On ne peut pas l’avoir manqué : le 3 décembre 2019, l’OCDE a rendu public les premiers résultats de la septième édition de son cycle d’évaluation du PISA : trois volumes sont ainsi d’ores et déjà disponibles en anglais (dont seul le premier est actuellement traduit en français et en allemand). D’autres volumes sont annoncés pour 2020 et les résultats du PISA 2018 devraient au total donner lieu à la diffusion de six rapports : quelques milliers de pages à rajouter à la dizaine de milliers de celles publiées depuis le début de l’aventure du PISA (pour s’en tenir aux textes principaux, sans compter les rapports méthodologiques et autres rapports annexes).
Faut-il pour autant se lancer dans la lecture du premier volume des résultats 2018 ?
La question du sérieux de l’affaire se pose en effet dès les premières pages du document. Ce dernier s’ouvre sur une préface d’Angel Gurría, Secrétaire général de l’OCDE, qui commence par ces mots : « Il ressort entre autres innombrables constats de l’évaluation PISA de 2018 que les élèves de 15 ans des quatre provinces/municipalités chinoises participantes – Pékin, Shanghai, Jiangsu et Zhejiang – l’emportent haut la main en mathématiques et en sciences sur ceux des 78 autres systèmes d’éducation participants. » À l’heure où les mouvements de révolte à Hong-Kong (qui apparait également dans le haut du classement), le traitement des Ouïgours et autres enjeux sociaux majeurs en Chine sont d’actualité, il est donc possible dans un rapport qui vise à donner « aux professionnels de l’éducation et aux responsables politiques la possibilité de découvrir les politiques et pratiques d’autres pays et de s’en inspirer », de mettre en avant sans aucune distance les résultats de ces quatre entités chinoises pour leur performance scolaire.
Certes, dans des circonlocutions étranges, il est concédé plus loin que ces entités « ne sont pas représentatives de tout le pays » et il faut encore attendre quelques paragraphes pour apprendre que, « pour ce qui est des retombées sociales et émotionnelles, les provinces/municipalités chinoises en tête du classement comptent parmi les systèmes d’éducation où la marge d’amélioration est la plus grande ». Mais l’essentiel n’est-il pas de savoir que « la qualité de leur enseignement aujourd’hui renforcera leur économie demain » ? S’il ne manque pas, à chaque palmarès du PISA, de personnes autorisées pour entonner l’antienne de la méthode d’enseignement de Singapour ou des vertus de l’école finlandaise, on serait curieux de voir quels discours politiques ou médiatiques pourront promouvoir l’importation de choix pédagogiques inspirés de la Chine.
Bien sûr, le haut du classement comporte aussi des États aux régimes moins autoritaires mais la place de la Chine dans le rapport du PISA est d’autant plus intéressante que la préface du secrétaire général de l’OCDE insiste particulièrement sur « l’équité » des politiques et systèmes scolaires. Cette « équité » (citée quatre fois en deux pages) est ainsi présentée non seulement comme « un impératif au nom de la justice sociale », mais aussi comme un moyen d’accroitre les performances scolaires. Nous sommes cependant laissés sans explication sur la relation à établir entre la revendication de cet « impératif » et la place des provinces chinoises en tête du classement. Est-on amené à conclure au caractère équitable du système scolaire chinois ? Et à comprendre que ne parler que de quatre grandes villes et province chinoises (et non de la Chine dans son ensemble) n’est pas en soi un souci en matière d’équité ?
Nous ne serons pas aidés par l’avant-propos d’Andreas Schleicher, dont le style est aussi étonnant que l’intitulé de sa fonction (« Directeur de la Direction de l’éducation et des compétences et conseiller spécial du Secrétaire général de l’OCDE, chargé de la politique de l’éducation »). Il conclut ainsi son texte : « Les pays les plus performants parmi ceux qui ont participé à l’enquête PISA nous montrent que l’éducation peut être équitable et que l’enseignement peut être de qualité, qu’il est possible d’offrir un avenir aux millions d’élèves qui n’en ont pas à ce jour et que notre mission n’est pas de réaliser l’impossible, mais de faire en sorte que le possible soit réalisable. »
Si l’on connait la prose inimitable d’Andreas Schleicher, on ne sera pas surpris de ne pas trouver de réponses aux questions légitimes que l’on se pose sur cette notion d’équité. On ne sera pas davantage surpris de trouver de nouvelles sources de perplexité, devant par exemple ce que peuvent bien être ces millions d’élèves qui n’ont pas d’avenir à ce jour… Le souci de l’avenir de ce haut responsable de l’OCDE, qui inspire directement le PISA, est tout de même louable, et lui permet d’écrire ceci : « D’aucuns affirment que les épreuves PISA sont injustes, car les élèves doivent résoudre des problèmes qu’ils n’ont jamais vus à l’école. Mais c’est la vie qui est injuste : l’enjeu du quotidien, ce n’est pas de se rappeler ce que l’on a appris la veille à l’école, mais d’être capable de résoudre des problèmes qu’il est impossible d’anticiper. » On l’a compris : le PISA parvient à évaluer la capacité à résoudre des problèmes qu’il est impossible d’anticiper.
Mais ce que nous pouvions, de notre côté, facilement anticiper, outre que « c’est la vie qui est injuste », comme croit pouvoir dire Andreas Schleicher, ce sont les effets de l’enquête du PISA, que ce dernier met en avant : « Elle a aidé les responsables politiques à réduire les coûts de l’action publique en étayant les décisions – mais elle a aussi accru le coût politique de l’inaction en exposant les domaines où politiques et pratiques étaient vains. »
Finalement, si l’on aime les blagues, peut-être vaut-il la peine de se plonger dans ce premier volume du rapport du PISA, ouvert par de tels morceaux de bravoure (dont nous n’avons sélectionné que quelques exemples, comme on pourra s’en convaincre à la lecture du document en ligne). À moins que l’on préfère feuilleter les blagues des précédents rapports, dont nous avons, en 2016, réalisé une petite collection. Mais il faut pour cela aimer celles qui font grincer, tant elles peuvent charrier, on l’a vu, de présupposés nauséabonds. Sans doute, pour mieux comprendre le monde selon l’OCDE, nous manque-t-il cette compétence globale (c’est-à-dire une compétence à la mondialisation), que le PISA croit pouvoir évaluer pour la première fois dans son édition de 2018. Nous le saurons probablement dans le sixième volume du rapport du PISA, annoncé pour 2020, avec ce titre prometteur : Les élèves sont-ils prêts à s’épanouir dans des sociétés mondialisées ?
Daniel Bart et Bertrand Daunay, Université de Lille, équipe Théodile-CIREL
Auteurs de Les blagues à PISA, éditions du Croquant, oct. 2016, 132 p., 12 €.