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Lettre ouverte de la Communauté élève du Lycée Expérimental de Saint-Nazaire à l’attention de M.Peillon,

Monsieur le Ministre,

Si nous nous permettons de nous adresser à vous, c’est que nous estimons que les considérations qui vont suivre sont pertinentes , au regard de la vocation qui est celle du ministère de l’éducation
nationale.

Nous vous prions de croire, en effet, que cette lettre n’est pas (seulement) l’œuvre de quelques jeunes hommes et femmes idéalistes, qui auraient trouvé au sein d’un lycée expérimental, le dernier
espace qui saurait les prémunir d’une confrontation avec la réalité du monde. Bien au contraire, il nous semble que cette lettre, souhaitée et élaborée par les élèves, sans contribution aucune du corps professoral, soit la réalisation d’individus conscients et déterminés à exercer les responsabilités qui leur incombent (en tant qu’individus, lycéens, citoyens français, européens, membres de l’espèce humaine et finalement, éléments particuliers inclus dans un ensemble biosphérique interdépendant)

C’est à la lumière de ces responsabilités réaffirmées que nous sommes bien obligés d’admettre – et cela ne vous surprendra aucunement – l’éminente importance, l’enjeu sociétal considérable que
constitue l’éducation. A cet égard, nous pensons que l’expérimentation scolaire et la liberté pédagogique, notamment telle qu’elles ont été développées au Lycée Expérimental de Saint-Nazaire,
s’avèrent être des outils précieux, favorisant chez l’être en devenir une prise de conscience des responsabilités inhérentes à sa condition. Responsabilités visant à s’appliquer dans les sphères de
la citoyenneté étendue que nous avons définies plus haut.

L’expérimentation scolaire, avons-nous dit, permet l’avènement d’un sentiment de responsabilité, favorisé, par des structures qui n’entrent pas en conflit avec la nature empathique fondamentale de
l’être humain, en établissant, par exemple, le vivre ensemble à l’école dans la logique de la seule fonctionnalité opérationnelle. Négligence impardonnable qui destine ce type de systèmes à l’échec,
si les grands renforts de mesures disciplinaires ne venaient pas s’opposer aux conséquences inéluctables de ce manquement.

Plutôt que de placer les élèves dans un rôle de consommateurs passifs, les enseignants en dispensateurs d’une prestation préformatée, il est avéré que la responsabilité se trouve fortement
stimulée par l’intégration de l’individu au sein de processus collectifs où s’opèrent des échanges dynamiques, réciproques et fondamentalement créateurs de *sens*.

La plasticité pédagogique nous semble encore un facteur non négligeable favorable au développement de la responsabilité. Il nous semble, en effet, qu’elle autorise l’exploration d’horizons de la connaissance plus vastes que ceux abordés dans les programmes officiels mais disposant néanmoins d’une valeur éminente, en ce qu’ils déterminent une importante prise de recul à l’égard des doxas et autres systèmes de représentations qui fondent le rapport au monde de toute société. Force est de constater, en effet, que ce recul ne saurait être apporté par l’enseignement, lorsque celui-ci se borne à une acquisition technique vouée à former des individus réduits à leur seule dimension productive. Comment, alors, notre société pourra-t-elle faire face à l’ampleur et à la diversité des problématiques qu’elle a engendrées et qui, pour la première fois, remettent en cause notre survie même en tant qu’espèce ?

Pour cette raison également, nous pensons très sincèrement que l’éducation occupe un rôle primordial au sein d’une société puisque son rôle n’est autre que de former ceux-qui, dans un futur proche, seront en charge des structures sociétales auxquelles ils appartiennent : les citoyens d’un pays certes, mais pas seulement, car comment ne pas admettre l’obsolescence du concept d’une
citoyenneté bornée à l’échelle nationale dans un monde où l’interconnexion des enjeux, tant écologiques qu’économiques, sociaux ou encore liés à la portée de l’armement (nucléaires évidemment, mais encore bactériologiques) érige près de sept milliards d’individus épars en une communauté de destins singulière ?

C’est donc dans le contexte de ces défis à moyen et long terme, dont une planification inscrite dans la temporalité restreinte des mandats électoraux peine à tenir compte, qu’il faut, à notre sens,recontextualiser l’éducation.

Enfin, c’est sur l’appréciation subjective des structures pédagogiques par ceux qui les vivent que nous voudrions attirer votre attention. Nous avons, en effet, la prétention d’affirmer être mieux
au fait que vous ne l’êtes de cet aspect particulier. Qui de mieux placé, en effet, que les élèves pour parler de la condition d’élève ? Or il nous semble que la tendance majoritaire du vécu qu’a cette
population au sein de l’appareil éducatif français soit caractérisée par l’absence de sens apparaissant dans les activités effectuées.

Ce point là n’est plus sujet au débat. Il est un fait avéré et nous vous prions de prendre au sérieux la réalité du malaise, parfois souffrance aiguë, qui existe bel et bien en dépit de l’absence d’analyses réellement structurées que les individus en construction qui l’éprouvent sont en mesure de fournir. Cet état, en somme, qui caractérise l’expérience subjective d’une majorité d’entre nous, écoliers, collégiens et lycéens de France, soumis à une discipline instaurée par le seul biais de la sanction et ses deux modalités :positive ou négative. Notons à cet égard que la notation revêt d’ailleurs
un rôle majeur dont la pression sociale et parentale se fait le relais.

Toutefois, la politique du bâton-carotte si elle a fait ses preuves pour les ânes, ne semble pas adaptée à la formation de citoyens créatifs et responsables…

Ce que nous voudrions faire valoir ici, c’est que ce fonctionnement n’est pas inéluctable.

C’est du moins, ce qu’a démontré le Lycée Expérimental de Saint-Nazaire depuis plus de trente ans qu’il fonctionne. L’élève, le jeune, n’est pas cet être amorphe, apathique et réfractaire à toute
forme d’effort intellectuel que l’on voudrait nous faire croire. Si donc cette assertion dont nous portons la responsabilité détient quelques fondements, il nous faut en tirer les conséquences et
interroger sans plus tarder l’efficacité du modèle qui produit dans une proportion non négligeable des individus répondant à cette description.

Nous vous laissons le soin de cette expertise de longue haleine et voudrions plutôt, en ce qui nous concerne témoigner – ce qui peut être vous surprendra – de l’avis que nous partageons sur la réelle
jouissance intellectuelle qui naît de l’apprentissage et à quelle point elle nous semble être efficacement préservée dans ce contexte cocréatif et collaboratif que nous expérimentons dans notre lycée.
Elle est grandiose, décidément, cette joie d’apprendre quand elle a su mobiliser la curiosité de ceux qui apprennent, grandiose et pour tout dire, terriblement efficace : suscitant chez l’élève une rigueur
incomparablement supérieure à celle que parvient à engendrer tout système fondé sur l’appréhension de la sanction. Tout l’art de la pédagogie à notre sens est de parvenir à mobiliser la curiosité et la sensibilité propre de chaque individu et de lui donner les moyens de fructifier. D’où le rôle majeur du pédagogue qui, tout en préservant la curiosité de l’élève doit lui offrir les moyens de la transcendance à l’égard de l’horizon de ses intérêts a priori.

Nous ne vous cacherons pas l’enthousiasme partagé que nous avons à apprendre au sein de notre établissement. Cependant, comprenez que nous ne prétendons pas ici, présenter l’expérimentation spécifique du Lycée Expérimental de Saint-Nazaire comme la panacée universelle. Du reste, la notion même de modèle unique d’éducation nous semble tout à fait dépassée. C’est à la fois vrai pour le système dominant qu’un de vos prédécesseurs a lui même qualifié de dinosaure, si bien que si le Lycée Expérimental n’a pas vocation à se généraliser en l’état, ce à quoi nous vous appelons en revanche, est de recréer de véritables conditions favorables aux innovations pédagogiques dans des
structures elles même émancipées de leur formatage dont il est avéré qu’il ne peut répondre à la complexité des enjeux de notre temps.
Entendons-nous bien monsieur le Ministre, il ne s’agit en aucun cas ici, d’une attaque dichotomique qui s’adresserait à vous à titre personnel, ni même au corps politique, ou au parti que vous
représentez. Nous savons bien qu’aucun homme ni aucun corps constitué ne peut détenir les solutions qu’appellent les crises d’un monde contemporain hautement complexe. Jeremy RIFKIN, par exemple – dont le gouvernement Hollande a fait sienne l’analyse et le projet – est
éloquent à ce titre : il s’agit maintenant de rompre avec les logiques verticales qui sont celles du millénaire passé, rendues obsolètes dans un horizon culturel mondialisé, pour rentrer dans un
nouveau paradigme où les valeurs clés seront collaboratives, définies par la communication latérale permettant de dégager une intelligence collective procédant d’une pensée enfin systémique.

Ainsi, la direction fondamentale de l’éducation, au sens plein du terme (sortir du sillon – s ‘élever), devra être la mise en place des structures et des processus permettant l’émergence d’individus
conscients des interdépendances fondamentales et de *savoirs êtres,* adaptés à cette nouvelle forme collaborative qui engendrera des connaissances et des solutions d’un niveau logique supérieur.

C’est pourquoi nous nous insurgeons contre les mesures, volontaires ou non, qui sapent effectivement les fondement de notre lycée et réclamons la création d’un statut particulier favorable à la poursuite du projet qui nous est cher et, plus largement, à la multiplication de ce type de structures. L’avenir apparaît en effet comme la diffusion de ces initiatives. La notion de solution locale aux problèmes est la clef, son évidence dépasse de loin ces promoteurs initiaux d’obédience écologique et s’impose aujourd’hui comme la composante essentielle d’un développement au plus près des réalités locales, condition déterminante du bon fonctionnement de l’ensemble.

Plus globalement, au niveau politique, nous avons noté avec satisfaction la récente évolution (dite « accélération ») du discours présidentiel et notamment son annonce relative à la transition
énergétique et écologique en parallèle de celle des Allemands. Si cette réponse, par le bais d’une grosse entreprise unique de type EADS, fleure bien encore l’ancien monde centralisé, elle a le mérite d’exister et de combler l’affligeant retard de la France pour la troisième révolution industrielle qui a pourtant fait l’objet d’une déclaration officielle du Parlement Européen dès 2006.

Pourquoi cette remarque ? C’est que, comme Jeremy RIFKIN le précise jusque dans le titre de son livre, cette troisième révolution industrielle escomptée résolutive d’une crise à la fois économique,
écologique et sociale, réclame l’avènement du *pouvoir latéral*.

C’est pourquoi il nous semble en conséquence, que c’est votre responsabilité que d’y préparer les nouvelles générations en changeant le paradigme de l’organisation à la tête de laquelle vous
siégez.

Nous n’avons pas trouvé, pour clore cette lettre, le moyen de ne pas mentionner ces quelques lignes qu’écrivait le poète et visionnaire Khalil Gibran il y a près de cent ans, nous vous les livrons telles
quelles :

Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier.

Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini, et Il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l’Archer soit pour la joie;
Car de même qu’Il aime la flèche qui vole, Il aime l’arc qui est stable.

Courrier élaboré au Lycée Expérimental de Saint-Nazaire par les élèves, Aymeric Chauzat, Baptiste Dorbeau, Baptiste Gaillard, Cécile Lebreton, Charlotte Bonno, Mathéo Even, validé par la communauté élèves.

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