« Ecole : au secours, Sarkozy revient ! », écrivions-nous avant-hier. Mais l’on ne pensait pas que cela viendrait aussi vite et aussi brutalement. Et c’est par le biais de deux interviews confiées à l’officine ultra-réactionnaire SOS Education, l’une par le nouveau ministre, l’autre par C. Kerrero, annoncé comme son directeur de cabinet, que les projets éclatent au grand jour (1). Et ces projets sont fous.
Abscons, ampoulé et inquiétant, Blanquer est tout cela à la fois dans cet entretien où son projet se dévoile : « Il faut conjuguer un ancrage dans le passé, consubstantiel à l’éducation, et les enjeux de transmission qu’il comporte. Cette réconciliation des anthropologies rejoint une nouvelle approche de l’école qu’on doit avoir, notamment, au travers des sciences cognitives. » Une réconciliation des anthropologies ? Plus concrètement, pour le lecteur qui aurait du mal à suivre, Blanquer avoue sa préférence pour le modèle des écoles à charte américaines et britanniques. Avec cette nuance que chacun comprendra à sa manière : « Sans aller vers des logiques de privatisation, on peut aller vers des logiques de délégation, qui permettent d’accomplir mieux le service public en responsabilisant davantage des acteurs. » S’appuyant sur « trois piliers objectivants (sic) : la comparaison internationale, la science cognitive, l’expérience accumulée par des siècles d’humanité (pas moins) », Blanquer imagine une « méthodologie de la réforme » dont on appréciera toute la saveur : non pas par un passage en force, du moins pas tout de suite, mais en « commençant par la douceur, il faut donner de la liberté à certains territoires. » Prudent, toutefois, il croit bon de préciser « il y a des leçons à en tirer concernant l’autonomie, qui doit être accentuée pour permettre de prendre des décisions, tout en évitant ses effets insécurisants. »
Enfin, histoire de marquer son territoire et de confirmer d’où il vient, le nouveau ministre n’a pu s’empêcher à son tour, après beaucoup d’autres il est vrai, de donner sa conception de l’enseignement de l’histoire, dont la finalité – explique-t-il sur France Inter – est « la transmission de l’amour de la France » aux élèves par un « récit chronologique ». Un récit chronologique qui, par parenthèse, constitue la trame des actuels programmes en primaire.
Si Blanquer, à travers cette interview, est juste inquiétant, C. Kerrero, son (futur ?) directeur de cabinet est, lui, proprement hallucinant. C’est également chez SOS Education qu’il a choisi de s’épancher et de décréter « l’état d’urgence » pour l’école. Dans une terminologie très proche de celle utilisée par le FN pour son propre programme éducatif, il explique qu’il faut « mettre fin à toutes les formes de fausses valeurs véhiculées par le système, du relativisme culturel à l’égalitarisme niveleur en passant par le périphérique ludique et le pédagogisme trissotant ». Urgence, également, de « ramener l’ensemble des élèves vers la culture française et la communauté nationale, car trop nombreux sont ceux qui ne s’y reconnaissent pas, ce qui conduit au dénigrement de la nation et à la haine d’autrui. »
Dans cette optique, le premier impératif est de « réécrire les programmes (…qui ne sont en application que depuis 8 mois…), abroger le socle Lussault, jargonneux, précieusement ridicule et qui ne peut que compliquer le travail des professeurs (…) Dans ce prolongement, une mesure simple et nécessaire doit consister à revenir aux grands textes patrimoniaux dès le plus jeune âge, (….) enseigner les quatre opérations (…). Pourquoi ne pas exiger d’apprendre une fable de La Fontaine par semaine dès le plus jeune âge ? »
Chaud partisan des « procédures normées et répétitives », notamment dans les maternelles ( !), Kerrero développe sa conception de la formation des enseignants qui « doit rester à la main de l’employeur (…) on a tout intérêt à s’inspirer d’un modèle de compagnonnage et de l’internat de médecine. »
Derrière ces dénonciations ubuesques, le dircab ne se donne pas la peine de dissimuler son véritable objectif : en finir avec « l’inflation scolaire » à l’œuvre depuis 50 ans, comprenez avec l’allongement de la scolarité, l’ouverture des études secondaires à tous, pour, dit-il « renouer avec une véritable excellence des métiers ». Comme c’était le cas, par exemple, lorsque les enfants des milieux modestes étaient massivement envoyés en apprentissage à 13 ou 14 ans. L’anti-pédagogie est effectivement un projet social…
Quelques jours après les élections et la désignation d’un gouvernement dit de « rassemblement…d’apaisement », la question qui se pose est de savoir si ce quinquennat sera celui de la concrétisation des projets les plus brutaux d’une mouvance ultra-réactionnaire qui verrait ainsi, par l’intermédiaire de ce nouveau ministre de l’EN et de son équipe, se réaliser ses rêves les plus délirants.
(1) …au grand jour est une façon de parler, puisque les interviews de Blanquer et de Kerrero ont été supprimés du site de SOS Education. Mais ne sont pas passées inaperçues des Inrocks ni de Philippe Watrelot.