Menu Fermer

Lecture de Pour une écologie pirate, de Fatima Ouassak

couverture de Pour une écologie pirate

Fatima Ouassak, après La Puissance des mères, signe un second opus de ce qu’elle annonce être une trilogie : Pour une écologie pirate sous-titré Et nous serons libres dans lequel elle s’efforce de dessiner une stratégie et un projet politique écologiste pour et par les quartiers populaires, contre le « système colonial-capitaliste ». La fondatrice et militante du Front de mères, syndicat de parents d’élèves de quartier populaire, s’attache en outre à placer les enfants au cœur de sa réflexion. Elle s’attelle à « penser pour, avec et à partir des enfants », une préoccupation originale et qui nous interpelle en tant qu’éducateur/rice.

Désancrage et système colonial-capitaliste

Le livre reprend de nombreux acquis des « écologies décoloniales » qui commencent à faire leur place à l’intersection des luttes écologistes et antiracistes (on pense notamment aux collectifs qui luttent sur la question du chlordécone aux Antilles ou au Collectif Vietnam-Dioxine sur la question de l’agent orange). Le lien entre hiérarchisation (raciste) des individus et destruction des milieux de vie est réaffirmé. Tout comme l’État a empoisonné les Antillais.es au chlordécone, il accepte que les enfants des quartiers populaires s’empoisonnent en respirant un air pollué et en ayant une alimentation de piètre qualité.

Cependant, là où des penseurs comme Malcom Ferdinand (Une écologie décoloniale) situent leur réflexion depuis le monde caraïbéen mettant au centre de la réflexion l’économie de plantation et la possibilité d’une écologie « marrone », Fatima Ouassak parle depuis son « territoire », sa terre à elle – les quartiers populaires des banlieues métropolitaines – et l’expérience de l’immigration postcoloniale.

La question du territoire (qui “dit déjà la race” remarque-t-elle), ou plutôt de la « terre » est en effet centrale dans la réflexion de la militante. Observant la difficulté des quartiers populaires à s’organiser sur les questions écologiques (et l’incapacité du mouvement climat à dépasser une vision coloniale des quartiers populaires), elle émet l’hypothèse d’un « désancrage » des habitant.es des quartiers populaires à leur « terre », désancrage lié à l’expérience de l’immigration mais surtout aux politiques coloniales auxquels ils/elles font face au quotidien. Elle montre par exemple comment le racisme et l’islamophobie en particulier, empêchent certains sujets comme l’alimentation, la spiritualité ou la libération animale, d’être questionnés depuis la situation des habitant.es des quartiers populaires.

Il y a un continuum colonial entre le désancrage lié à la spoliation dans les colonies, et et le désancrage des habitant.es dans les quartiers populaires. La même politique a maltraité la terre des colonies (par exemple avec des essais nucléaires dans le Sahara rappelle Fatima Ouassak) et continue à maltraiter la terre des quartiers populaires. Une similaire gestion policière de l’espace publique empêche d’être libres chez soi. Ainsi, une écologie pensée depuis les quartiers populaires se veut moins une protection de la nature qu’une libération, une « libération avec elle [la terre]». Ainsi, c’est dans un même mouvement qu’il faudrait lutter contre l’occupation policière du territoire et la mauvaise qualité de l’air, les deux facettes d’un même “étouffement” des enfants des classes populaires.

Ce « désancrage », c’est aussi la perspective toujours « utilitaire » employé par l’État comme par les partis de gauche et le mouvement climat sur les quartiers populaires. Les habitant.es des quartiers sont toujours considéré un « réservoir » de main d’œuvres, de consommateurs, de voix pour les élections, de corps pour les manifestations, mais jamais comme des sujets politiques dont on pourrait reconnaître la capacité d’organisation, la liberté et la dignité. Ainsi, Fatima Ouassak dans une perspective qui est aussi celle de la « décroissance » insiste sur le caractère improductif des comportements les plus stigmatisés des habitant.es de quartiers populaires : que cela soit la sâlât (les cinq prières par jour en Islam) ou le fait de « traîner dehors avec ses amis, sans rien faire d’utile ». Ces pratiques jugées improductives du point de vue du système colonial-capitaliste n’en sont pas moins de celles qui peuvent permettre de « réanchanter les lieux de vie », c’est-à-dire de se sentir pleinement chez soi, habitant.e de sa terre.

Liberté de circulation et internationale méditerranéenne

Cette nécessité de l’« ancrage territorial » (« ici on est chez nous ! »), Fatima Ouassak la combine avec une revendication sur la liberté de circulation, que cela soit au sein des quartiers face à la police et à la la résidentialisation, mais aussi entre les deux rives de la Méditerranée. En effet, si le projet de libération est pirate c’est qu’il rend aussi hommage aux goût pour l’aventure et le franchissement des murs. L’enjeu d’une écologie populaire, c’est aussi de rendre leurs rêves aux enfants, de leur permettre « de voir la mer ». Si Fatima Ouassak clame la nécessité de s’ancrer dans sa terre (et sa terre c’est la Seine Saint-Denis), elle établit une immense solidarité entre celle-ci et l’Afrique. Il s’agit de considérer avec dignité ceux et celles qui traversent la Méditerranée, et de se donner la possibilité de les accueillir. D’ailleurs, « être chez soi, [n’est ce pas aussi] pouvoir accueillir » ? Enfin, la nécessité d’accueillir les migrant.es venu.es du Sud, c’est aussi commencer à penser la question écologique de l’adaptabilité, non plus du point de vue des classes dominantes du nord, mais des classes populaires du Sud : la liberté de circulation permet « d’anticiper la mise à l’abri ». D’autant que la lutte contre la catastrophe climatique en cours ne pourra se passer d’une perspective internationaliste intégrant les pays du Sud. Quoi de mieux que les quartiers populaires, où l’attachement à la terre est déjà à la fois ici et là-bas, pour déployer cette internationale ? L’essai laisse place à un rêve stratégique (ou une stratégie de rêve?) : et si, les quartiers populaires, construisant leur autonomie politique, se fédérer avec d’autres sujets politiques africains dans une internationale autour de la Méditerranée ?

L’enfance, la libération et la piraterie

Oui, il y a une part d’imaginaire dans ce projet politique. « La libération c’est une aventure avec des dragons et des pirates » écrit-elle. Il faut avoir des rêves pour se libérer : et d’ailleurs, Verdragon, cette maison de l’écologie populaire qu’elle a participé à fonder à Bagnolet, n’apparait-elle pas comme une petite utopie ? Comme un bateau de pirate avançant contre la tempête ?

On l’écrivait au début de cet texte : Fatima Ouassak apporte une attention particulière à la question de la culture et de l’enfance. Il faut travailler à la « valorisation et la transmission des luttes passées et des victoires à raconter – à conter et même à chanter aux enfants ». Celles de luttes décoloniales et écologistes : de la libération de l’Algérie à la lutte contre la centrale nucléaire de Plogoff en passant par la Palestine. Conter l’émancipation que cela soit à partir du manga One Piece ou avec des contes pour enfants comme celui du « Roi Kapiste » que l’autrice nous propose à la fin de son livre. Avec Fatima Ouassak, il y a une circulation intéressante entre l’univers des luttes et celui de l’enfance : les deux se nourrissent d’imaginaire, de rêves et d’autres discussions « improductives ». Dans le passage « la ville aux enfants  – et nous serons libres », elle écrit « il faut réenchanter les lieux de vie, en faire des lieux où les enfants peuvent vivre leur vie d’enfants, reprendre leur place volée par les murs, la police, les voitures », elle conclut en remarquant que tout espace dédié au jeu, c’est-à-dire à un usage improductif, est un espace libéré « à l’usage de tout le monde ».

« Il faut réenchanter les lieux de vie, en faire des lieux où les enfants peuvent vivre leur vie d’enfants, reprendre leur place volée par les murs, la police, les voitures. »

Fatima Ouassak, Pour une écologie pirate

La liberté de circulation qu’elle soit celle des enfants ou celles des femmes, remarque-t-elle, est aussi un enjeu important d’autonomie dans un contexte patriarcal où la majorité des violences sont faites à l’intérieur de la maison. « L’enfant est d’autant plus en danger qu’il lui est difficile de sortir. Plus l’extérieur est vivant, habité, solidaire et politique, moins le dedans est dangereux pour les enfants. Ils sont protégés quand ils peuvent aller et venir facilement, circuler facilement entre le dedans et le dehors ». Rares sont les essais politiques (mise à part ceux qui traitent spécifiquement de l’enfance) qui laissent une place aussi importante aux enfants dans ses pages et dans les luttes. Fatima Ouassak propose même une pratique politique/pédagogique pour permettre aux enfants d’exprimer leur point de vue sur la ville : réutiliser les pratiques de cartographie subjective « à l’aide d’immenses cartes, de maquettes, de soldats de bois et de pâte à modeler » pour restituer des « parcours d’enfants ». Ces perspectives permettent de repolisier à nouveaux frais les réflexions d’urbanistes et de géographes sur l’enfance et la ville comme celles du libertaire américain Colin Ward (Les enfants dans la ville), celles tracées par l‘expérience des enfants du quartier Pjip qui en 1972 mène une lutte pour piétonniser les rues de leur quartier , ou encore plus récemment celles de Francesco Tonucci (La ville des enfants).

Il y a un an, j’appelais à penser une « une didactique pirate des relations avec le vivant » dans un article qui s’attelait à réfléchir politiquement les enjeux pédagogiques autour de la classe-dehors. Sûr que Pour une écologie pirate participera à armer les pédagogues qui réfléchissent, depuis les écoles populaires, à l’écologie en lien avec le « dehors » de l’école.

Fatima Ouassak, Une écologie pirate, La Découverte, 2023, 198p, 17€

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *