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Entretien avec Pierre Druilhe, illustrateur du numéro 9 de N’autre école

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Pierre Druilhe, avec Domi au scénario, propose chaque mois Stef le décroissant, deux pages de BD satirique pour le mensuel La Décroissance. Il nous a donné avec l’accord amical des éditions L’échappée, ses dessins de presse extraits de Vive les décroissants.

Questions de classe(s)Peux-tu présenter ton parcours et tes travaux ?

Pierre Druilhe – Après un BTS en Arts Appliqués et un passage par les Beaux Arts de Toulouse, comme il n’y avait pas de travail à la sortie, je me suis dit :« essaye de faire de la bédé puisqu’il n’y a que ça qui t’intéresse et tu verras si ça marche». Et me voilà, 25 ans plus tard, dessinateur-pigiste au prestigieux Journal La Décroissance.

QdcMais que s’est il donc passé entre temps ?

P. D. – J’ai donc commencé à dessiner pour des Fanzines (chose que je faisais aussi pendant mes études), puis à sortir des petits albums de bédés chez des petits éditeurs. J’ai fait de la déco et de la sérigraphie pour la Fanzinothèque de Poitiers (à Poitiers, donc). Vers 1996, j’ai rejoint les Requins Marteaux à Albi pour créer le Journal de BD Ferraille autour de Monsieur Pabo, un personnage que j’avais créé (avec Fred Andrieu). Pendant quelques années j’ai donc été chez les Requins: rédacteur d’un journal, dessinateur, maquettiste, éditeur, créateur d’expos et j’en passe. En parallèle, j’ai commencé un travail de bédé autobio qui est sorti chez feu Ego Comme X. Puis un jour, La Décroissance, qui sortait son second numéro en kiosque, cherchait un dessinateur pour illustrer un article. Vincent Cheynet, rédacteur du journal, avait vu une expo des Requins Marteaux qui lui avait bien plu. Il nous a contactés pour avoir des adresses de dessinateurs. C’est moi qui ai pris le boulot. Au début, c’était un seul dessin tous les 2 mois. Pas de quoi nourrir son homme. Et puis avec le temps, La Décroissance est passée en mensuel et j’ai commencé à faire des bédés. Maintenant ça me fait un fixe tous les mois, et ça me laisse encore un peu de temps à côté pour travailler sur d’autres projets d’illustrations ou de bédé.

QdcTu as publié chez l’Association, Les Requins Marteaux et Six pieds sous terre. Comment te positionnes-tu dans le milieu de l’édition et de la presse ?

P. D. – Je fais partie de cette génération qui avait sans doute envie d’essayer plein de choses en bédé sans trop savoir ou ça irait, et qui s’est mise à créer ou à participer aux maisons d’éditions indépendantes des années 90. Par exemple quand j’ai publié à L’Association, c’était juste une toute petite structure qui avait sorti peu de livres (et ma bédé était un « patte de mouche » tirée à 500 exemplaires). Autre exemple : quand on a sorti, avec Bouzard, Les pauvres Types de l’espace, c’était le premier livre (avec celui de Pierre Duba) que Six pieds sous terre sortait en tant qu’éditeur. Jusque là, cette structure n’éditait que la revue Jade. Depuis, ces éditeurs ont grossi et se sont professionnalisés. D’autres ont disparu. Idem pour les auteurs, dont certains sont maintenant chez des gros éditeurs. Pour ma part, n’ayant pas eu accès aux gros éditeurs, je ne peux pas te dire si c’est mieux chez les petits que chez les gros (de toutes façons il y a des gens honnêtes et malhonnêtes partout). Ce qui différencie les petits éditeurs des gros, c’est qu’a priori ils tentent des expériences et prennent des risques que des gros ne prendraient pas (et c’est ça qui est intéressant). Alors pour revenir à la question “comment je me situe dans le monde de l’édition ?”: sans doute un peu à la marge.

Qdc
Peux-tu nous parler de ta collaboration avec la revue “La Décroissance” et avec Domi ?  

P. D. – Comme je le disais plus haut, au départ, j’ai commencé à dessiner pour la Décroissance sans connaître aucune personne du journal. Mais quand j’ai lu les premiers numéros, j’ai été assez content de voir que ce que je vivais (pas de portable, pas de télé, pas de bagnole, etc.) était théorisé par des penseurs. Avec le temps, on a appris à se connaître. J’ai découvert ce milieu associatif de l’écologie et de la décroissance. Si j’étais moi aussi dans un milieu associatif, c’était un milieu plus artistique (tourné vers la bédé, le dessin, le rock, etc.). Un jour, en discutant avec Vincent Cheynet (qui est en fait le fameux Domi), je lui ai rappelé que j’étais dessinateur de bédé : s’il avait des idées de scénar, ça me dirait bien de travailler sur le milieu de la décroissance. Il y a de nombreuses chapelles et pas mal clichés dans le milieu de l’écologie (que Vincent/Domi connaissait bien), je retrouvais les mêmes travers que dans le milieu associatif que je connaissais. L’idée l’a emballé et deux jours plus tard, j’avais la première histoire de Stef le décroissant (nous en sommes à la 115e).
Ensuite, pour parler du journal, et ayant connu l’expérience du kiosque avec Ferraille à l’époque des Requins Marteaux (en 10 ans et 27 numéros on n’a jamais réussi à payer les auteurs et à rentabiliser la fabrication), je trouve que c’est incroyable d’arriver à salarier 8 ou 9 personnes sans pub, en ne comptant que sur son lectorat.

QdcTe considères-tu un dessinateur engagé ?

P. D. – Je ne sais pas si je suis engagé. Il faudrait définir ce mot. En tout cas, en dessinant pour la Décroissance, je défends des positions qui vont à l’encontre de la pensée commune dominante imposée par le système médiatico-politique. Si aller à l’encontre d’une pensée qui me semble « absurde » et en défendre une autre qui me semble « de bon sens » est être engagé, je veux bien « en être ».

QdcTu as publié avec Domi en 2017 chez L’Échappée “Vive les décroissants”. Peux-tu nous présenter ce recueil de dessins et de BD dont sont issus les illustrations de ce numéro ?

P. D. – Vive les décroissants reprend des bandes dessinées et des dessins parus dans la Décroissance (depuis 2004 pour les dessins et 2006 pour les bédés). C’est un copain, Jean-Philippe Fleury (ancien des Requins), qui a fait le lien avec Cédric Biagini (de L’Échappée). Au début, je voyais plutôt un recueil chronologique reprenant uniquement les bédés. En tant que dessinateur, comme je vois l’évolution du trait sur 10 ans de boulot, ça me semblait plus logique. Puis Jean-Phi a eu l’idée de regrouper les bédés par thème, et d’aérer l’ensemble avec des dessins. Comme Cédric allait lui aussi dans ce sens, j’ai dit « oké les gars ». Et je reconnais que c’est une bonne idée d’avoir rajouté les dessins. Si je n’y avais pas pensé, c’est que pour moi les dessins sont liés a l’idée de commande, et les bédés sont plus créatives. Mais au final, l’important, c’est d’avoir un beau livre cohérent. Je signale toutefois que ce recueil ne reprend pas l’intégralité de tout ce que j’ai publié dans le journal (à ce jour plus de 230 pages de bédés). C’était le travail de Cédric, avec son œil d’éditeur, de faire une sélection. Certaines bédés étaient sans doute trop anecdotiques pour être republiées.

QdcDans “Vive les décroissants”, il y a deux types de production, des BD satiriques pleines de dérision et même d’autodérision et des dessins de presse “coups de poing” souvent plus métaphoriques. Travailles-tu toujours selon ces deux modalités ?

P. D. – Si nous évoquons maintenant le travail de dessinateur à proprement parler, j’ai effectivement deux façons de travailler pour le journal. Mais quand je travaille sur d’autres projets, avec d’autres personnes ou seul (bédés autobio), c’est encore différent. Pour le journal, il y a la partie illustration qui, comme sont nom l’indique, est assez « illustrative ». Elle l’est tellement que souvent on m’envoie des croquis pour me dire exactement sur quoi je dois travailler, et la consigne est « …surtout rajoute plein de personnages et de détails». C’est assez contraignant, mais ça m’intéresse d’essayer de mettre en forme des trucs pas évidents qui vont donner ce coté métaphorique que tu as si bien remarqué. Nous sommes très loin du dessin de presse, au style lâché, avec la bonne blague bien envoyée.
L’autre partie, c’est le travail de bédé où là, j’ai un synopsis de départ que je peux triturer à ma guise. C’est donc Vincent/Domi qui m’envoie un « scénario/synopsis ». Nous en discutons ensemble. Je suis ensuite assez libre de faire le découpage qui m’intéresse et d’interpréter l’histoire à ma sauce. Comme il y a souvent beaucoup de texte, la contrainte pour moi est d’arriver à faire rentrer tout ça en 2 pages tout en gardant la trame et les personnages. Mais il m’arrive de virer des persos, ou de simplifier des actions ou du texte si vraiment je trouve que c’est inutile.

QdcQuels sont tes projets, tes envies ?

P. D. – Et bien j’aimerais poursuivre un travail de bédé autobio commencé durant une résidence d’écriture BD en 2014 à Bordeaux (à Château Brignon). C’est la suite de l’album Welcome to America paru il y a déjà quelques années (chez feu Ego comme X). J’ai une vingtaine de pages terminée, et j’aimerais bien arriver à une quarantaine cette année.

Propos recueillis par François Spinner

Druilhe (dessin) et Domi (scénario), Vive les décroissants, L’Échappée, 2017, 240 p., 24 €.
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