publié par les KroniKs.
L’objectif de la participation des usagers, des individus et des publics est durablement inscrit dans la culture institutionnelle et professionnelle des acteurs sociaux aujourd’hui. Pour autant, au fur et à mesure que cette institutionnalisation s’est « installée », nous avons remarqué une forme de désamour et une forme de désillusion par rapport à cet objectif vertueux.
Qui aujourd’hui semble croire encore que la participation des usagers pourra transformer réellement les réalités sociales vécues par les personnes et les groupes? Et pour autant, comment pourrait on soutenir le contraire?
Comprendre une désillusion suppose de s’intéresser à la genèse des choses et à ce qui dès le départ, pouvait clocher. En matière de « participation des publics », ce thème véhiculait dès le départ trois défauts originels, que l’on peut décliner ainsi:
Qui demande la participation? En général ce sont curieusement les institutions et les commanditaires , voire les politiciens eux mêmes qui demandent une participation dont ils attendent un regain de légitimité et une plus value démocratique pour leurs propres actions. Cela pose évidemment problème et entache véritablement tout ce qui pourrait en découler. Quand la participation est « prescrite », peut-on en attendre autre chose que ce qui était déjà prévu?
Dans le terme, « participation », il y a « partiel ». Le terme même de participation suppose l’inachèvement de ce que l’on se propose de mettre en œuvre. On ne participe jamais à la totalité d’une chose; la participation concerne souvent des petites parties d’action, des volets préalables, des étapes antérieures; en bref, … des restes.
Qui pilote la participation ? Enfin, le terme de participation suppose un guidage extérieur qu’on ne voit pas, qui n’est pas forcément dit ou clair.En bref, il y a toujours un pilote caché derrière tout processus dit de participation, un magicien d’Oz, un démiurge, en bref quelqu’un qui tire les ficelles. N’est ce pas contradictoire avec l’idéal démocratique que ce concept véhicule?
En Pédagogie sociale, on pourrait facilement se faire accuser de n’être guère « participatifs » . En effet, comme chacun sait nos actions sont stables, régulières , organisées, assurées en quelque sorte que les gens y participent ou non. Nos ateliers de rue ne nécessitent aucune participation particulière; ils sont au contraire la base sur laquelle toute participation devient possible.
En réalité, la Pédagogie Sociale envisage tout autrement la question de la participation; celle ci ne peut en rester à l’état décrit plus haut. Ce qu’il s’agit de mettre en œuvre, ce n’est pas de la participation, mais de l’implication .
Et cette implication, qui n’est jamais assurée, devient possible par certaines caractéristiques de nos modes de travail et d’intervention.
Il s’agit , en particulier des principes suivants:
1/ La « clarté cognitive ». Toute participation qui serait véritable, qui permettrait une réelle implication, présuppose qu’on ait instauré une véritable clarté concernant non seulement l’action menée, mais aussi ses objectifs, ses raisons et ses moyens. On ne peut participer réellement qu’à quelque chose dont on comprend à la fois les buts et les processus ; cela suppose également que l’activité à laquelle on participe soit de même nature que le but poursuivi. C’est ce que l’on appelle « lsomorphisme » en pédagogie Freinet, c’est à dire la conformité des moyens vis à vis de fins poursuivies. C’est quelque chose de très simple, qui revient à reconnaître qu’on ne peut apprendre à être autonome qu’en étant déjà libre ici et maintenant; il s’agit, en toute chose, de préférer une action directe, sans préalables, sans projets, sans plan, sans programme, sans pré-requis ( c’est ce que nous décrivons également comme un principe « d’inconditionnalité »).
2/ La pratique , le travail sont antérieurs à toute participation. On ne peut participer qu’à une pratique ; ce qui suppose que la participation portera toujours sur un travail effectif et concret ; il s’agit soit d’enrichir (produire) , soit de transformer (créer) son environnement. Or, que remarquons nous dans le domaine des pratiques sociales en usage, Les pratiques de participation sont le plus souvent limitées à des exercices verbaux , des réunions déliées de toute réalisation, des recueils d’avis ou de réflexions sur des abstractions.
3/ Le groupe, la communauté sont également antérieurs à toute forme de participation. Enfin la participation nécessite l’appartenance à une communauté, et d’abord il s’agit de le créer ; pour cela il faudra développer une identité collective (par le travail, la conscientisation, l’expression et la durée).Ce groupe en lui même nécessite de la stabilité (qui repose sur une asymétrie initiale des implications) et une discipline . La discipline doit pouvoir être construite et appréciée comme ce qui permet au groupe de se réaliser lui même.
L’erreur est que nous avons souvent l’image d’une forme de participation qui supposerait que tout travail collectif serait déjà réalisé avant même de le commencer. C’est une illusion positive. On conçoit le système pour des individus autonomes et fictifs, déliés entre eux et déjà déterminés , autonomes et convaincus.
Or le véritable travail social nécessite de partir de la réalité qui est en général aux antipodes pour justement , la transformer.