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Fillon promeut l’éducation morale et civique… pour les élèves uniquement

Valeurs collectives, mérite, effort, respect des autres, valeurs morales etc : ces grands principes tirés du projet éducatif de Fillon pour la présidentielle prennent aujourd’hui une signification singulière, alors que leur promoteur se trouve empêtré dans une affaire qui ne met guère en valeur son sens de la morale ni son respect des autres.

Promouvoir « l’éducation comme lieu d’apprentissage des valeurs collectives d’excellence, de reconnaissance du mérite, de récompense de l’effort, de respect des autres et de sens de la vérité ; sans contrevenir au rôle essentiel des parents dans la transmission de valeurs morales à leurs enfants. Les règles propres à la vie de l’école (politesse, ponctualité, assiduité) doivent être apprises dès le plus jeune âge. » Apprentissage des valeurs collectives, mérite, effort, respect des autres, valeurs morales etc ? Ces grands principes tirés du projet éducatif de Fillon pour la présidentielle prennent aujourd’hui une signification singulière, alors que leur promoteur se trouve empêtré dans une affaire qui ne met guère en valeur son sens de la morale ni du respect des autres.

Civisme à l’école, laisser-aller au Parlement

De fait, on ne peut s’empêcher de mettre en regard l’injonction morale et civique constamment exigée par les politiques dès lors qu’il est question d’éducation – celle des jeunes, bien sûr – avec la désinvolture dont ils font preuve lorsqu’il est question de s’appliquer ces règles à eux-mêmes : la morale, les leçons de morale, l’éducation civique, c’est juste bon pour les enfants des écoles, une institution sur laquelle il est de bon ton de se défouler pour ne pas avoir à se remettre soi-même en cause, pour ne pas avoir à poser ce que Jung appelait la question de « l’éducation de l’éducateur ». Si cette façon de se défausser sur l’école est aussi vieille que l’école elle-même, il est incontestable qu’elle s’est encore renforcée pendant les deux années écoulées avec la mise en accusation brutale d’un système éducatif à qui des politiciens sans vergogne et de toute obédience ont cru bon faire porter la responsabilité des attentats terroristes : « à l’école, on a laissé passer trop de choses », avait lancé Valls au lendemain de l’attentat contre Charlie.

Une accusation qui avait notamment trouvé un large écho au Sénat avec la constitution, en urgence (février 2015), d’une commission d’enquête sur « la perte des valeurs républicaines à l’école. » A l’école bien sûr, mais surtout pas au sein même de cette digne assemblée, convaincue aujourd’hui de malversations massives, au profit de sénateurs davantage occupés à l’entretien de leur fortune personnelle qu’à celle des valeurs républicaines. Indignée qu’elle était alors, cette assemblée, non pas par les magouilles et les chèques empochés en douce par nombre de ses élus mais par ce que Retailleau (LR) appelait alors « l’éloignement d’un nombre croissant d’élèves de la morale républicaine. » Pour remettre une jeunesse déboussolée dans le droit chemin, il fallait impérativement réagir et l’on rirait presque aujourd’hui – si la chose n’était sérieuse – devant les initiatives avancées par les parlementaires pour arriver à cette fin : imposer un code de déontologie aux enseignants et, à destination des élèves, un code de bonne conduite assorti d’un barème de sanctions, faire rappeler chaque semaine par le chef d’établissement devant les élèves rassemblés les grandes valeurs de la république, imposer l’uniforme aux élèves, renforcer la présence des symboles nationaux etc. On n’invente rien : c’est bien le sénateur Grosperrin (LR) qui se lamentait de la « perte des repères, aussi bien du côté des élèves que de certains enseignants, [qui] tient aussi au fait que ces repères ne sont plus représentés avec autant d’insistance qu’avant […] » Et ce sont ces mêmes parlementaires, députés et sénateurs, qui ont multiplié les propositions de loi visant à instaurer un service « civique » obligatoire afin d’apprendre aux jeunes à « servir ». Plus tard, lorsqu’ils seront grands, ils pourront alors faire carrière en politique et se servir eux-mêmes.

« … notre pagaille d’adultes »

Sur le fond, que disent ces leçons de morale à n’en plus finir – qui sont d’ailleurs largement concrétisées à travers les programmes officiels d’EMC (éducation morale et civique) et les injonctions compulsives autour des « valeurs de la république » ? Incontestablement, elles sont le signe d’instances politiques et d’institutions en réalité dépassées par une époque, une société, un monde, qu’elles s’avèrent incapables comprendre. Un vide conceptuel qu’on espère dissimuler par un flot de paroles toujours plus bruyantes. Mais d’une certaine façon, elles renvoient à une autre incapacité, de nature différente mais largement répandue et qui conforte la première, qui consiste à envisager la relation éducative et morale (et donc politique) autrement que sous la forme d’un sempiternel discours surplombant entre un adulte nécessairement doué de raison parce qu’adulte et un enfant qui en serait dépourvu parce qu’enfant. Un travers éducatif dénoncé entre autres par Janusz Korczak dans un petit traité datant de 1929 (1) qui n’a rien perdu de sa pertinence, de son actualité, de son urgence même, à un moment où les projets éducatifs les plus insensés se déploient sans complexe :

« Nos hommes de science nous déclarent que l’homme mûr agit par motivations et l’enfant par impulsions, que l’esprit d’un adulte est logique et celui de l’enfant fantasque et plein de rêves chimériques ; que le caractère et le profil moral de l’adulte sont bien définis alors que l’enfant se perd dans le labyrinthe de ses instincts et de ses désirs. Ils n’approchent jamais celui-ci dans sa différence mais voient chez lui une structure psychique inférieure, plus pauvre et plus faible que celle de l’adulte. Comparés à l’enfant, nous serions tous de savants érudits.

Et que dites-vous de notre pagaille d’adultes, de l’étroitesse de nos opinions et de nos convictions, de notre psychologie grégaire avec ses préjugés et ses manies, de tous ces parents inconscients, de toute cette vie irresponsable d’un bout à l’autre ? Nonchalance, folie, excès d’ivrognes.

A côté de nous, comme un enfant paraît sage, raisonnable, équilibré ! Le sérieux de ses engagements, la somme d’expériences acquises, la richesse relative et la justesse de ses jugements et appréciations, la modération de ses exigences, la subtilité de ses sentiments, son infaillible sens de la justice. Etes-vous vraiment certain de pouvoir le battre aux échecs ? » (Le droit de l’enfant au respect, 1929, trad. française, UNESCO, 1979)

(1) Voir le site de l’Association française Janusz Korczak

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