Le 9-3
Quand on me dit,
D’un air condescendant
Et quelque peu narquois :
« Ah oui, alors toi, comme ça,
Tu habites dans le neuf-trois ?!… »,
Je réponds que oui,
Que j’en suis même fier
Et que ce département,
Aujourd’hui comme hier,
N’est pas forcément
Ce que l’on dit ou ce que l’on croit !…
Et quand j’ajoute que j’y enseigne
Depuis des années et des années,
Je sens alors beaucoup de pitié
A cause des problèmes
Liés à tous ces immigrés
Qui nous pourrissent les HLM !…
A cette réponse, toujours je réponds
En leur demandant sans façon
Si, d’aventure, ils ont regardé
Les photos sans choc
Mais avec le poids des mots à côté
De « Clichy sans cliché ».
Très souvent, on me dit « Non »…
Parfois « oui », d’un air entendu…
Même si on ne l’a seulement jamais parcouru !….
Et moi, je continue…
En leur parlant des bévues
De ceux qui se sont crus plus futés
Que ceux qui les avaient précédés
En supprimant les îlotiers
Et la police de proximité,
En donnant la priorité
A la sacro-sainte sécurité
Pour mieux couper les subventions
A toutes les associations
Qui s’efforçaient, avec un certain succès,
De mettre un peu de chaleur et de paix
Dans des quartiers souvent sous tension…..
En l’absence de coups de matraques,
D’attaques de bandes, de traques,
De grenades lacrymogènes,
Sans contrôle au faciès,
Sans déploiement de haine
Et de compagnies de CRS,
Sans deal, sans tournantes, sans bastons,
Sans insultes, sans doigts d’honneur,
Quand les voisins se parlent sans avoir peur,
Les grandes barres, c’est beaucoup moins vendeur
Et beaucoup moins folklo
Pour la télé et pour les journaux!…
Alors moi, j’essaie de parler
De l’alphabétisation, de l’aide aux devoirs,
De la floraison des conservatoires,
Le tout placé sous la responsabilité
De Français d’origine non contrôlée,
Qu’ils soient « de souche » ou blacks, ou beurs,
Bénévoles, éducs spés, animateurs….
Profs montant des spectacles de fin d’année
Avec des ados à l’air fermé
Mais qui n’arrivent pas bien à cacher
Qu’ils sont heureux de les présenter
A l’espace culturel du quartier!…
Tout ça sous les hurlements,
A rendre sourds les honnêtes gens,
Des potes, des copines, des frères et des sœurs
Venus les applaudir tous en chœur !.…
De cette fragile mais réelle mixité
Dont tant, aujourd’hui, doutent,
Ou bien même qu’ils redoutent
Au nom de leur nationale identité,
N’oublions pas qu’une des grandes fabriques,
En fut «l’École Publique »…
Qui a permis à tant de continuer
Jusqu’au BEP, jusqu’au bac, et même en fac !…
A d’autres, en difficulté, de s’accrocher,
Et même à beaucoup de « cas préoccupants »,
Plus souvent d’ailleurs
Désespérants que désespérés,
De finir par devenir travailleurs
Et de décrocher un emploi,
Maintes fois même un CAP
Et un vrai métier…
Mesdames et Messieurs les hauts fonctionnaires,
Les attachés de cabinet, les secrétaires et sous secrétaires,
Qui nichez dans les ministères de la République
Et qui êtes payés par notre argent public
A faire des discours et pondre des commissions
Ou faire le gros dos, c’est selon,
Et vous, Mesdames et Messieurs les inspecteurs,
Qui ne venez nous voir que pour faire les censeurs
Et restez sourds à nos déboires
Que vous balayez d’un revers de main
Quand on essaie de vous en faire part,
On aimerait bien que vous veniez, sans simagrées
Et sans faire semblant, sur le terrain
Entendre et voir vraiment l’ampleur des besoins
Et tendre un peu la main
A tous ces profs qui galèrent
Avec de moins en moins de moyens
Pour lutter contre l’échec scolaire…..
Cela nous permettrait, avec justesse et propos,
De penser que vous n’êtes pas des bons à rien
Trop payés à ne rien faire de bien
Avec l’argent de nos impôts !…
Et c’est comme ça que l’’Éducation Nationale
Retrouverait enfin sa vocation sacerdotale
Et laïque tout à la fois…
Car ce n’est pas de grands airs entendus et inspirés,
Encore moins de langue de bois
Dont ont besoin les brebis égarées
Que vous laissez montrées du doigt
Et à elles mêmes abandonnées!.…
Quant à vous,
Mes frères, mes sœurs
D’ici, de Seine Saint Denis,
Blacks, blancs, beurs,
Oui, mes sœurs, mes frères,
Gardiens, guichetiers,
Vendeuses, caissières,
Agents, techniciens, préposés
A qui j’ai naguère
Dispensé mon enseignement,
Parfois même, encore récemment,
A vos enfants,
Mes frères et sœurs en humanité,
En citoyenneté,
Quand par hasard je vous revois,
Et le plus souvent c’est avec joie
Des deux côtés,
Presque toujours vous me témoignez
Qu’une fois qu’a été traversé
L’âge des gros boutons d’acné,
Si l’indifférence ne vous a pas
A tout jamais découragés,
Si les coups de mépris répétés
Ne vous ont pas défigurés,
Vous ne demandez qu’à vous intégrer
Dans la République et dans la société!…
Oui, mais tout ça, finalement,
C’est beaucoup moins excitant,
C’est beaucoup moins palpitant
Que des banlieues à feu et à sang!.…
J F Wolff terminé en début août 2011.
Remanié, surtout dans la dernière partie à la mi septembre 2015.
En savoir plus :
L’association culturelle La Fontaine aux Images
Une association qui vit sous un châpiteau permanent installé dans un parc de la commune de Clichy sous Bois
L’espace 93
salle de spectacle de Clichy sous Bois