Le travail social dans la prévention spécialisée est un processus de construction de liens, il ne peut s’exercer avec l’obligation du résultat. Sa fonction est de greffer de la relation et de la parole là où la communication a déserté et où la loi du clan fait figure de lien social en aménageant des espaces de socialisation. D’où l’importance de prendre du temps et de partager une expérience avec ces jeunes dans les quartiers, sans objectifs définis à l’avance. Les éducateurs ne leur demandent pas de changer de comportement, ils ne sont pas des flics ou des juges, le comportement ne fait pas l’objet d’un traitement, seule l’expérience partagée d’une relation et d’un dialogue qui évite tout exercice direct de l’autorité peut se révéler féconde. Plutôt qu’aller dans cette direction, les instances administratives et politiques cherchent par des injonctions et des contrôles à contraindre les travailleurs sociaux à collaborer avec la machine policière et judiciaire dans une optique largement partagée du tout sécuritaire. La situation actuelle de haut risque de nouvelles tueries et l’état d’urgence ne pouvant qu’aggraver la situation. Les travailleurs sociaux sont réduit de plus en plus à n’être que des agents d’exécution des politiques sociales. Missionner l’éducateur par exemple, à intervenir exclusivement sur une classe d’âge dans un quartier « difficile » en fonction des besoins déterminés par les politiques sociales locales, entraine un infléchissement de sa pratique dans une direction qui méconnait la complexité des situations qu’il est amené à appréhender. La recherche du résultat immédiat et de l’efficacité ne s’accorde pas avec le souci d’une action en profondeur, dans la durée, soucieuse d’élaborer avec les usagers, au cas par cas et collectivement des solutions toujours particulières pour répondre à des besoins et des problèmes relevant de leur existence sociale et de sa construction permanente. Aujourd’hui on assiste a une volonté politique de porter atteinte à l’existence même de la prévention spécialisée et de la faire disparaître. Le conseil départemental des Yvelines vient de faire connaître son intention de supprimer l’action des éducateurs spécialisés dans onze villes du département. Le travail de proximité avec les familles et les jeunes de ces quartiers qui relève d’un « art de dire et d’un art de faire » est au cœur du malaise de la culture, il fait objection et entrave la logique de gestion et de normalisation déjà à l’œuvre depuis un certain temps dans les institutions médico-sociales. Cette entreprise de casse systématique du travail social présage un avenir fort inquiétant dans une époque ou le malaise chez les plus démunis, chez les jeunes le plus souvent peut prendre des formes radicales toujours nouvelles.
Romuald Avet