Jean-Yves Mas nous transmet ce texte paru sur le site du Monde, merci à lui d’avoir pensé à Q2C !
Le Monde.fr | 31.01.2014 à 15h43 |Par Jean-Yves Mas (enseignant)
Venant d’apprendre que, selon Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale ”la théorie du genre ne sera pas enseignée à l’école” je pense que ses propos concernent sans doute l’enseignement de la théorie du genre à l’école primaire, car pour ma part, en tant que professeur de science économiques et sociales (SES) dans l’enseignement secondaire, cela fait bientôt 25 ans que je l’enseigne à mes élèves, non par volonté de prosélytisme, mais tout simplement parce que l’analyse des inégalités liées au genre, et donc ce qu’il est convenu d’appeler la « théorie du genre », fait partie des programmes officiels de ma discipline.
En effet, en seconde, le programme comporte la question suivante : ”Comment devenons-nous des acteurs sociaux ?”, afin de traiter cette problématique les instruction officielles indiquent qu’ ”On montrera que la famille et l’école jouent chacune un rôle spécifique dans le processus de socialisation des jeunes. On prendra en compte le caractère différencié de ce processus en fonction du genre et du milieu social”. De même le programme de première, pour traiter la question”Comment la socialisation de l’enfant s’effectue-t-elle ?” précise qu’ ”on étudiera les processus par lesquels l’enfant construit sa personnalité par l’intériorisation/ incorporation de manières de penser et d’agir socialement situées(…). On mettra aussi en évidence les variations des processus de socialisation en fonction des milieux sociaux et du genre, en insistant plus particulièrement sur la construction sociale des rôles associés au sexe”. En terminale , le programme de l’option Sociologie et science Politique (SSP) comporte une question intitulée ”Comment s’organise la compétition politique en démocratie ?”, et les instructions rajoutent :”Centré sur le gouvernement représentatif, ce point permettra d’étudier les enjeux socio-politiques de la compétition électorale contemporaine. (…). On identifiera les biais liés au genre et la difficulté particulière rencontrée pour assurer une représentation équitable des deux sexes en politique.”
SENSIBILISER LES ELEVES
On le voit, les questions abordées par l’enseignement des SES permettent de sensibiliser les élèves aux inégalités hommes/femmes que ce soit dans les sphères domestiques, professionnelles, scolaires ou politiques. Mais L’enseignement des SES permet aussi lors de l’étude de ”la socialisation” d’analyser les pratiques sociales à l’origine de ces inégalités, et notamment la persistance de différences notables dans les attitudes encouragées ou découragées selon le genre de l’enfant par les institutions de socialisation. L’étude des catalogues de jouet à Noël se révèle à ce propos tout à fait instructive et suscite de plus un vif intérêt de la part de nos élèves.
Enfin les programmes de SES permettent de montrer, dans le chapitre consacré aux conflits sociaux et à leur évolution, que face à la domination masculine les femmes ne sont pas restées passives mais qu’elles ont lutté pour leur émancipation notamment par leur mobilisation collective.
Grâce à ces luttes elles ont obtenus certains acquis dont il est important de souligner la fragilité puisque ceux-ci sont souvent menacés. Nous tenons de plus à préciser que sensibiliser les élèves aux inégalités de genre, ce n’est en rien proposer un enseignement moralisateur et ”politiquement correct”, mais c’est, en partant du constat factuel des inégalités entre homme et femme, montrer comment les sciences sociales, conformément à leur projet fondateur, expliquent les représentations et les pratiques sociales des individus par le rôle de la socialisation et de l’environnement socio-culturel dans lequel ils évoluent. Précisons que les savoirs transmis lors de l’étude des inégalités de genre sont des savoirs ”stabilisés”, établis par de nombreuses études et enquêtes de terrain répondant aux critères élémentaires de la scientificité, comme l’ensemble des savoirs transmis dans le cadre des programmes scolaires.
Notre objectif est d’essayer de déconstruire certains stéréotypes sur le genre afin notamment de ”dé-naturaliser” des comportement ou des pratiques qui sont avant tout de nature sociale. Car les dominants ont toujours intérêt à naturaliser des situations qui sont le produit de rapports de force. En effet les inégalités liées au genre ne doivent rien, ou en tout cas, très peu à la nature, à l’instinct ou à une quelconque tradition, mais beaucoup voire tout, aux rapports sociaux entre homme et femmes. Elles n’ont donc rien de naturelles ni d’immuables. En montrant que le genre est une construction sociale, les SES, conformément à leur vocation citoyenne, s’inscrivent aussi dans un projet éthique qui vise à lutter contre toutes les formes de discriminations liées au sexisme, de même que dans d’autre partie de notre enseignement nous entendons lutter contre le racisme ou l’homophobie.
Pour notre part nous considérons que La théorie du genre est bien l’exemple emblématique d’une théorie émancipatrice puisqu’elle produit des savoirs qui peuvent avoir des effets sur les pratiques et les représentations des individus. Voilà pourquoi la théorie du genre correspond à un moment fort de notre enseignement et nous nous opposerons énergiquement à toute tentative visant à remettre en cause sa place dans nos programmes.
Jean-Yves Mas, professeur de SES au lycée de Montreuil (93).