Deux petits opuscules, moins d’une centaine de pages à chaque fois, nous proposent une « initiation » à la pensée complexe et ardue d’Antonie Gramsci, fondateur du Parti communiste italien et surtout initiateur, depuis les geôles fascistes, des concepts d’ « hégémonie intellectuelle », de « guerre de position » ou encore d’ « intellectuel organique ».
Une « vulgarisation » d’autant plus nécessaire que ce penseur socialiste a été, depuis une trentaine d’années, l’inspirateur de la stratégie de reconquête idéologique de la droite de la droite.
Gaël Brustier, dans À demain Gramsci, dresse un impitoyable réquisitoire contre ces gauches qui ont été incapables de renouveler leur discours et qui ont déserté le champ de la bataille culturelle. L’une, en se contentant d’un « accompagnement idéologique de l’évolution du monde », et qui « utilise les mots de la République, développant un discours d’ordre tout en ignorant l’aspect émancipateur de l’idéal républicain. » L’autre, en se réfugiant « dans un rappel à l’ancien monde. » Dès lors, il ne s’agit plus que de placer ses « valeurs » sur le marché électoral… En face, les doctrines conservatrices ont incontestablement mieux réussi leur mue « n’excellant en rien dans le domaine économique, elles ont surinvesti dans le domaine du combat culturel. Se saisissant du “déclin”, elles proposent leurs propres solutions – autoritaires, inégalitaires, identitaires – à la crise après avoir imposé leur propre diagnostic, qu’on ensuite relayé des chroniqueurs et intellectuels qui ont conjugué rentabilité économique et combat idéologique. » En conclusion, Gaël Brustier invite à se saisir de Gramsci : « Comprendre Gransci c’est donc comprendre la crise. Penser avec Gramsci, c’est se donner les moyens pour s’en sortir. »
Plus radicale encore est la démarche des éditions Fakir et de François Ruffin qui imagine un entretien fictif – mais étayé des concepts de Gramsci – pour analyser et explorer, non sans humour, ses thèses. C’est simple, efficace et inspirant. Deux textes prolongent cet entretien, « Gramsci par l’exemple », qui, à partir de la lutte des Goodyear et de la situation de l’élevage porcin en Bretagne, actualisent les concepts et nous démontrent comment ils pourraient devenir des clés pour transformer les luttes sociales défensives en combats émancipateurs.
Reste que, en creux de ces deux ouvrages, se pose aussi la question de la facilité avec laquelle l’extrême-droite s’est appropriée les concepts d’un auteur « de gauche ». Son style et sa pensée élitistes, peu accessibles au premier abord, invitent aussi à manier cette pensée avec précaution et à se souvenir des polémiques qui opposèrent Gramsci à une autre figure du mouvement ouvrier, Rosa Luxemburg, moins encline à « mépriser » les masses et les militants… Grégory Chambat.
Gaël Brustier, À demain Gramsci, Cerf (Le Poing sur la table), 2015, 69 p., 5 €.
François Ruffin, Remporter la bataille des idées, Antonio Gramsci, entretien, Fakir éditions, 2015, 65 p., 2015.