Le blog de Bernard Girard (Journal d’un prof d’histoire sur Rue 89) déménage et devient École, histoire et Cie, hébergé par Mediapart. La bonne nouvelle c’est que ses billets seront aussi accessibles sur Q2C !!!
Livret laïcité : la laïcité scolaire poursuit sa mue identitaire
Charte de la laïcité affichée dans les établissements, dorénavant intégrée au règlement scolaire puis signée par les parents, célébration d’une journée laïcité le 9 décembre, éducation morale et civique à tous les étages. Ce n’est sans doute pas suffisant puisque, ces derniers jours, chaque chef d’établissement s’est vu remettre un « livret laïcité », sorte de guide pratique destiné à l’aider, lui et son personnel, à « faire comprendre la laïcité » aux mauvais esprits et aux mécréants mais aussi à lui fournir quelques « repères juridiques » à utiliser en cas de besoin …et visant d’ailleurs exclusivement les familles musulmanes. En réalité, cette fuite en avant règlementaire, qui cible l’école avec un acharnement suspect, dépasse très largement le cadre de son objet affiché, réduit ici à un prétexte, pour imposer par la coercition un véritable endoctrinement patriotique, clairement assumé par la ministre de l’Education nationale au mépris des plus élémentaires libertés réduites ici à une fonction d’affichage.
Mélange des genres et manipulation
Au milieu d’un rappel de banalités sur la contestation de certains enseignements, la rubrique « laïcité et enseignements » (p.16 et suivantes), débouche sans prévenir sur une curieuse section – « commémorations et moments collectifs » – modèle d’amalgame, de mélange des genres et de manipulation :
« Les chefs d’établissement et directeurs d’école sont tenus de faire participer les élèves aux moments collectifs qui concernent l’École et la République. Il est important de pouvoir montrer que ces commémorations ou événements, que les élèves doivent respecter, ont fait l’objet d’un débat démocratique, issu d’un vote du Parlement et font partie du cérémonial républicain que l’École de la République se doit d’observer. La mobilisation de l’École pour les valeurs de la République suppose dorénavant que les projets d’école et d’établissement détaillent les modalités de la participation active des élèves aux journées ou semaines spécifiques […] aux commémorations patriotiques […] »
Ainsi, dans les établissements scolaires, « la participation active des élèves […] aux commémorations patriotiques » fait « dorénavant » l’objet d’une obligation règlementaire. Et il aura suffi d’un simple formulaire ministériel – et non d’un “débat démocratique”, pratique inconnue à l’EN – jamais discuté avec les intéressés, pour qu’une idéologie, un système politique – le patriotisme – se voient imposées à toute une population scolaire, en dépit d’autres valeurs, d’autres libertés que ce même document prétend lui garantir. Comme par exemple :
– l’article 3 de la charte de la laïcité : « la laïcité garantit la liberté de conscience à tous. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire. » Sauf au patriotisme ?
– l’article 12 du même document : « les enseignements sont laïques (…) Aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique. » Sauf la patrie ?
– ou encore : « la laïcité protège contre tout prosélytisme et contre toute publicité idéologique et politique. » Parce que le patriotisme n’est pas une idéologie ?
En matière d’enseignement de l’histoire, les conséquences de cette injonction cérémonielle sont potentiellement redoutables : en gommant la fonction historique des commémorations au profit de préoccupations patriotiques, l’Education nationale impose arbitrairement un changement de paradigme qui met l’histoire au service d’une interprétation tendancieuse et irrationnelle, plus proche de la croyance religieuse que d’une discipline scientifique, avec cette circonstance aggravante que l’adhésion à cette religion – celle de la patrie – ne résulte pas d’un choix personnel mais d’un caprice de l’administration. La liste déjà extravagante des commémorations officielles censées baliser la scolarité des élèves montre par anticipation ce que pourrait donner, à titre d’exemple, le souvenir du 8 Mai 1945 revisité par des considérations exclusivement patriotiques : une réflexion sur le racisme, l’intolérance, la résistance à l’oppression ou, plus médiocrement, la mémoire étriquée de la Ligne Maginot et des discours gaullistes ?
Intimidation
Inévitablement, afin de s’épargner toute tentation de dissidence, le livret prévoit un rigoureux système de surveillance, avec ce rappel – mentionné pas moins de cinq fois ( !) dans ce document de quelques pages – de « la stricte obligation de neutralité » à laquelle sont tenus les personnels, des personnels qui seront toutefois mis à contribution pour constituer des « groupes de veille et de suivi des incidents (…) afin d’établir une mémoire d’établissement (…) » En langage courant, cela s’appelle la délation.
Dans l’introduction du livret, Najat Vallaud-Belkacem assigne comme objet à ce dernier d’indiquer « des pistes pour faire comprendre et vivre la laïcité dans les établissements scolaires, [de fournir] des repères pour le dialogue éducatif et des éléments juridiques en cas de contestation ou d’atteinte au principe de laïcité. » Mais de quelles pistes, de quels repères, de quelle laïcité s’agit-il au juste ? Si l’on s’en tient à sa définition originelle – « La république assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes » (loi de 1905, article 1) – on peine à en retrouver la trace dans le document distribué aux établissements, qui surfe au contraire fâcheusement sur la vague d’instrumentalisation dont elle fait l’objet depuis plusieurs années et qui n’épargne pas l’école avec la stigmatisation de toute une partie des élèves. Mais plus fondamentalement, alors que la ministre est déjà lourdement intervenue dans la rédaction des programmes d’histoire en faveur d’un recentrage sur le roman national, sa volonté d’introduire et d’imposer, sous peine de sanction, le patriotisme comme objet d’enseignement, comme une valeur incontournable de l’éducation – alors qu’il en est plutôt la perversion – la fait dangereusement s’écarter de sa fonction légitime. Entre liberté de conscience et police de la pensée, il y a des choix à faire.
Livret laïcité : la laïcité scolaire poursuit sa mue identitaire
Charte et dualisme
Que penser de l’initiative qui consiste à faire signer par les parents d’élèves des écoles publiques la Charte de la laïcité placardée depuis 2013 dans les écoles publiques ? Le flou lexical qui entoure cette nouveauté ne nous éclaire guère.
Ainsi, peut-on lire dans la circulaire de rentrée : « la Charte de la laïcité à l’École, [qui] sera présentée aux élèves et à leurs parents à la rentrée scolaire et signée par eux pour attester la reconnaissance par chacun de ses principes. » Lors de sa conférence de presse, Mme Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation nationale annonce que « chaque parent d’élève sera invité à signer la Charte de la laïcité à l’École » alors que dans son discours lors de la Synthèse des Assises départementales et locales, le 12 mai 2015 elle déclare : « Dans un esprit de dialogue et parce qu’il faut que la laïcité soit comprise, nous mettrons en place, à la rentrée, la signature de la charte de la laïcité par les parents pour manifester leur engagement à la respecter et à la faire vivre à nos côtés. »
Quelle sera donc, auprès des parents, la portée de la démarche : « attester la reconnaissance », « être invité à signer » ou « manifester leur engagement » ? Adhésion aux quinze rubriques contenues dans la charte ou simple paraphe montrant en avoir pris connaissance comme lorsqu’on émarge une note de service ? Il sera bien difficile de le savoir.
C’est l’institution scolaire publique, dans son fonctionnement comme dans sa démarche d’instruction et d’éducation, qui doit se conformer au principe de laïcité. Quant aux familles, la totale liberté leur est laissée dans leurs choix idéologiques dont l’expression publique est seulement limitée par la loi ; ce que dans celle de 1905 on appelle « l’ordre public ». Et en ce qui concerne l’école publique c’est la non immixtion de toute pression religieuse ou politique dans le contenu des apprentissages comme dans la vie quotidienne des établissements.
Indépendamment du fait qu’une telle disposition risque de créer des conflits (que faire lorsqu’une famille refuse de signer ? Ne rien dire et mettre l’institution en position de faiblesse ou insister et susciter une bronca…) elle conduit les enseignants à se transformer en gardiens d’une morale d’État.
Morale d’État avec laquelle pourtant l’État lui-même semble s’accommoder en entretenant institutionnellement des établissements (écoles, collèges, lycées et facultés) confessionnels pour lesquels il serait grotesque de demander aux clients de signer la Charte de la laïcité ! Il est donc entendu que si une partie des parents d’élèves est appelée à se conformer à la laïcité, une autre peut s’en affranchir… Matérialisant ainsi encore un peu plus la fracture sociale.
Ne devrait-on pas plutôt faire signer une Charte de la laïcité aux élus politiques qui ne manquent pas de se rendre, es qualité, à des cérémonies religieuses aussi diverses que les canonisations, fêtes rituelles de divers cultes, commémorations patriotiques marquées par une messe et autres bénédictions lors de fêtes locales placée immanquablement sous un saint patronage…
Article paru dans le numéro 58 de « Combat laïque », bulletin du CRÉAL-76 dont on peut consulter le site : http://www.creal76.fr
Livret laïcité : la laïcité scolaire poursuit sa mue identitaire
A propos de signature, il faut rajouter qu’en droit, elle ne peut avoir de valeur que si l’on reste libre de la refuser. Ce qui n’est évidemment pas le cas ici. Vous me direz que c’est un peu la même chose lorsque l’on fait signer le règlement scolaire par les élèves…