Une poignée d’élèves, des établissements microscopiques mais une présence envahissante dans les médias : il est incontestable qu’en cette période électorale la Fondation Espérance banlieues donne des idées à certains candidats. Mais ce ne sont ni les meilleurs candidats ni les meilleures idées.
A moins d’être sourd, chacun a entendu parler des écoles « Espérance banlieues », tant ces établissements, experts en marketing, savent s’y prendre pour attirer les médias, amateurs d’images faciles d’élèves en uniformes, qui commencent leur journée en entonnant la Marseillaise pour un règlementaire lever de couleurs. Il y a encore quelques jours, l’Express titrait : « Les écoles Espérance banlieues essaiment, leur succès interroge » ; tandis que France bleu Sud Lorraine avançait de son côté : « sur le papier, le concept a déjà séduit bon nombre de parents d’élèves et d’élus ». Sur le papier, peut-être car dans la réalité, il faut convenir que l’état des lieux des établissements en question et de leurs effectifs n’a jusqu’à présent guère à voir avec la vague de fond que d’aucuns appellent manifestement de leurs vœux. Mais alors, pourquoi autant de bruit autour d’Espérance banlieues ?
A l’heure actuelle, la Fondation Espérance banlieues revendique quelque 350 élèves (sur un total de 12, 5 millions) répartis dans 8 établissements (sur un total de 63 000 pour toute la France). Un « essaimage » donc très relatif. A l’exception du cours Alexandre Dumas à Montfermeil (93) – le plus ancien et qui fait figure de vitrine pour le réseau – qui accueille plus d’une centaine d’élèves, l’effectif des sept autres peut être qualifié de microscopique : avec un nombre d’élèves qui varie de 90 au cours Saint-Exupéry à Asnières (92) à une quinzaine au cours La Passerelle à Pierre-Bénite (69), soit une moyenne d’une dizaine d’élèves par classe, il est indéniable que les écoles Espérance banlieues ne sont pas confrontées au problème récurrent des classes surchargées et des difficultés qui en découlent et que le « suivi individualisé » dont elles sont par ailleurs très fières a sans doute plus à voir avec un recrutement aléatoire qu’avec une pédagogie bien pensée. Des élèves peu nombreux, souvent très jeunes (seul le cours Alexandre Dumas offre une scolarité complète jusqu’en 3e), en outre soigneusement sélectionnés par le chef d’établissement – ce qu’on oublie souvent de mentionner : dans ces conditions, les comparaisons dithyrambiques entre les écoles Espérance banlieues et leurs voisines de l’EN n’apparaissent pas spécialement crédibles.
Elles le sont d’ailleurs d’autant moins que les items retenus, censés quantifier le progrès des élèves et donc la qualité de l’environnement éducatif, ne brillent ni par leur pertinence ni par leur précision, faisant plutôt fonction d’écran de fumée pour masquer le fait que, finalement, le travail et les acquis des élèves, leurs performances et donc l’efficacité de la structure relèvent plus de l’auto-persuasion que de la rigueur statistique : ainsi, lorsque le cours Charles-Péguy de Sartrouville avance crânement ses taux de « 0% d’absentéisme, 100 % d’élèves réconciliés avec l’institution scolaire, 100 % des enfants sortent en sachant lire, écrire, calculer », on peut de fait s’interroger sur la méthodologie choisie. Même flou artistique avec la rubrique « investissement dans le travail » au collège Alexandre-Dumas : « En 2014-2015, au début du premier trimestre, 19 élèves (17% des effectifs) ne faisaient preuve d’aucun investissement dans leur travail. Au début du 2ème trimestre ils n’étaient plus que 4 (9%). » Avec la rubrique « retard » on n’est pas loin de l’enfumage : « Entre le 1er et le 2ème trimestre le nombre de collégiens régulièrement en retard a été divisé par 3 et celui des élèves de primaire en retard, par 10. » 350 élèves, 8 établissements (et quelques-uns en attente si les vents sont favorables), des statistiques qui tournent à vide, de la communication à n’en plus finir : Espérance banlieue serait-il une arnaque ?
Par certains côtés, ces établissements rappellent les internats dits « d’excellence » de l’époque Sarkozy, dont les effectifs (0,02 % du total des élèves) et les résultats (quasiment jamais évalués) étaient inversement proportionnels à l’aura médiatique qui les accompagnait invariablement. Avec en arrière-plan, derrière une façade rutilante, propre à attirer les télés et à entretenir les illusions, un véritable projet politique de sélection des élèves. Une démarche finalement très proche de celle adoptée par la Fondation Espérance banlieues (1), dont l’objectif clairement affiché est de rompre avec le service public d’éducation, tout en s’appuyant sur des méthodes d’enseignement résolument rudimentaires et une symbolique identitaire ostensiblement affichée. Au final, un programme éducatif qui ne pouvait laisser indifférent certains milieux politiques. Ce fut par exemple au printemps 2015 un compte-rendu flatteur d’une commission d’enquête sénatoriale noyautée par LR qui s’interrogeait doctement sur les moyens de « faire revenir la république à l’école » ; puis les éloges répétés et de plus en plus voyants des candidats de droite aux présidentielles (Le Maire, tout spécialement), concrétisés par la visite très médiatisée de Fillon au cours Saint-Exupéry en novembre dernier etc. Incontestablement, le projet éducatif LR s’inspire de la fondation Espérance banlieues et de ses expérimentations, promues au rang de modèle généralisable… surtout si les médias participent activement à leur campagne de promotion. Ce qu’ils ne manquent pas de faire : les télévisions se bousculent à l’entrée des établissements, les journaux également, pour des reportages exhibitionnistes autant qu’anecdotiques, complaisants le plus souvent, dans lesquels les images d’élèves en uniforme, au garde-à-vous devant le drapeau ont pour effet (et pour fonction) d’étouffer toute analyse sur la finalité de système scolaire ou sur la complexité des questions éducatives.
Comment faire d’une initiative au départ marginale et objectivement loufoque, touchant une poignée d’élèves, un objet crédible et respectable ? Dans ce domaine, le rôle malsain et ambigu joué par les médias n’est pas une chose nouvelle, leur curiosité à géométrie variable non plus : quasiment jamais d’informations sur des dispositifs réellement novateurs – et aux résultats attestés – comme les microlycées, le Lycée expérimental de Saint-Nazaire ou encore le collège Clisthène à Bordeaux mais un flot répété d’images racoleuses émanant d’une officine – Espérance banlieues – au service d’un programme politique profondément réactionnaire.
(1) – Pour l’historique de la Fondation et un aperçu sur sa proche mouvance, voir l’enquête de Grégory Chambat du collectif Q2C