C’est à l’occasion d’une émission de Canal +, diffusée dimanche dernier, que Ludivine de la Rochère, présidente de la « Manif pour tous », nous a offert ce beau lapsus : « Je suis d’accord pour lutter contre l’égalité ».
Il est probable que nous touchions là au cœur de la bataille qui se joue depuis plusieurs mois dans les médias et dans la rue mais aussi, à présent, autour de nos bibliothèques ou de nos écoles.
De la lutte contre le mariage pour tous à l’appel au boycott de l’ABCD de l’égalité en passant par la campagne contre un certain nombre d’ouvrages jeunesse, la vague réactionnaire qui nous submerge n’en finit pas de ressasser son obsession pour les questions sexuelles et surtout sa haine de l’égalité. Pour ces nouveaux croisés de l’Ordre moral, pour reprendre l’expression qualifiant les sombres années qui suivirent l’écrasement sanglant de la Commune de Paris, il s’agit bien d’un combat central.
On pourrait se demander pourquoi, en 2014, les débats autour de l’égalité des sexes continuent à déchaîner tant de passion. Et pourquoi est-ce justement sur ce terrain que s’avance l’offensive réactionnaire.
Dans le domaine scolaire, ce combat des forces conservatrices puise ses racines aux origines mêmes du système éducatif républicain.
Pour s’en rendre compte, nous vous proposons ici un petit florilège de lois, règlements et déclarations sur l’éducation des filles.
On le sait, la Révolution française, malgré le rôle que les femmes y jouèrent, ne leur accorda pas de droits politiques et encore moins l’égalité. Elle envisagea cependant l’éducation des filles, tout comme celle des pauvres, peut-être moins pour les émanciper que pour s’assurer de leur contrôle (anticipant en cela l’heureuse formule de Guizot « c’est l’ignorance qui rend le peuple turbulent. » en conséquence de quoi « L’instruction primaire universelle est désormais une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale. »). Le décret du 7 brumaire an II (28 octobre 1793) en offre une belle illustration : « les filles apprendront à lire, écrire, compter, les éléments de la morale républicaine, elles seront formées aux travaux manuels de différentes espèces utiles et communes » afin de « …préparer les filles aux vertus de la vie domestique… ». Ces apprentissages « aux talents utiles dans le gouvernement d’une famille » ne pouvaient être confiés seulement qu’à une femme ; celle-ci exerçant la fonction d’institutrice ou étant tout simplement la femme de l’instituteur.
Quoi qu’il en soit, dès son retour, la monarchie s’empresse, avec l’Ordonnance royale sur l’enseignement primaire du 29 février 1816, d’interdire aux femmes le droit d’enseigner aux garçons. Filles et garçons ne sauraient être réunis dans les mêmes classes… Là où deux établissements distincts ne peuvent être envisagés, l’instituteur accueille les garçons le matin et les filles l’après-midi.
Il faudra attendre 1834 pour qu’à titre exceptionnel et transitoire des institutrices puissent diriger des écoles de garçons. Un an plus tard, le législateur impose, dans toutes les classes mixtes (dans les villages qui ne pouvaient disposer, pour des raisons d’effectifs, de deux écoles différentes) une « séparation matérielle et permanente » (« cloison séparative d’un mètre minimum ») entre les garçons et les filles. En août 1851 le règlement des écoles primaires décident de faire passer la « cloison séparative » entre les filles et les garçons de 1 m à 1,5 m et de décaler d’un quart d’heure la sortie des filles par rapport à celle des garçons…
Avec le ministère Duruy et la loi du 10 avril 1867 sur l’enseignement primaire, il est prévu, dans toutes les écoles mixtes, la nomination d’une femme capable d’enseigner les travaux d’aiguilles. En même temps, il est envisagé une meilleure rétribution pour les maîtresses (sans pour autant promouvoir l’égalité de traitement qui ne sera défendue que par la Commune de Paris).
Quant à l’enseignement dispensé aux filles, il reste différent de celui des garçons. C’est bien pour maintenir la distribution des rôles sociaux des deux sexes et leur hiérarchie que la société propose deux enseignements distincts. C’est parce qu’ils ne doivent pas avoir le même destin social que les sexes ne doivent pas être éduqués ensemble et de le même manière… Claude Lelièvre, dans un récent billet de son blog, nous rappelle que les Instructions détaillées du 27 juillet 1882 signées par Jules Ferry indiquent qu’il s’agit de « faire acquérir aux jeunes filles les qualités sérieuses de la femme de ménage ». Celles de 1923 seront de la même veine, poursuit l’historien de l’éducation, « La théorie dans l’enseignement ménager doit inspirer aux jeunes filles l’amour du foyer, en leur montrant que les opérations en apparence les plus humbles de la vie domestique se relient aux principes les plus élevés des sciences de la nature et que, pour reprendre le mot antique, il y a partout du divin »… Même l’examen emblématique de l’enseignement de l’Ecole obligatoire, le certificat d’études, se trouve très officiellement soumis aux divisions sexuées. Ainsi, lorsque l’arrêté du 19 juillet 1917 introduit au certificat d’études primaires « une composition sur les connaissances scientifiques usuelles », il est dûment précisé : « pour les garçons, application élémentaire des sciences à l’agriculture, à l’industrie, au commerce ; pour les filles, à la vie ménagère ».
En témoignent aussi, dans le secondaire, les différences d’horaires suivant les matières. Les filles accèdent bien aux études supérieures (Julie-Victoire Daubié est la première femme a obtenir le bac en 1861, mais en le préparant à son domicile puisque depuis 1808 l’accès aux lycées est interdit aux femmes…) avec la la loi Camille Sée de 1880 qui instaure un enseignement secondaire laïque pour les filles (les programmes sont spécifiques ; le cursus en 5 ans au lieu de 7 n’est pas sanctionné par le bac et ne permet pas l’entrée à l’université). En 1914 il y avait environ 35 000 filles dans des écoles secondaires contre 69 200 jeunes hommes, et en 1930, 58 000 jeunes filles pour 100 000 garçons. C’est en 1919 que le pouvoir concède la création un bac « féminin » !
Si la mixité s’impose progressivement, c’est avant tout pour des raisons économiques et budgétaires. Rares sont ses défenseurs, ils ne recrutent guère que chez les pédagogues libertaires (Paul Robin, Francisco Ferrer, Sébastien Faure, etc.), les tenants du mouvement d’Éducation nouvelle et dans les syndicats d’instituteurs et d’institutrices. C’est d’ailleurs cette « co-éducation » qui déchaînera la campagne haineuse du journal antisémite La Libre Parole et de son dirigeant Edouard Drumont contre l’expérience d’éducation libertaire de Paul Robin à l’orphelinat de Cempuis. L’administration finira par céder et la réaction obtiendra le renvoi du pédagogue.
Ils sont bien peu à promouvoir la « co-éducation des sexes » comme on disait alors. On craint la féminisation des hommes ou la virilisation des femmes, une confusion des sexes qui entraînerait la « dégénérescence », des propos quasi identiques à ceux qui circulent en ce moment.
Ce n’est que vers 1950 que le terme « mixité » apparaît comme substantif en référence à la mixité scolaire. Le Grand Larousse encyclopédique de 1963 en donne une définition qui correspond bien à l’air du temps : « Mixité : n.f.- Etat d’une école où les filles et garçons sont admis. Certains éducateurs émettent des doutes sur l’efficacité de la mixité ».
En 1957, la mixité de l’enseignement primaire devient légale.
En 1959, le ministère décide de ne construire que des lycées mixtes dans le cadre de la réforme Berthoin.
C’est la création des CES (Collège d’Enseignement Secondaire) dans les années 1960 qui amplifie le mouvement, peut-être davantage que Mai 68 puisque ce n’est qu’en 1975 (11 juillet) et la loi du ministre René Haby que la mixité devienne obligatoire de l’école de la maternelle au lycée (Décrets d’application en 1976). Les Écoles Normales de Ulm et Sèvres ne deviendront mixtes qu’en 1986 ! Sans compter que cette mixité est loin de répondre à tous les enjeux de l’égalité…
Sur cette question, comme sur tant d’autres, on ne peut que souligner que le combat contre ces réac-publicains passe aussi par une lutte sociale et pédagogique. Ceux qui, catholiques bien pensants, républicains conservateurs, guidés et enragés par l’extrême-droite antisémite et ultra-nationaliste d’alors, dénonçaient hier le caractère « pornographique » de l’éducation mixte d’un Paul Robin, ressemblent, à si méprendre, à nos réactionnaires d’aujourd’hui.
Grégory Chambat
De nombreuses ressources sont disponibles sur le web, citons donc l’article “Une histoire de la mixité” de Geneviève Pezeu , N°487 des Cahiers pédagogiques – Dossier “Filles et garçons à l’école” ou bien “Le sexisme originel de l’Ecole républicaine” de Claude Lelièvre
« lutter contre l’égalité » ou la nostalgie de la « cloison séparative »
Merci pour cet article.
Je crois que l’être humain a des difficultés à admettre que l’esprit puisse être le même quelque soit le sexe. Toute la politique consiste à diviser et à renvoyer dos à dos.
Je me demande par quel miracle (sauf celui de la vanité) nous avons pu imaginer que la démocratie serait notre régime. Michel Raymond de l’université de Montpellier suggère que c’est parce qu’une bande de primates à Athènes a obligé le chef à leur céder des femelles pas trop laides ou vieilles que l’histoire a eu besoin de concept nouveau et donc à appelé cette révolution des moeurs : “démocratie”
« lutter contre l’égalité » ou la nostalgie de la « cloison séparative »
Voyez vous mêmes, nous sommes en plein débat et Christine Detrez et Régis Meyran sont confrontés eux aussi à cette question “politique”
http://www.liberation.fr/culture/2013/05/27/sexe-race-et-realite-reponse-a-nancy-huston-et-michel-raymond_906078