Les élèves de CP seraient tous et toutes censés passer à partir du lundi 21 janvier une nouvelle session d’évaluations nationales en français et en mathématiques. Malgré le fiasco de la session de septembre, le ministère remet cela. Si « des remontées des écoles ont été prises en compte » explique le « guide » à destination des enseignant.e.s, ces « remontées » concernent uniquement le temps de passation (trop long) et les bugs informatiques des serveurs, les critiques didactiques et pédagogiques n’ont quant à elles pas fait changer d’un iota le contenu des évaluations.
Dans son « guide », le ministère explique que « les exercices que vous allez proposer à votre classe ne constituent pas un examen ou une épreuve qui aurait pour objet de classer les élèves ou les écoles les uns par rapport aux autres ». Pour autant, on ne peut que partager l’avis de l’intersyndicale qui dans une lettre au ministre du 14 janvier écrit « si l’objectif est d’évaluer le système éducatif, nous disposons déjà de beaucoup d’évaluations nationales et internationales et des évaluations sur échantillon sont suffisantes, nul besoin donc de les généraliser. A moins qu’il ne s’agisse d’utiliser ces évaluations pour imposer des pratiques, réduire la liberté pédagogique, pourtant nécessaire à l’efficacité d’enseignements adaptés aux besoins des élèves, voire pour évaluer le travail des enseignants au travers des résultats des élèves. Le ministère assure qu’il n’en est rien, il est permis d’en douter ». S’il nous est permis de douter, c’est que le ministre dans le projet de loi pour une école de la confiance (article 9) annonce justement une nouvelle politique d’évaluation non pas du système scolaire mais des « établissements scolaires ». « Chaque établissement scolaire bénéficie d’un diagnostic régulier, portant sur l’ensemble de ses missions : enseignement, progrès des élèves, projets pédagogiques, climat scolaire, explique Jean-Michel Blanquer. La France est en effet l’un des derniers grands pays à n’avoir pas développé une politique nationale d’évaluation de ses établissements scolaires ».
Jean-Michel Blanquer s’inspirerait donc de ce qui se fait à l’international. Cela rappelle la sombre histoire du No Child Left Behind Act états-uniens (NCLB)[Pour des critiques anglophones du No Child Left Behind Act, lire [Le No Child Left Behind Act : un modèle pour Blanquer ? sur Q2C>]], qualifié quinze ans après sa mise en place de « pire loi fédérale sur l’éducation jamais passée » par l’historienne de l’éducation américaine Diane Ravitch. Promulgué en 2002 sous la présidence Bush, le No Child Left Behind Act est présenté comme un moyen d’améliorer le niveau général des élèves et de combattre les inégalités (notamment entre groupes ethniques). La loi impose aux états de mettre en place des tests standardisés en anglais et en mathématiques, et fixe des objectifs de progressions pour les établissements scolaires. Les établissements qui ne répondent pas à ces objectifs risquent d’être « restructurés », voire même privatisés en étant transformé en charter schools (des sortes d’écoles privés sous contrat). Rapidement, les effets pervers de cette culture de l’évaluation se font ressentir : diminution des enseignements non-évalués comme l’EPS, l’histoire et les disciplines artistiques, bachotage, triche, tests réguliers pour préparer aux tests, suppressions des récréations… On observe par ailleurs une augmentation du mal-être des enseignant.e.s et une prévisible pénurie d’enseignant.e.s au niveau national.
En 2007, les chercheurs en sciences de l’éducation australiens, Allan Luke et Annette Woods, décrivaient bien le processus de transformation de l’école à l’œuvre dans le NCLB dans un article visant à contribuer au débat concernant les politiques éducatives de leur propre pays. Comparons ce qu’observaient les deux chercheur.e.s en 2007 et ce qu’on observe aujourd’hui :
Discours amenant au No Child Left Behind Act aux Etats-Unis selon Luke et Woods | Discours de Jean-Michel Blanquer en France en 2018 |
Les pratiques actuelles des enseignent.e.s pour l’enseignement de la lecture ne sont pas scientifiques et imparfaites. | « Enseigner est une science » répète Stanislas Dehaene, neuroscientifique et président du Conseil Scientifique crée par Jean-Michel Blanquer. |
Identification par le gouvernement et la sélection de méthodes scientifiquement vérifiées pour l’apprentissage précoce de la lecture qui insistent sur l’enseignement du code. | L’enseignement du code alphabétique est présenté comme fondamental dans l’apprentissage de la lecture avec la caution scientifique des neurosciences. Dans le « guide orange » (« Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP ») ou dans les ressources du dispositif « 100% réussite en CP », les enseignant.e.s sont ainsi fortement incité.e.s à adopter une méthode de lecture syllabique ( à tel point que Roland Goigoux, spécialiste de l’enseignement de la lecture largement reconnu dans l’institution parle “d’hypertrophie” de l’enseignement du code. |
Implantation d’un système d’évaluation fondé sur des tests standardisés à l’échelle nationale. | Les évaluations nationales en CP, CE1, 6ème et seconde. |
Qui mèneront à une augmentation des résultats des élèves, en particulier pour les enfants venant de groupes sociaux peu performants. | « Ce sont de vraies mesures de justice sociale. » expliquait par exemple Jean-Michel Blanquer pour parler des évaluations sur France Inter le 18 octobre 2018. |
Il faudrait bien entendu une étude plus détaillée. Les contextes américains et français sont peu comparables, à la fois d’un point de vue social et d’un point de vue institutionnel : le système éducatif américain est très peu homogène et centralisé, le NCLB est une des rares lois fédérales concernant l’éducation. Les spécialistes des politiques éducatives outre-atlantique pourront mieux que moi en tracer les dissemblances. Cependant, et ceci malgré la volonté du ministère de dissiper les craintes des enseignant.e.s, les parallèles sont nombreux entre la politique du ministre Blanquer et celle du NCLB américain. Le ministre devrait lire les bilans du NCLB, cela l’inciterait peut-être à la prudence.
Quant aux enseignant.e.s, les syndicats SNUIPP, SUD Education et CNT appellent à ne pas faire passer les évaluations, à bon.ne.s entendeurs.ses !