Le système capitaliste de domination se présente, lui-même, comme le seul modèle d’organisation sociale possible et obtient des dominés un « consentement par défaut » plutôt qu’une adhésion réfléchie. Contribuent à ce phénomène deux dispositifs de production symbolique – les média d’information et l’École. L’idéologie dominante s’est réfugiée dans un fatras de lieux communs de philosophie sociale et de « sciences humaines » distillé quotidiennement au grand public par l’ensemble des média. L École, elle-même, naguère « libératrice », est devenue aujourd’hui « conservatrice », « tant son souci, explicitement partagé par les familles et le corps enseignant, est “d’adapter” aussi étroitement que possible les jeunes à l’ordre existant ». La sociologie critique d’inspiration bourdieusienne éclaire la nature et les modalités de ce consensus en articulant dialectiquement les deux formes du social, « le dehors et le dedans ». Contrairement à l’évidence, le monde capitaliste ne se réduit pas à une donnée objective, le monde qui nous entoure. Il est aussi, et à certains égards surtout, notre monde intérieur. Dès lors, se battre contre le système capitaliste c’est aussi, en quelque manière, se battre contre une part de soi-même, « contre le petit-bourgeois opportuniste qui sommeille en chacun, prêt à s’éveiller à l’appel des sirènes ». Il est vain d’appeler à lutter contre un système de structures objectives de domination si l’on n’a pas compris que ces structures sont aussi indissociablement des structures incorporées, les structures de personnalité que notre mode de vie nous a inculquées depuis l’enfance. Par un travail de réappropriation de soi-même ou « socioanalyse », Alain Accardo met à jour « l’inconscient social » qui conditionne notre adhésion spontanée à l’ordre établi. L’activité scolaire-universitaire, par exemple, montre par quelles médiations complexes, souvent inaperçues des intéressés, la logique de la domination sociale peut s’introduire dans des pratiques.
Cet ouvrage, pour sa 3ème édition, n’a rien perdu de son actualité, tant le prétendu « nouveau monde » ressemble tellement à l’ancien. L’auteur, professeur honoraire de sociologie à l’Université Bordeaux-Montaigne, auteur de nombreux ouvrages dont une Introduction à une sociologie critique. Lire Pierre Bourdieu, tient une chronique dans La Décroissance.
Alain Accardo, Le petit-bourgeois gentilhomme. Sur les prétentions hégémoniques des classes moyennes, Agone (coll. éléments), 2020, 155 p., 8 €.