En octobre 2012, ici même à Blois, Émancipation – tendance intersyndicale de l’Éducation – diffusait un tract (“L’histoire en lycée : partir sur de nouvelles bases”), pour rappeler l’origine de la débâcle de l’enseignement de l’histoire-géographie dans le secondaire. Tout a commencé en octobre 2008. À Blois, à l’occasion des 11e rendez-vous de l’histoire, des milliers de passionné-e-s d’histoire apprirent, par le Journal du Dimanche, que le gouvernement Fillon s’apprêtait à supprimer l’histoire-géographie en classe de Terminale S. À partir de cette première absurdité, une série impressionnante d’autres absurdités furent prises dans la précipitation, sans consultation des enseignant-e-s : l’histoire-géographie devenait une matière du tronc commun des classes de Première, modification des programmes, des épreuves du bac… L’Inspection générale, entre 2008 et 2012, en ne protégeant pas la discipline dont elle avait pourtant la charge, porte une lourde responsabilité dans cette débâcle. Le “bateau ivre” a alors vogué dans les rapides du grand n’importe quoi. Arthur Rimbaud a si bien décrit ce mouvement du délire indomptable qui finit fatalement par échouer :
“J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur des blés flamands ou des cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les fleuves m’ont laissé descendre où je voulais”.
L’insouciance de tous les équipages, c’est ce qu’ont ressenti, professeur-e-s et élèves, malmené-e-s, déconsidéré-e-s, abandonné-e-s à leur sort, chacun-e dans leur salle de classe : trouver des solutions à des questions, alors qu’aucune réponse satisfaisante ne pouvait arrêter la dérive .
L’iceberg des épreuves du brevet et du bac 2013
Juin 2013 fut donc le moment du big-bang en histoire géographie, dans les collèges comme dans les lycées, celui d’un embrasement de toutes les incohérences accumulées. Une première explosion s’était produite l’année précédente, avec l’année zéro des épreuves anticipées du baccalauréat en séries Scientifique.
Les secousses de la première explosion avaient provoqué un petit repli stratégique du ministère, puisqu’au cours de l’année scolaire suivante (2012-2103), d’une part le programme des classes de Première avait été, à la hache, allégé, d’autre part suite aux protestations générales de la session du bac de juin 2012 (enseignant-e-s, élèves, parents), décision était prise de revenir à l’épreuve d’histoire-géographie en classe de Terminale pour la série S.
Le prétexte d’une promesse présidentielle d’un retour de l’histoire-géographie en T.S a pu être évoqué pour justifier cette décision, mais nous savons ce qu’il en est des promesses électorales. Elles varient beaucoup d’un sujet à l’autre. Dans ce cas précis, la promesse permettait d’éteindre le départ d’un feu à la fin de l’année 2012. Cependant la sortie des pompiers n’a pas empêché l’incendie de se propager à l’ensemble des épreuves en 2013 : baccalauréat, brevet.
En juin 2013, il était impossible de rencontrer un-e enseignant-e d’histoire-géographie en collèges, lycées professionnels ou généraux, satisfait des nouvelles épreuves proposées aux élèves.
La colère, plus ou moins extériorisée, de ces enseignant-e-s, traduisait leur désarroi face à la dérive de leur discipline sacrifiée sur l’autel des dernières réformes. La réforme des programmes en collège comme en lycée, sans aucune consultation sérieuse, mettait sur les rails des programmes infaisables du point de vue du temps, incohérents du point de vue du contenu. L’allègement des programmes des séries générales de la classe de première à la fin de l’année 2012, était d’ailleurs la preuve du caractère infaisable des ces programmes. Ils n’ont duré qu’un an !
Les conditions désastreuses du passage du bac S en juin2012, se sont reproduites dans les mêmes termes en terminales L et ES, comme en Troisième, en juin 2013 avec des programmes tout aussi infaisables et incohérents. Tout était donc en place pour qu’advienne le choc des épreuves. Elles furent un feu d’artifice de sujets bâclés et déroutants.
Que cherche-t-on à évaluer ?
En collège, les élèves ont du, en géographie, donner une définition de : “conflit d’usage” ou “espace productif”. En histoire, ils/elles devaient mécaniquement inscrire un événement face à trois dates données : 52 av. J.-C., 1492, 1661-1715. En histoire comme en géographie, il s’agit donc de proposer aux élèves un exercice de sélection pour “questions pour un champion”. À aucun moment, cet exercice de pure mémorisation ne permet de vérifier si les dates ou les notions géographiques ont le moindre sens historique ou géographique pour l’élève. Que cherche-t-on à évaluer ?
Malheureusement, à la lecture des sujets d’examen du secondaire, il s’agit d’évaluer essentiellement une capacité : la mémorisation, alors que la refonte des programmes aurait pu inviter, à la fois à avoir des programmes faisables et des épreuves intelligentes. L’exemple d’une des épreuves les plus idiotes est celle du croquis au baccalauréat des trois bacs généraux. Il s’agissait pour les élèves de Terminale d’apprendre par cœur une liste de 13 croquis et deux schémas. En 2013 pour rien d’ailleurs, puisque l’épreuve courte était en histoire et non en géographie. Les redoublant-e-s en classe de terminale ES ou L, en septembre 2013, parlent avec beaucoup d’appréhension du supplice de l’épreuve du croquis.
Un allègement, deux allègements… et après ?
Les médias ont peu parlé du premier allègement de programmes en première en octobre 2012, par contre ils ont largement couvert le second en septembre 2013, celui qui concerne les terminales ES et L. Tout et n’importe quoi a pu être dit sur les programmes d’histoire, puisque le ministre, puis la presse ont ouvert une fenêtre pour que le sujet soit sur la place publique.
Quoi qu’il en soit, si nous tenons bien les comptes, à l’issue de la réforme du lycée sur trois programmes imposés aux professeurs qui avaient pourtant alerté de leur caractère infaisable, deux ont été allégés (Première et Terminale) à la suite d’une seule année d’existence. Deux mauvais programmes sur trois, le bilan n’est pas glorieux.
La satisfaction des professeur-e-s et de leurs élèves, à l’annonce des allègements, bien compréhensibles, dans la mesure où les précédents programmes étaient infaisables, ne doit pas masquer le fait qu’il s’agit d’un aspect purement quantitatif. Ils rendent simplement les programmes faisables. C’est même la moindre des choses que l’on puisse demander à l’Inspection générale : faire rentrer un programme dans un volume horaire. Demeure l’autre aspect, qualitatif, plus particulièrement celui de la cohérence et des choix idéologiques. Par exemple dans les allègements de programme d’histoire en Terminales L et ES, parmi les quatre grands thèmes du programme, il en est un dans lequel pas une ligne n’a changé. Il s’agit du thème 4 : “Les échelles de gouvernement dans le monde de la fin de la seconde guerre mondiale à nos jours”. Dans ce thème, trois chapitres à l’étude dont : “la gouvernance économique mondiale depuis 1945”. Etait-il nécessaire de maintenir à la fois l’étude d’une notion imprécise, et surtout de vouloir à tout pris présenter aux élèves un sens à l’histoire ? Cette fois, il s’agit de l’histoire en marche de Bretton Woods, au G20, en passant par le FMI et l’OMC, la nouvelle voie radieuse de l’humanité.
Ce maintien du thème 4, qui cherche à imposer dans la tête des élèves un déterminisme historique, leur montrant que de 1945 à nos jours, on passe petit à petit d’une organisation politique nationale (échelle 1) ancienne et dépassée, à une Europe moderne (échelle 2) et à une gouvernance économique mondiale (échelle 3), qui comme l’UE, s’imposent. Cette vision de l’histoire a été maintenue. Il s’agit d’une vision politique du monde en cours de réalisation. Au début du XXe siècle les professeurs d’histoire ont imposé le roman républicain national dans la tête de leurs élèves. Pourquoi reproduire le même mécanisme au début du XXIe siècle, avec le roman libéral européiste et mondialiste ?
Comment en sortir ?
Bien entendu, les programmes actuels ne sont pas pertinents, et doivent être réécrits (et non simplement allégés). Mais on ne saurait ignorer qu’avec sa loi d’orientation sur l’école, le ministre veut poursuivre et même approfondir la politique éducative mise en place par l’UMP. Pour nous, il ne saurait être question de poursuivre dans la même logique : dans ce domaine comme dans d’autres, une rupture est nécessaire aussi bien avec l’héritage du gouvernement précédent qu’avec la politique éducative de ce gouvernement (et notamment les grandes orientations de sa loi sur l’école). En particulier, il ne saurait être question de confier l’exercice à des “experts” dans le cadre du Conseil Supérieur des Programmes. C’est pourquoi il est indispensable d’agir sous des formes diverses (États généraux organisés de manière indépendante par les enseignant-e-s, etc.) pour revoir profondément les programmes d’histoire au collège et au lycée. Nous pourrions alors peut-être arrêter le “bateau ivre”.
Émancipation tendance intersyndicale, tract distribué à l’occasion des Rendez-vous de l’histoire de Blois