Un article extrait du dossier du numéro N’autre école consacré aux disciplines.
Accusé d’être élitiste, l’enseignement de l’allemand est en déclin depuis des années. Sa légitimation institutionnelle a de quoi faire peur. Et si ça n’était pas la vision utilitariste de la langue qui sauvera sa peau, mais plutôt celle émancipatrice de la rencontre interculturelle et de la découverte du monde ?
Damien Dechantérac / photographie de Serge D’Ignazio,www.flickr.com/photos/119524765@N06/
Dans ma vie, peu de savoirs me semblent aussi utiles que la maîtrise d’une langue étrangère et ce qu’elle permet d’échanges, de rencontres et de prises de conscience avec des personnes venant d’ailleurs. Ça n’est pas que l’école qui m’a appris l’allemand ou l’anglais, et – même si l’on peut se comprendre autrement que par la langue – je crois que maîtriser une langue est une force pour explorer et comprendre le monde qui m’entoure.
Je n’ai enseigné l’allemand qu’un an en Réseau d’éducation prioritaire, suite à mon année de stage en lycée et avant de démissionner1 de l’Éducation nationale. Une année scolaire, c’est évidemment trop court, surtout que c’est la plus difficile. Une année scolaire à beaucoup douter du pourquoi enseigner, presque autant que du comment, à cheval sur deux collèges et quatre niveaux (plus de l’initiation en CM2), à tenter laborieusement de mettre en œuvre quelques idées inspirées de la pédagogie Freinet, de l’Éducation nouvelle et des méthodes actives. Le rythme effréné, les erreurs de débutant, les ambitions déçues, mais aussi la solitude ont vite eu raison de ma motivation.
Si tout n’était pas la faute des élèves ?
Et si cet échec – tout relatif – de mon, expérience n’était pas dû à mes erreurs, à ma naïveté et à mon manque d’enthousiasme ? Si tout n’était pas non plus de la faute des élèves ? Ils n’étaient tout simplement pas « motivés » par l’allemand. C’est leurs parents qui ont choisi pour eux, eux voulaient « faire » espagnol, parce que – pensent-ils en partie à raison – « l’espagnol c’est plus facile ». Pourtant, force est de constater que la motivation des élèves varie selon plein d’éléments et que ce n’est pas la discipline en soi qui suffit à la susciter.
Et si justement c’était la discipline que j’ai choisie qui était à l’origine de tous mes maux ?
Dédain et dégoût
Il faut dire que les langues dites « vivantes » (LV) ne font pas vraiment partie des disciplines considérées comme majeures. Dans le groupe des LV même, il y a une hiérarchie, puisque l’anglais domine les LV2 et que l’espagnol a logiquement pris le dessus sur l’allemand. Ce dédain, voire ce dégoût, je l’ai vu quand quelqu’un me demandait ce que j’enseignais. Les réactions, bien que diverses, sont rarement positives. J’ai même eu le droit un jour à un « Ah quelle horreur ! ». La réponse la plus symptomatique, si souvent entendue, étant : « J’ai fait 7 ans d’allemand et je ne me souviens de rien ! »
Une langue qui ne fait pas rêver
Au sein de l’école, le peu d’égard pour les LV se vérifie à de multiples détails explicites ou non, au même titre peut-être que le sort réservé à la musique, la technologie ou aux arts : dotations horaires, coefficients aux examens, mais aussi attitude parfois condescendante des personnels de direction ou des collègues. D’ailleurs, la vocation n’a pas vraiment le vent en poupe. Le Capes d’allemand est le seul en 2020 avec celui de lettres classiques dont le nombre de candidats est inférieur au nombre de postes ouverts2.
L’espace germanophone ne fait pas rêver, ni les élèves ni les enseignants. Le manque d’attrait d’une discipline telle que l’allemand ne serait-il que le reflet de l’image qu’a cette langue et par extension, les pays et les peuples qui la parlent, dans notre société ? Voire celui d’un repli sur soi, d’un désintérêt pour l’autre ?
Autre rengaine, le fameux « toi ça va, en allemand, t’as que des bons élèves », sous-entendu les gentils, les dociles, les braves. Cliché qui a la peau dure et qui agace tout débutant, mais qui se vérifie. Le tri est effectué en CM2 ou en fin de 6e, d’après l’idée que « l’allemand c’est dur », donc qu’il vaut mieux épargner les élèves déjà en difficulté. Bien sûr, certains passent à travers les mailles du filet (les « erreurs de casting », m’avait dit celle que je devais remplacer). Plus dur ou pas, il n’empêche que l’allemand est considéré, à l’instar du latin et du grec, comme un moyen de distinction réservé aux élèves en réussite scolaire. C’est vrai aussi dans un établissement d’éducation prioritaire, où il sert peut-être de dernier rempart avant le saut dans le privé. À aucun moment ne se pose la question du « pourquoi » apprendre cette langue…
Pour répondre à cette question, on peut heureusement s’appuyer sur un argumentaire idéologique qui fleure bon le libéralisme. Dans la brochure L’Allemand, un plus3, on apprend que « l’allemand est un formidable atout qui vous permettra de faire la différence sur le marché du travail ». Voilà l’horizon que l’on offre aux petits CM2 pour qu’ils choisissent l’allemand !
L’économie mérite bien cela…
L’élitisme, c’était l’argument du gouvernement qui, en 2016, supprimait les classes bilangues et européennes, ce qui aurait probablement sonné le glas de l’allemand. J.-M. Blanquer, fraîchement nommé, revint sur cet aspect de la réforme, un peu parce que cela favorise l’autonomie des établissements et donc – corollaire – leur compétitivité, un peu pour apaiser les professeurs d’allemand qui contestaient fortement la réforme, un peu enfin pour préserver les relations diplomatiques, où l’on s’offusquait déjà de cet abandon. L’Allemagne, notre premier partenaire économique, mérite bien cela…
Et pourtant… Moi qui n’ai fait qu’un passage éclair dans le métier, je reste persuadé de la pertinence d’un enseignement de LV fait de situations d’apprentissage collectives et productives orientées vers l’action des élèves. C’est un peu ce que prône la perspective dite « actionnelle » – telle que promue par les textes officiels depuis une vingtaine d’années. Plus que ces derniers, les travaux et ouvrages du secteur Langues du GFEN4 sont très riches.
« S’étranger le regard »
Une langue vraiment « vivante », qui soit une fenêtre sur le monde, un moyen de s’extraire du contexte scolaire, de réfléchir pour voir et agir autrement, autant qu’un outil de travail coopératif et de pédagogie de projet. Comme l’écrit M.A. Médioni : « apprendre une langue c’est “s’étranger le regard”, découvrir des façons d’être et de penser différentes, aller à la rencontre d’une culture qui étonne, irrite ou ravit5 ». Il faut beaucoup de travail pour y parvenir, mais si je repense à mes élèves, je n’ai jamais vu autant d’envie et d’implication que lorsqu’il fallait envoyer un texte ou une vidéo aux correspondants, comprendre un locuteur natif invité dans la classe, préparer un échange scolaire, etc. Dans cette logique, la langue ne devient qu’un moyen au service d’un projet réel et non pas une fin en soi. On peut dès lors imaginer un enseignement dont le but serait la participation à des échanges scolaires individuels ou collectifs, des rencontres internationales de jeunes ou des projets de mobilité ou de volontariat6 chez nos voisins européens. En tout cas un enseignement où une langue permet aux élèves de partir (et d’accueillir) dans le présent et non dans un futur toujours très hypothétique. Des associations de jeunesse et d’éducation populaire, qui promeuvent ce type d’expériences collectives et interculturelles pour la construction de l’individu, seraient un partenaire tout trouvé. Et l’école ferait des langues un outil d’émancipation et de transformation sociale, plutôt qu’un savoir « inutile », un moyen de distinction ou un objet de dégoût. ■
- Ma démission était surtout motivée par les contraintes et la quasi-irréversibilité de la mutation en région parisienne.
- Chiffres du ministère.
- « destinée à accompagner les parents dans le choix des langues étrangères de leur enfant » et disponible sur le site du ministère.
- http://gfen.langues.free.fr/index.html et notamment les articles de Maria-Alice Medioni.
- Maria-Alice Medioni, « M’dame, à quoi ça sert l’espagnol ? », Publié sur le site Le Grain, le 1er juillet 2008 et disponible sur le site du GFEN.
- Nombre de dispositifs existent déjà pour favoriser la mobilité des élèves et des jeunes avec l’OFAJ pour l’Allemagne, mais aussi ailleurs en Europe avec le programme Erasmus +.