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Entretien avec Bertrand Geay – Festival Raison d’Agir / Poitiers 3 au 5 avril

À l’occasion du Festival Raison d’Agir consacré cette année à l’éducation (“Éducation et émancipation”) nous avons demandé à Bertrand Geay, l’un de ses organisateurs, de nous présenter cette manifestation et ses enjeux…

Poitiers, du 3 avril au 5 avril 2013 –
Pour sa huitième édition, le Festival Raisons d’Agir réfléchira aux rapports entre «éducation» et «émancipation». Fidèle à sa formule, le festival associe le regard objectivant des chercheurs à celui, plus subjectif, des artistes, des militants et des étudiants, afin de mener une réflexion collective sur les débats politiques contemporains et ainsi d’y prendre part.

Voir le programme.


Bertrand Geay est sociologue, professeur à l’Université de Picardie (CURAPP-CNRS). Il a notamment publié ou co-publié La protestation étudiante (Raisons d’agir, 2009), Pour une gauche de gauche (Le Croquant, 2008), Le syndicalisme enseignant (Découverte, 2005) et Profession instituteurs (Seuil, 1999) ainsi que deux contributions sur l’école et l’université dans “2012 Les sociologues s’invitent dans le débat”, hors série de Savoir/agir (Croquant, février 2012).

Qu’est-ce que le festival Raison d’agir ? Comment est-il né ? Quelles sont ses spécificités ?

Bertrand Geay – Dès la création de l’association Raisons d’agir au niveau national, autour de Pierre Bourdieu à la fin des années 1990, nous nous sommes constitués en collectif local. Nous étions à l’origine une poignée de sociologues, quelques économistes, un psychiatre, des militants de la gauche de gauche et des courants libertaires locaux. Notre activité a varié en fonction du contexte et de l’élargissement progressif du noyau de sociologues sympathisants: production de textes d’intervention, séminaire militant, animation du forum départemental des alternatives sociales et politiques, après 2002.

Le festival annuel a été une manière de capitaliser cette expérience et de l’ouvrir à la participation d’un public plus large. L’une de nos spécificités est sans nul doute notre ancrage local et notre ouverture à l’expérience militante, mais aussi notre volonté de réunir l’ensemble des sensibilités intellectuelles qui étaient à l’origine réunies autour de Raisons d’agir et que l’on trouve aujourd’hui représentées aux éditions Raisons d’agir, Le Croquant et Agone.

Pourquoi le choix de l’éducation pour cette nouvelle édition ? Et sous quel angle souhaitez-vous aborder cette question ?

Bertrand Geay – Nous essayons chaque année de saisir des points qui font débat dans le champ intellectuel et militant, et d’examiner dans quelle mesure les savoirs issus des sciences sociales permettent d’intervenir dans ces débats. Cela nous conduit à la fois, comme on dit dans un mauvais jargon, à tenter de “scientificiser” ces débats mais aussi à interroger les biais et les angles morts des débats scientifiques. Par exemple, sur les utopies, il y a quelques années, nous avons dû interroger les travaux d’histoire sociale et de sociologie du militantisme sur un mode inhabituel. Même chose sur la démocratie, où nous avons croisé les apports de travaux en philosophie, en histoire et en sociologie pour mieux comprendre la diversité des implications de la notion de démocratie, ou sur la mondialisation l’an passé, où nous avons passé au crible le langage de la mondialisation pour mieux revenir à la diversité des expériences des nouveaux modes de domination et de résistance à la domination auxquels renvoie le vocable “mondialisation”.

Cette année, donc, nous souhaitions revenir à la question classique de l’éducation, car elle est dans l’actualité et elle l’est d’une façon qui interroge fortement notre capacité à porter des alternatives. Nous avons donc imaginé un programme qui permettrait d’établir des ponts entre le traitement le plus habituel des questions éducatives par la sociologie, je veux dire l’analyse de la production et de la reproduction des inégalités, et une vision plus politique, et néanmoins justiciable d’une approche rationnelle, qui s’interroge davantage sur les finalités de l’éducation, sur le rapport à l’émancipation qui se noue dans la trajectoires des élèves, sur la possibilité d’enrayer les mécanismes inégalitaires et de produire un système plus proche des aspirations à l’émancipation.

Comment le festival est-il organisé ? Comment sont décidés les débats, les projections, les interventions d’artistes ?

Bertrand Geay – Nous décidons tout collectivement et de façon autonome. Le dosage entre la programmation scientifique et les approches plus artistiques n’est pas la partie la plus simple car les journées n’ont que 24h et notre budget est limité. Ce n’est pas toujours simple mais on y arrive, la preuve!


Les liens de la collection Raison d’Agir avec Bourdieu sont connus. Son travail sur l’éducation l’est tout autant, mais il est aussi traversé par des contradictions, en particulier sur la capacité de l’institution scolaire à travailler les inégalités et à sortir des déterminismes sociaux. Bourdieu ne semble pas accorder une très grande place aux pédagogies émancipatrices, celles-ci ont par ailleurs parfois tendance à se détourner des combats sociaux en-dehors de l’école. De quelle manière pourrait-on travailler, selon vous, à l’émergence d’une pédagogie “sociale” ?

Bertrand Geay – Il n’y a pas selon moi de plus grande urgence que de réconcilier l’approche critique des mécanismes inégalitaires (y compris la critique de la vulgate “moderniste” qui a fait de la “pédagogie nouvelle” une sorte d’adjuvant de l’action managériale) et une approche pédagogique alternative, instruite des travaux scientifiques et des expériences politiques passées, mais toujours aussi décidée à poser les bases de fonctionnements un tant soi peu dégagés des logiques inégalitaires et conservatrices. Il faut pour cela remettre en débat, du côté de la sociologie, la notion de pédagogie rationnelle mise en avant par Bourdieu et Passeron dans Les Héritiers, la confronter aux acquis des travaux plus récents de sociologie ou de sciences de l’éducation les plus solides et les plus attentifs à la question sociale.

Il faut aussi, au sein de l’univers militant, travailler au “réenchantement” des luttes scolaires, à partir des acquis des luttes récentes, en revisitant l’histoire des pédagogies alternatives mais en étant également attentif à ne pas reproduire certaines illusions pédagogiques. L’émergence de ce que vous nommez une “pédagogie sociale”, promouvant des alternatives concrètes de la maternelle à l’université, serait une excellente nouvelle! Si nous pouvions à notre échelle y contribuer, ce serait parfait.

Propos recueillis par Grégory Chambat pour le site Questions de classe(s)

Poitiers, du 3 avril au 5 avril 2013 –
Pour sa huitième édition, le Festival Raisons d’Agir réfléchira aux rapports entre «éducation» et «émancipation». Fidèle à sa formule, le festival associe le regard objectivant des chercheurs à celui, plus subjectif, des artistes, des militants et des étudiants, afin de mener une réflexion collective sur les débats politiques contemporains et ainsi d’y prendre part.

Éduquer pour émanciper. Instruire le peuple, les femmes, les reclus, les opprimés contre l’emprise des traditions et de toutes les formes de domination. Apprendre par soi-même, les uns des autres, pour conquérir sa liberté, pour le plaisir d’apprendre. Tels furent les mots d’ordre des luttes pour l’instruction publique et des mouvements d’éducation populaire, avec ou contre l’action conduite par l’Etat, en lien ou non avec les prophéties révolutionnaires.
Longtemps, il fut surtout question d’instituer l’égal accès à l’instruction. Des « Lumières » aux luttes ouvrières et féministes, de la création de l’école républicaine aux vagues de démocratisation scolaire du XXe siècle, l’idée s’est peu à peu imposée que l’éducation était un droit pour tous et que chaque citoyen devait disposer des moyens de son autonomie. La contestation est également venue de l’intérieur ou des marges du système d’enseignement, contre les formes d’autoritarisme et de compétition que drainaient avec elles les traditions pédagogiques et les structures scolaires. Il s’agissait alors d’instaurer une « éducation nouvelle », plus coopérative, plus sociale. Hors les murs, les mouvements de jeunesse s’essayaient aux « méthodes actives ». Les enseignants eux-mêmes se divisaient entre « anciens » et « modernes ». La révolution éducative se retournait contre le pouvoir des clercs.

Mais déjà, un autre bouleversement était à l’œuvre. L’instauration de « l’école pour tous » finissait elle-même par produire son lot de désillusions. La critique sociologique mettait à mal le mythe de « l’école libératrice ». Et la statistique scolaire ne cessait de confirmer que la massification de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur ne réduisait en rien les inégalités. Dans le fonctionnement ordinaire du système d’enseignement, chacun était en quelque sorte renvoyé à lui-même, à ses « talents », à sa « nature ». La réforme scolaire contribuait malgré tout à des mouvements d’émancipation, à celui des femmes tout particulièrement. Mais le progressisme scolaire perdait peu à peu de sa force d’entraînement, en même temps que s’installait un climat de consumérisme et d’individualisme cynique. Les mouvements pédagogiques et les associations d’éducation populaire voyaient leur base militante s’effriter peu à peu.

À la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, la révolte est revenue par un autre côté, contre la montée en puissance d’une vision marchande, utilitariste et instrumentaliste de l’éducation. L’école serait de plus en plus conçue comme un moyen d’améliorer l’employabilité des futurs travailleurs et la croissance économique. Les luttes scolaires reprirent de la vigueur en même temps que s’inventait l’altermondialisme. Alors que le mouvement d’extension de la scolarisation semblait être durablement bloqué, le droit à l’éducation était exigé sous de multiples formes, dans les luttes des territoires déshérités comme dans la défense de programmes scolaires universalistes, dans la solidarité avec les enfants de sans-papiers comme dans la défense de l’organisation nationale de l’institution scolaire.

Où en est-on exactement aujourd’hui? Quels sont les enjeux actuels de la réforme éducative dans le contexte de la refondation de l’école annoncée par le nouveau pouvoir en place ? Quelles formes prennent les tensions contemporaines entre tendances objectives au maintien des inégalités, renoncement ou désenchantement et volontarisme politique? Par quelles voies s’invente aujourd’hui une école ambitieuse pour tous, démocratique? Quels faux-semblants mais aussi quels espoirs se dessinent sous nos yeux, s’expérimentent ici ou là ?
Extrait de http://festivalraisonsagir.org

Voir le programme.

2 Comments

  1. royer jean-charles

    Entretien avec Bertrand Geay – Festival Raison d’Agir / Poitiers 3 au 5 avril
    bonjour,

    j’ai assisté à ce festival, très riche, très ouvert sur toutes les composantes de la gauche, et qui a su aborder tous les problèmes difficiles de la politique scolaire. Je pense en particulier, comme B.Geay le dit dans l’entretien, à l’articulation entre une réflexion sur les inégalités de réussite en fonction des “origines” sociales et sur les façons de penser le rapport au savoir, c’est-à-dire sur ce qu’on nomme habituellement les “pédagogies”. Entendre des chercheurs qui ne lâchent rien de cette difficile liaison, ça fait plaisir; et plus que plaisir : ça préfigure certainement une programmation politique de transformation sociale qui n’était que médiocrement au rendez-vous dans la dernière présidentielle, FdG compris.
    J’ai produit un petit papier sur le festival pour le GFEN qui devrait apparaître rapidement sur le site de l’asso; et peut-être également sur le café péda. Si vous voulez entendre les interventions des chercheurs et les débats qui suivent, rv sur le site de l’Espace Mendes France (emf.fr) qui ne devrait pas tarder à les rendre dispo.

    .

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