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Le Lien, un roman graphique de Mathilde Levesque et Minh Nguyen

Couverture du Lien. Fond rouge, une salle de classe.

Le Lien – Mathilde Levesque, Minh Nguyen, Editions Payot & Rivages, 2023

« Ce livre s’adresse à celles et ceux qui, quand tout vient à manquer, croient encore à la puissance de ce lien noué dans l’intimité des classes. »

Quatrième de couverture

"Occupez vous des autres madames, moi je ne comprends jamais rien, perdez pas votre temps"
Dialogue entre l'enseignante et une élève.

Mathilde Levesque est agrégée de lettres modernes et docteure en langue et littérature française. Elle enseigne au lycée Voillaume d’Aulnay-sous-Bois dans le 93. Minh Nguyen est autodidacte et signe ici sa première BD en tant qu’illustrateur. A elleux deux iels viennent de sortir Le Lien, une bande dessinée qui suit des élèves de seconde durant une année scolaire. Pas d’histoire linéaire mais des tranches de vie au lycée. Ces tranches mises bout à bout dressent le portrait de ce qui lie enseignant.e et élèves. Une juxtaposition croquée au fil des mois, avec, au fur et à mesure, un lien qui se créé.

A la lecture de cette BD je ne peux m’empêcher de penser à Saint-Exupéry et à son Petit Prince :

– Bonjour, dit le renard.

Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli.

Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.

Ah! pardon, fit le petit prince.

Mais, après réflexion, il ajouta :Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?

C’est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens… » Si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. »

Le Petit Prince, Chapitre 21

Mathilde Levesque illustre parfaitement ce concept d’apprivoisement et de patience. La relation que la prof a avec ses élèves n’est pas la même en septembre qu’en mai. C’est une construction permanente, en marchant, parfois, sur des œufs. En Octobre, une fois le lien tissé, fragile encore peut-être, mais présent, elle tente un premier « Qui s’en fout ? », réponse à un élève qui dit avoir oublié son livre. Cette phrase reviendra tout au long de l’année. Cette phrase peut exister, peut être prononcée parce que le lien de confiance existe entre elle et ses élèves. Parce que lorsque l’enseignant.e et le groupe classe ont commencé à s’apprivoiser, le lien permet la blague, l’autodérision. Iels font désormais communauté.

"Ah j'entends bien, je serais presque tentée par la compassion... Mais j'ai plutôt envie de dire : qui s'en fout ?"
Des élèves lèvent la main.

Il y a un certain attachement et même un attachement certain. On peut se questionner sur le fondement social de ce lien ? Quel est le contrat passé entre un.e prof et ses élèves ? L’engagement de progresser, ensemble ? « Une détermination commune à construire un horizon » d’après la quatrième de couverture.

Novembre. Mathilde Lesvesque raconte une inspection, avec des élèves qui ce jour-là se surpassent pour être « comme il faut », tenues vestimentaires comprises. La double page se terminant sur ces mots « Les inspections ont un côté très artificiel. On nous juge, les élèves et nous, sur une heure de cours. Il y a dans les efforts des élèves ce jour-là quelque chose de bouleversant. » Qu’est-ce qui poussent les élèves ce jour-là à vouloir être « comme il faut » ? Il est peu probable que ce soit une envie de passer pour des élèves modèles puisque le reste du temps les cravates et le langage soutenu ne sont pas de sorties. Iels ont envie que leur prof soit en réussite, qu’elle soit reconnue comme elleux la reconnaissent pour ce qu’elle est. Une bonne prof. Le lien est là, solide.

L’autrice souligne pourtant, comme le lien est faillible, perméable à certain.es élèves. Il y a toujours quelques élèves avec qui le lien ne prend pas. Des élèves qu’on ne parvient pas à aller chercher au fond de leur détresse. Ou trop peu. On sent alors le sentiment d’impuissance, de frustration et de culpabilité que ce fossé engendre chez l’enseignant.e. « Il y a des soirs où l’on repart le cœur plus lourd que d’autres. »

Et puis il y a cette planche très courte intitulée « Les règles » où Salim arrive en retard et cette conclusion « Mon lycée est rempli d’élèves qui auraient préféré arriver à l’heure. » Cette planche illustre la grande réussite de ce livre, texte comme illustration, en dire beaucoup sur la vie de ces élèves, avec peu de mots.

Cette lecture a évidemment fait écho au lien qui m’unit à mes élèves tous les ans. Lien différent avec un public plus jeune mais similaire. Quand je les entends m’appeler maman par inadvertance, je ne peux finalement que m’en réjouir. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un quelconque transfert mais simplement d’un sentiment de bien-être, de confort émotionnel. Bien sûr l’école n’est pas la maison. Mais l’école, et surtout notre salle de classe, c’est chez nous. Un autre lieu qu’on habite ensemble 24 heures par semaine où l’on s’apprivoise de jours en jours. Et en effet, les jours où « tout vient à manquer » (moyens humains, matériel, moyens financiers, orthophonistes, bienveillance institutionnelle…) je sais ce qui me fait rester : le lien avec mes élèves.

Le lien, littéralement ce qui relie, unit.

« Qui s’en fout ? »

Mädli

Mathilde Levesque (texte), Minh Nguyen (ill.), Le Lien, Payot (Payot graphic), 2023, 114 p., 21 €.

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