Ce 20 novembre sort le treizième livre de la collection N’autre école aux éditions Libertalia. Ce nouveau titre « Les chemins du collectif » » est une présentation de la pédagogie institutionnelle mise en perspective par l’expérience de terrain et le parcours militant de son auteur Andrés Monteret. Il répond ici à nos questions pour vous engager, nous le souhaitons, sur ces chemins du collectif.
Questions de classes (Qdc) : Le sous-titre de ton livre est “essais de pédagogie institutionnelle”, peux-tu nous expliquer le sens de ce mot “institutionnel” qui sonne un peu étrangement ?
Andrés Monteret (AM) : Cela peut paraître compliqué au premier abord mais en PI, les institutions sont toutes les formes d’organisation inventées par le groupe-classe pour faire vivre le collectif qui construit ses apprentissages. C’est là une différence majeure. C’est le groupe qui se donne les formes d’organisation qui permettent à chacun d’apprendre et non pas une mise en application des demandes de l’institution officielle. C’est vrai que ce terme « institutionnel » dérange au premier abord et amène souvent des confusions. En PI, il est clair qu’ instutionnel ne renvoie pas du tout à la pédagogie de l’institution « Éducation Nationale ». Historiquement, pour les militants de la PI, ce terme s’est même forgé en opposition à une conception hiérarchique, sélective et figée du modèle pédagogique porté par l’instruction publique. Devant le manque d’intérêt pour les apprentissages de la part des élèves, face au modèle d’organisation martiale de l’école, le constat était simple : l’institution « école publique » est sclérosée. Du coup il faut créer de nouvelles institutions dans les classes et les établissements pour faire revivre l’école. En PI, on dit souvent « faire de l’institutionnel » pour parler justement de la dynamique de réappropriation de la vie en classe. Faire de l’institutionnel pour ne plus subir une institution sclérosée. Le livre illustre les institutions possibles en classe de l’école à l’université.
Le terme institutionnel illustre le lien avec la psychothérapie institutionnelle qui existait avant la PI. C’est expliqué rapidement dans le livre car il y a une filiation entre ces deux pratiques alternatives dans le soin psychiatrique et en pédagogie.
Ce sous titre est aussi une référence à René Laffitte dont un des livres de référence de la PI porte ce sous-titre.
Qdc : Comment, et surtout pourquoi s’est faite ta rencontre avec la PI ?
AM : Ma rencontre avec la PI a été le fruit d’un questionnement de jeune professeur insatisfait. En début de carrière, je ressassais les contenus de l’IUFM (institution de formation des profs d’écoles à l’époque) avec des nombreuses heures à préparer mes journées de classe, à relire de la didactique, penser planification et organisation des contenus, c’est le jeu pour valider les étapes du concours de professeur des écoles. À cela s’ajoutaient mes représentations d’élèves. Mais le résultat final de ma pratique de classe ne me ressemblait pas, ne véhiculait pas mes principes de vie, mes aspirations politiques. Je travaillais à la Reynerie,quartier en éducation prioritaire en banlieue toulousaine, et avec du recul, je pense que ma posture professionnelle était un mélange de « super éducateur/super sauveur du monde ». J’étais sincère et j’y passais beaucoup de temps mais tout cela était bancale Ce sont des quartiers où beaucoup de militants syndicaux et pédagogiques se côtoient, je suis allé du côté de l’USEP pour sortir les jeunes de la cité, de l’OCCE pour essayer un conseil de coopérative en classe, de SUD Éducation pour garder un poil à gratter dans ma poche de fonctionnaire et je pense que tout ce tâtonnement personnel a permis cette rencontre. Tout simplement, un jour, un collègue qui me parle de son groupe de PI et des façons de travailler que cela permettait. Cela m’intrigue, il me prête un livre de René Laffitte et j’ai tenté quelques réunions avec ce groupe GPI 31 qui se sont révélé un déclic. Rejoindre ce groupe m’a ouvert les yeux sur des myriades de choses qui se jouaient en classe du point de vue politique, psychologique, organisationnel. J’ai découvert les pratiques Freinet, la psychanalyse et des organisations de classe tout en même temps et je trouvais ça tellement régénérant
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QdC : Dans ton introduction, tu dis qu’en entrant dans l’EN, tu as eu le sentiment d’avoir troqué le “passe-montagne zapatiste” du militant contre “le képi” du prof des écoles. Aujourd’hui, as-tu remis la main sur ton passe-montagne ?
AM : J’espère que je porte le passe-montagne plus souvent qu’à mes débuts et que je me suis aussi défait de mon costume de super sauveur ! À l’époque je faisais partie du collectif Chiapas de Toulouse, alors le sentiment d’être un gendarme en classe m’était insupportable et en même temps tellement justifié ! Punir et mettre au travail pour tenir mon planning et les fameux programmes ! Dans le film Viva Zapata ! d’Elia Kazan, deux scènes cultes (pour moi) se répondent et illustrent comment le pouvoir peut corrompre les révolutionnaires les plus intègres. Au début du film, une délégation de paysans, dont fait partie Zapata, vient réclamer le partage des terres au président dictateur du Mexique, Porfirio Diaz. Ce dernier, agacé par Zapata et ses remarques, lui demande son nom ayant repéré le perturbateur de la délégation. Plus loin dans le film, en pleine révolution Zapata, devenu chef de guerre, reçoit un soldat qui le met face à ses contradictions. On le voit alors demander aussi son nom à ce jeune révolté zélé comme l’avait fait Porfirio Diaz à son égard. En classe, cette scène me revenait en tête entre les multiplications et la lecture, quelle déception et quelle contradiction entre ma pratique et les principes et la lutte des zapatistes. Quelque soit la culture plus ou moins militante de chacun·e, le dilemme de ne pas être en cohérence avec ses propres valeurs traverse tout professeur·e.
En tout cas je suis convaincu que mes années de pratiques en PI m’ont permis de construire une vie en classe en cohérence avec mes aspirations politiques, en étant plus attentif au désir d’apprendre de chaque enfant, une classe où les élèves peuvent me remettre en question, où l’on décide ensemble des modalités de travail et des projets de classe avec des lieux de parole vraie comme disent les zapatistes. Bref penser la classe comme une expérience de transformation de son monde d’écolier… pour apprendre à transformer la société et non pas s’y insérer sans aucun sens critique.
Qdc : D’après toi quelles seraient les particularités de la PI par rapport aux autres pédagogies émancipatrices ?
AM : Depuis mon expérience de la PI, je dirais que la PI a une vision de la vie de classe colorée par les concepts de la psychanalyse, les dynamiques de groupe tout en se basant sur les techniques Freinet. Du coup, la PI apporte une analyse assez subtile des relations groupales et individuelles dans la classe et cela éclaire de façon pertinente les apprentissages et la vie du groupe. Enfin, toujours depuis mon point de vue, la PI a élaboré une méthode de travail entre adultes praticien·nes qui est fondamentale et très enrichissante pour sa pratique de classe comme pour son expérience personnelle.
Qdc : Quel(s) conseil(s) – en dehors de se précipiter sur ton livre – pourrait-on donner aux collègues qui voudraient eux aussi emprunter les chemins du collectif avec leur élèves, dans leur classe ?
AM : S’il faut donner un conseil, je dirais surtout qu’il faut se lancer et y aller avec la certitude que cela permet de se révéler à soi même le/la professeur·e qu’on aimerait être réellement. Cela peut paraître un effort énorme peut être à la fin du livre (j’espère que non!), mais la satisfaction de trouver des pistes pour mettre en cohérence ses pratiques professionnelles et ses convictions est vraiment gratifiante. Cela peut paraître pompeux de se révéler à soi même mais je pense vraiment que la recherche de sens et de finalités politiques de nos métiers de l’éducation est aujourd’hui un enjeu fort pour beaucoup de personnes sur le terrain.
La PI est une expérience qui fait des allers/retours permanents entre le collectif et l’individuel. Donc, pour son propre cheminement, c’est très porteur de rejoindre un groupe et de se sentir soutenu par d’autres personnes travaillant avec la même vision. C’est en vivant soi-même une dynamique collective que l’on peut bousculer ses propres pratiques et se défaire de certains conditionnements personnels. C’est ce qui est assez fou et fascinant, c’est que les chemins du collectif rassurent et bousculent en même temps, déconstruisent et affirment, bref ça maintient vivant.
Après, l’entrée en PI peut être motivée par bien d’autres dynamiques. Dans mon groupe de PI, certain·es avaient été plus amené·es à la PI par la place de la parole qu’elle permet, par la recherche permanente d’une place pour chaque élève, par la dimension psychanalytique, par les techniques Freinet… Les chemins sont multiples…
A commander sur le service librairie de Questions de classe(s) : https://www.questionsdeclasses.org/lalibrairie/
Andrés Monteret, Les chemins du collectif : Essais de de pédagogie institutionnelle, Libertalia (coll. N’autre école), 2020, 192 p., 10 €.