre travail politique mené depuis trois ans et alors que le ministre de l’Éducation nous promettait n’importe quoi « sauf le statu quo » pour éviter une grève générale, celle-ci a bel et bien été déclenchée le 18 mars 2019. Les militant.e.s allaient ainsi donner leurs derniers efforts pour un ultime coup de débrayage afin d’obtenir le plus possible et rapidement.

Un mouvement de grève inhabituelle dans les lieux où elle a été déclenchée comme dans sa durée, qui a été adoptée aux cégeps d’Ahuntsic et de Victoriaville, mais pas à Saint-Laurent, qui a duré plus longtemps sur le campus satellite de Saint-Jérôme que partout à l’UQAM, qui a duré quelques jours ici et quelques semaines là-bas. Une grève difficile à porter avant, pendant et après pour les stagiaires qui ont dû résister à la réaction de leur milieu de stage et aux menaces de leur école. La proposition d’une grève générale illimitée avait justement pour objectif de compliquer, voire de rendre impossibles, les conséquences aux grévistes en inscrivant le débrayage dans un temps non circonscrit. La limitation de l’arrêt des cours et des stages à des périodes définies a certainement borné son impact et donné des armes à la répression, ce qui a d’abord et avant tout affecté les stagiaires. Quelques-un.e.s en ont d’ailleurs perdu leur session, une première dans l’histoire des grèves étudiantes au Québec. On peut tout de même parier que le débrayage a été essentiel à l’obtention des quelques 30 millions de dollars alloués à la compensation des stages: du début à la fin, c’est la grève qui a porté fruit.

Vient ainsi un moment dans la vie de tout groupe où l’on doit choisir entre la permanence et la dissolution. Ou encore, n’assumer ni l’un ni l’autre en préférant laisser l’organisation s’évanouir en silence, à la fois pour entretenir le flou sur la poursuite de ses activités et pour éviter la lourdeur des discussions de bilan qui mènent à tirer la plogue. Après discussion, le choix a été fait dans la plupart des comités : assumer la dissolution, sans faux-semblant.

Plusieurs préoccupations ont été formulées, notamment la nécessité de poursuivre la lutte puisque les revendications de base n’ont pas été atteintes. Cependant, la force des choses et le principe même de l’autonomie ont motivé la plupart à mettre fin aux activités de leur CUTE ou de leur CRIS. Pour la majorité des militant.e.s impliqué.e.s durant les trois années de campagne, la formation est désormais terminée, après graduation ou abandon des études. Laisser vides des structures en espérant que d’autres en disposent serait un contresens. Il y a déjà bien assez d’organisations dénaturées et empêtrées dans la reproduction de leur propre structure qui devient plus importantes que la lutte elle-même. Il est bien sûr souhaitable de relancer la lutte pour la rémunération des stages, de poser les bases d’une lutte pour l’annulation des dettes ou plus largement pour réclamer le salaire étudiant. Mais ces mouvements se doivent d’être organisés dans les campus sur des bases autonomes par les principaux.ales intéressé.e.s, qui prendront en charge la réflexion sur les structures, les revendications, les analyses et les stratégies. Les débrayages de l’automne et de l’hiver derniers témoignent de la possibilité d’un large mouvement de grève mené par des comités de base et, du même coup, remettent en question la nécessité des structures nationales et permanentes lesquelles reposent sur la dépossession des capacités d’organisation et de réflexion des étudiant.e.s, et la constitution d’une clique de bureaucrates destiné.e.s aux appareils partisans, syndicaux et communautaires.

La décision de mettre fin aux activités des CUTE et des CRIS s’inscrit donc de manière cohérente dans les perspectives politiques et les pratiques d’autonomie qui animent les militant.e.s depuis le tout début de la campagne sur le travail étudiant. Il est plus pertinent, efficace et utile de diffuser un bilan critique et instructif de l’expérience de ces comités autonomes que de se soumettre à la tentation de la permanence. Plusieurs commencent d’ailleurs déjà à s’organiser sur des bases semblables dans leurs milieux de travail pour porter l’expérience hors des murs de l’école; d’autres, encore aux études, continueront de semer des graines sur les campus. Les archives de la campagne seront conservées et accessibles et les moyens de communication avec les comités demeureront ouverts pour échanger sur l’organisation des luttes à venir. Si cette première campagne pour la rémunération de tous les stages s’achève, la lutte contre l’exploitation, elle, se poursuit.

Ainsi sont dissous le CUTE UQO-St-Jérôme (Université du Québec en Outaouais, campus de Saint-Jérôme), le CUTE CVM (Cégep du Vieux Montréal), le CRISCO (Cégep de l’Outaouais), le CUTE Sherbrooke (Cégep de Sherbrooke), le CUTE-UdeM (Université de Montréal), le CUTE St-Lô (Cégep de Saint-Laurent), le CUTE UQAM (Université du Québec à Montréal), le CRIS-UQO (Université du Québec en Outaouais), le CUTE MV (Cégep Marie-Victorin). Toute initiative actuelle ou à venir portant le nom de CUTE ou de CRIS n’aura désormais aucun lien avec les présents comités, à l’exception des exercices de bilan.

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