C’est avec retard que je suis allé en curieux place de la République à Paris pour passer une partie de la nuit, debout (d’autres camarades de Q2C y ont traîné leurs guêtres depuis plus longtemps et Libertalia, notre éditeur, y a posé sa tente depuis la manifestation du 31 mars). L’écho sur les réseaux et la ferveur des retours de camarades étaient plutôt incitateurs.
J’ai trouvé l’ambiance étrange et je me suis senti sur le coup décalé.
Non pas que je fus surpris ou étranger à ce qui se passait : j’adhère à l’appel en dépit de son vocabulaire; j’ai de la sympathie pour le journal Fakir; j’ai reconnu des visages, salué des connaissances, j’ai apprécié des modes d’organisation du temps et de l’espace et de la parole qui m’étaient familiers. Mais sur la place, au soleil couchant, l’ensemble s’agençait de façon nouvelle. Cette étrangeté ne tenait pas à une soudaine prise de conscience du temps qui s’était écoulé depuis le dernier mouvement social d’envergure (2003 ?). Elle ne se résumait pas davantage au constat rassurant et encourageant de voir une majorité de jeunes militants et militantes à la manœuvre et à l’organisation de l’occupation. Elle résidait dans le seul fait de voir une assemblée hétéroclite composée d’anciens militants et militantes aguerris, de zadistes urbains, de lycéens et d’étudiants affairés, de badauds interpellés, de salariés de passage, de révoltés, de sdfs, de fakirs transparents et de noctambules en voie de politisation s’organiser sur les principes de la démocratie directe, comme si cela allait de soi. Ça c’est nouveau !
A Nuit debout
, des commissions à l’Ag, j’ai vu une même volonté de garantir la liberté d’expression de tous et toutes en faisant respecter la parité, la mixité, la rotation et la durée limitée des tours de parole. Le mouvement des indignés et des ZAD ont servi de modèle et ont apporté leur lot d’inventions : j’y ai retrouvé l’usage spectaculaire d’une gestuelle expressive et symbolique qui non seulement remplace efficacement la claque, les lassis et autre usages rhétoriques dans les assemblés, mais permet le vote et la contradiction dans la tempérance. Ainsi si quelqu’un ou quelqu’une n’est pas d’accord avec une proposition ou les propos d’une prises de parole au micro, il ou elle lève et croise ses deux avant-bras. Il ou elle est invitée à la fin de l’intervention à prendre le micro à son tour et à apporter sa contradiction. Lors de l’Ag, un nouveau signe a été proposé : pour éviter les effets démagogiques de certains tribuns improvisés, on peut indiquer à l’intervenante ou l’intervenant avec un geste emphatique mimant le gonflement de la tête, qu’il en fait trop… cette proposition a été ovationné quasi silencieusement par un envol de mains papillonnantes de droite à gauche. Le même envol a encouragé un sdf à l’élocution difficile. Il a conclu son intervention par une belle saillie : Nuit debout, Valls à genou ! (je rajouterais Nuit sur le bitume, Macron dans le goudron!) Certains déjà critiquent le caractère naïf des prises de parole et des positions de l’Ag. Le fait qu’elle ait passé la moitié de ses délibérations à commenter la prétendue expulsion des provocateurs, Alain Finkielkraut et Valérie Genest, peut être un symptôme d’une recherche confuse d’identité. Certains redoutent qu’à vouloir paraître neuve la Nuit debout en oublie son inscription dans le mouvement social et syndical. Qu’elle oublie la lutte contre la réforme du droit du travail…
Ces innovations ne sont pas des gadgets. Elles sont assez cohérentes avec le projet global de ces nuits tel que je le comprends : refaire la révolution et réécrire un nouveau contrat social. Elles participent de la volonté de rompre non seulement avec la démocratie représentative et participative mais également avec les traditionnelles assemblés délibératives des mouvements sociaux et les intersyndicales qui en sont les calques.
Pour moi, il y a dans cette structuration de la parole et de la décision, une rupture plus grande que dans les objectifs déclarés de certaines commissions : remplir un cahier de doléance ou construire une nouvelle constituante. Les références à la Révolution de 89 et 92 sont explicites mais ces actions restent des gestes symboliques.
En rester à ces critiques serait s’aveugler sur les enjeux du mouvement social actuel.
Le collectif On bloque tout !
La force de Nuit debout ne réside pas dans la qualité de ses débats ni le spectacle de ses contradictions, que le sur-médiatisé Finkielkraut a beau jeu de conspuer de sa morgue académique, mais dans son état de fait : c’est une occupation d’un espace public où les gens veulent se réunir et rester ensemble. Replacé dans le contexte de l’état d’urgence, de la propagande médiatique quotidienne en faveur du capitalisme triomphant, le fait que cette occupation fasse modèle, se répande en banlieue et dans d’autres capitales régionales est un frémissement que nous aurions bien tort de négliger.
Je retournerai à place de République car je fais le pari que les battements des papillons nocturnes produiront des effets !
Des sites pour s’informer et continuer la réflexion :
- L’appel à signer du collectif On bloque tout !;
- la télé et la radio de Nuit de bout
- La pétition de Nuit debout;
- Les Cr d’Ag de Nuit debout sur Convergence des luttes.
Les papillons de la Nuit debout : quand je vous lis.
Je garde les mêmes gestes et vais les proposer en cours avec mes élèves après un tour tardif à Nuit Debout Toulouse dont les sentinelles fatiguent. J’ai 53 ans donc je pourrais être la mère de beaucoup de ces jeunes qui ont l’âge de mes enfants. Je suis une intellectuelle et un personnel de l’Education Nationale en déroute, une militante de l’attention à porter à l’autre dans la formation des personnes et j’apprécie d’entrer en dialogue avec d’autres(qui ne partagent pas tous ces traits avec moi précisément) sur notre vie . J’ai été tentée d’intervenir sur la parité à propos de mon métier et de mon enseignement , je ne l’ai pas fait. Il y a eu , ce soir-là, beaucoup de paroles à propos des végétariens et de la viande … Oui, aussi. Et il y aura d’autres soirs.
Les papillons de la Nuit debout
Merci et bravo. Je partage vraiment votre analyse. Je m’y suis rendu à plusieurs reprises et je suis vraiment enthousiaste sur ce que j’en ai compris, ressenti. C’est un vent nouveau, une fleur sauvage qui doit encore grandir et peut-être, pourquoi pas, nous emporter vers une transformation sociale et écologique de notre société …