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Les Chroniques de Louise Thierry – N°2 Le 12 novembre

Louise Thierry, c’est une professeure des écoles dans les quartiers Nords de Paris, au milieu des petits élèves d’une cité du 19ème arrondissement. Elle travaille en pédagogie Freinet, enfin plus ou moins… Elle vous raconte ! Retrouvez les Chroniques de Louise Thierry ici.


Cette année, le 11 novembre est tombé un jeudi. Du coup, nous ne sommes pas allé.es à l’école.
Nous nous sommes retrouvé.es le vendredi, 12 novembre.
Une année, un 10 novembre pour être exacte, il y a longtemps maintenant, une élève avait lancé : « Mais pourquoi le 11 novembre c’est férié ? L’armistice, c’est un truc religieux, maitresse ? » J’avais répondu en lui suggérant de chercher le terme armistice dans le dictionnaire.
Alors s’en était suivi un vaste cycle d’enquêtes sur la Première Guerre mondiale où toute la classe avait trouvé son compte entre la mélancolie des poilus, les tactiques guerrières des tranchées, le virilisme des armes et la vie quotidienne des femmes et des enfants hors du front…
De cette classe, il reste une grande affiche, œuvre collective au sujet de la Grande guerre.
Il reste aussi, à la disposition des élèves qui passent ici depuis, les planches documentaires, conçues par mes soins pour nourrir les enquêtes d’alors.
Tout était bien parti d’elleux, de leurs questionnements, de leurs centres d’intérêts… que j’avais simplement nourris. Orthodoxie Freinet de l’enfant auteur de ses propres savoirs ; ou presque…

Cette année, personne n’a posé la question.
Alors, vendredi 12 novembre, c’est moi qui ai demandé : Au fait, quelqu’un.e sait pourquoi nous ne sommes pas venu.es à l’école hier ?
Parfois, même en se revendiquant pédagogue Freinet, la maitresse s’autorise à poser une question, pour activer le piège à désir : la maîtresse a prévu un TRUC !
Pour moi, ce n’est pas là que se situe l’enjeu de l’enfant auteur/rice.
Depuis cet été, une petite idée de trajectoire pédagogique, je l’espère émancipatrice, chemine dans ma tête ; souvent sous forme de rêveries…
On verra si ça prend et si le geste pédagogique était juste.

« Au fait, quelqu’un.e sait pourquoi c’était férié hier, le 11 novembre ?

– C’était l’Armistice. L’Armistice, ça veut dire la fin d’une guerre mais je ne sais plus si c’est la première ou la deuxième mondiale.

– Oui, tu as raison : on commémorait la fin de le Première Guerre mondiale. Mais pourquoi le commémorer chaque année, avec un jour férié, plus de 100 ans après l’événement ?

– Moi j’ai vu sur BFM que le président a enterré un ancien soldat de cette guerre dans un endroit spécial de cette guerre.

– On commémore ceux qui sont morts pour sauver la France.

– Et on voit aussi l’armée, les défilés militaires, ce jour-là, normalement. Moi ça m’intéresse parce que j’aime connaître les armes et les chars parce que je les utilise dans mes jeux vidéos.

– Hum… pour moi, la guerre, c’est quand même surtout quelque chose de difficile à vivre. Il ne faudrait pas l’oublier.

– Oui, ben quand tu vas à la guerre, en fait, tu fais un sacrifice : tu sacrifies la vie de ta famille et de tes enfants pour défendre ton pays. Maitresse, qui décidait d’aller à la guerre, en fait ?

– Pendant la Première Guerre mondiale, c’est le gouvernement qui a appelé tous les hommes ayant fait leur service militaire ou en âge de le faire à se mobiliser pour les combats. Les hommes ne choisissaient pas, ils étaient appelés. Si un homme décidait de ne pas se rendre au combat, il était déserteur. La désertion était punie par la loi.

– Je pense que la guerre, c’est un moment anormal où on trouve normal de tuer des gens pour des histoires de territoires alors qu’en dehors de la guerre ce n’est pas normal de tuer des gens. C’est sûrement pour ça qu’on fait des commémorations : pour ne pas oublier qu’on a fait des choses anormales. Je crois que la France et l’Allemagne se faisaient la guerre pour savoir qui allait récupérer des territoires qui étaient entre la France et l’Allemagne.

– C’est intéressant ce que tu expliques : tu as l’air de connaître pas mal de choses sur le sujet…

– Ben j’ai trouvé un livre sur cette guerre dans la classe. Au début, je l’ai regardé pendant le Silence on lit parce que je voulais connaître les armes et les tactiques de cette époque. (Ce livre, c’est le documentaire La Première Guerre mondiale, de la collection Les yeux de la découverte chez Gallimard Jeunesse. Il se trouve à la disposition des élèves, dans le bac « documentaires historiques » de notre bibliothèque de classe. J’essaye d’en avoir au moins un par… thème ? événement ? période ? …

Ashwin, tu disais tout à l’heure que la guerre devait être difficile à vivre. Moi je me demande vraiment comment les gens vivaient pendant la Première Guerre mondiale. D’ailleurs, j’ai trouvé un texte qui pourrait nous intéresser. Je vous propose qu’on le lise. »

………………………………

Activité classique de lecture silencieuse…

Jeudi 11 novembre, j’ai fouiné dans des manuels, même un peu plus anciens.

Ce n’est plus comme cela qu’on fait de l’histoire ? Peu importe… Moi, je crois que c’est juste de pratiquer ainsi dans une classe de CM2, avec la sensibilité de ces enfants…

Lectures thématiques, collection qui date de 2014, qui se dit conforme au BO de 2012. Ça existe en sciences, en géographie… Ici, c’est Lectures en Histoire. L’idée : faire de la compréhension de lecture en associant le travail en Histoire. L’ambition : donner à lire aux élèves différents types de textes et interroger, notamment, leur statut vis-à-vis de la discipline.

Pour moi, c’est l’occasion de m’arrêter sur un objet qui, dans le manuel, s’intitule Journal de Geneviève Darfeuil, juillet 1914 – novembre 1918. Le texte est en réalité extrait d’un journal pastiche conçu en 2012 par une certaine Sophie Hulmann pour le compte de la collection « Mon histoire », de chez Gallimard Jeunesse. Dans la classe, nous possédons plusieurs de ces journaux intimes pastiches. La collection est prolifique.

Toucher les enfants dans le silence de leur lecture, de leur découverte…

Les mots bruissent dans leurs têtes…

En 1914, Geneviève a quatorze ans. Elle vit à Paris. Dans son journal intime, elle raconte sa vie de jeune fille française pendant la Première Guerre mondiale.

Vendredi 8 octobre 1915

Mon frère est arrivé tout à l’heure.Il faut que je me change… […] Les poux, vous comprenez. » […]

Il est ressorti une demi-heure plus tard, rasé et en civil. […]

« Là-bas, on vit dans la terre, enfin sous la terre. […] Le plus dur pour moi, c’est quand je dois lance mes hommes dehors, à l’assaut des gars d’en face. Chaque fois, je sais qu’une partie va tomber là, au milieu des barbelés. Et le pire, c’est qu’il faut attendre la nuit pour aller les chercher. »…

S’interroger sur le statut d’un texte…

Les constructions de l’Histoire s’immiscent au cœur de la classe…

Repères pris, nous répondons à la question du manuel : A ton avis, ce document est-il le journal d’une jeune fille ayant réellement existé ? Qu’est-ce qui te le prouve ?

Flottements…

D’après Ellae, non, c’est Sophie Humann qui a imaginé le journal de Geneviève Darfeuil en 2012. Oui, mais il y a plein de détails réels sur la guerre, note Dayen. C’est donc vrai.

C’est vrai, ça ! Y a du vocabulaire de l’époque comme guêtres ou tranchés ou permission, renchérie Hassan.

C’est le moment d’apprendre la notion de réalisme…

Destiny s’écrie : « Sophie Humann est historienne ! Elle a dû trouver des traces de la vie de Geneviève Darfeuil en cherchant dans les archives. »

Nahla complète : « …Ou elle a même peut-être trouvé son vrai journal intime… Comme celui d’Anne Franck… Peut-être qu’il était abimé et qu’elle a imaginé ce qui manquait… » L’histoire d’Anne Franck fascine Nahla depuis quelques semaines. Fascination de l’écriture à 13 ans, de l’objet abandonné au nez et à la barbe des allemands, de la trace qui transcende la mort et fait œuvre de mémoire…

Dans la tête d’Amel, les lumières s’allument et se bousculent (Amel est une piplette, de ces petites filles à la pensée toboggan) : « Maitresse, la guerre entre les Allemands et les Français, là, ça me fait penser à l’autre livre que je lis : celui qui parle de la guerre entre la Prusse et la France en 1870. Tu m’avais pas dit que la Prusse ça avait à voir avec l’Allemagne ? Ils se sont battus souvent comme ça, les Français et les Allemands, au sujet de leurs territoires ? Parce que personnellement, sacrifier tous ces soldats pour ce genre de chose, je trouve ça un tout petit peu… pardon, maitresse, mais… idiot !Dans mon livre, c’est une autre petite fille qui s’appelle Louise et qui raconte comment s’était dans Paris en 1871 quand les Prussiens entourraient Paris et que le gouvernement avait laissé tombé le peuple. Ben c’était la révolution, ce truc, j’ai l’impression ! » (Le livre, c’est celui de Didier Daeninckx : Louise du temps des cerises – 1871 : la Commune de Paris. Il se trouve à la disposition des élèves, dans le bac « Des enfants à travers l’histoire » de notre bibliothèque de classe, avec ces fameux journaux intimes…)

Revenons au travail de Sophie Hulmann, l’autrice du journal intime de Geneviève Darfeuil…

Éléments de savoir sur le travail de l’historien.ne…
Quand les traces qu’elle trouve ne sont pas suffisante pour raconter la vérité, l’autrice fait d’autres recherches pour savoir précisément comment se passaient les choses à cette époque là.
Elle imagine certains éléments, mais uniquement des choses qui auraient vraiment pu se passer comme ça.
Elle cherche comment étaient les maisons, comment s’appelaient les gens, quels objets ils utilisaient, comment ils s’habillaient, quels métiers existaient, comment les choses se passaient dans les tranchés, comment les gens communiquaient, comment se sentaient les soldats… Par exemple, l’autrice ne peut pas raconter que Geneviève et son frère communiquaient avec un téléphone portable : cet objet n’existait absolument pas en 1914. Le téléphone fixe était aussi très rare.

Basekou se retrouve plongé dans un vertige temporel : la vie de ses semblables sans téléphone portable… « Mais alors ? Comment faisaient-ils pour se donner des nouvelles ? »

Je songe encore aux travaux des élèves de l’an dernier, à Ahmed et son histoire imaginaire mais réaliste d’Ahmed Kerbache, manœuvre du quartier de la Villette au temps de la Révolution industrielle… Et si les élèves de cette année s’emparaient de ce nouveau genre littéraire ?

Apprentissage à venir pour nos futurs textes libres…

On peut imaginer des histoires qui se déroulent dans le passé, cela s’appelle la fiction historique. Mais alors il faut bien se documenter pour être fort.e en détails réalistes et ne pas faire d’anachronismes.

A 13h20, pendant le Silence on lit, les documentaires historiques, les livres du bac « Des enfants à travers l’histoire » peuplent les tables, circulent sous les yeux et dans les têtes de mes petits élèves ; plus qu’à l’accoutumée. Les mots bruissent, les yeux pétillent, les imaginaires se remplissent…

Je ne lis pas cette fois : je regarde et je songe… à la suite de cette classe…

Semer des graines pour que les élèves s’autorisent, pour eux, à…

aller un jour à la rencontre de cette littérature dite classique, témoin des sociétés passé. Germinal et Le Ventre de Paris ; Illusions perdues et Une ténébreuse affaire
s’autoriser dès aujourd’hui à chercher pour s’emparer de l’Histoire, oser la construire et la penser…

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Mardi prochain, nous irons aux Archives de Paris pour un atelier sur La vie quotidienne des parisien.nes pendant la Première Guerre mondiale.
D’ici le mois de décembre, nous découvrirons le recensement des habitant.es d’une rue de notre quartier en 1926.
Qu’imaginerons alors les enfants ?


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