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Enseigner le management

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Le 17 septembre, Neppo s’interrogeait « une pédagogie émancipatrice peut-elle “traiter” tous les contenus ». Questions de Classes a interviewé l’auteure, Sylvie Cordesse-Marot pour en savoir un peu plus.

JLC : Le management, ça évoque pour certains les procédés machiavéliques pour rouler les travailleurs. Pourquoi faut-il l’enseigner ?

SCM : On ne dénigre pas l’ensemble des sciences physiques à cause des dangers de l’énergie nucléaire ou la biologie à cause des pathologies ! Le mot « management » est souvent assimilé aux techniques perverses de domination des salariés : celles qui organisent la surexploitation, qui créent de la souffrance provoquant même des suicides sur les lieux de travail. Il est essentiel de dénoncer ces pratiques. Il faut aussi avoir conscience que le management ne se réduit pas à cela. Sa définition est beaucoup plus large. C’est un ensemble de techniques d’organisation des groupes humains. Elles concernent la gestion des ressources humaines, la stratégie, la gestion financière, les systèmes de production et de commercialisation, etc.

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La culture du management permet d’en décrypter les applications perverses et d’être capables d’en proposer d’autres. Par exemple je suis étonnée de l’impact de notre culture dite tayloriste sur notre rapport au temps. Les programmes scolaires sont souvent irréalistes ; du coup pour les traiter sur l’année scolaire, nous mettons les élèves sous pression. C’est contreproductif. Cette attitude est aussi fréquente dans les entreprises où le chronométrage est utilisé à la fois comme thermomètre et comme médicament. Une aide-soignante dispose de 7 minutes pour faire une toilette, un dentiste salarié en a 12 pour soigner une carie. Nous acceptons ces aberrations parce que nous manquons de recul critique par rapport à ces techniques

JLC : Ton ouvrage dénonce la montée des stéréotypes concernant le management?

SCM : En effet, si on s’en tient aux stéréotypes le management ne concernerait que les entreprises. On oublie que les établissements publics et les associations sont aussi des organisations qu’il faut gérer. Ensuite, on assimile l’entreprise aux grandes multinationales perçues souvent comme des prédateurs. On fait l’impasse sur l’artisan, la PME locale, la SCOP et les services publics.

Ces organisations irriguent le tissu économique et social. On y crée de la richesse et des emplois. Développer la création d’entreprises exigerait qu’on les enseigne plus et mieux, et qu’on prenne conscience de leur diversité. De plus, elles sont le lieu vivant de culture du travail et de l’action collective. Au XXème siècle, les enfants d’ouvriers ou d’employés bénéficiaient du témoignage de leurs parents sur l’organisation du travail, sur les droits des salariés, sur les choix stratégiques des entreprises. Actuellement, le nombre d’emplois diminuant, une part de la population perd le contact avec cette culture et se dépossède de ces repères. Nombre d’enfants de milieux défavorisés assimilent entreprise et usine. Du coup, ils ne savent pas reconnaître les entreprises autour d’eux. Il faut que l’école prenne le relais pour que les jeunes comprennent mieux leur environnement. La connaissance des organisations doit être intégrée à la culture générale.

Les clichés du management qui serait forcément « machiavélique », de l’entreprise comme « lieu d’exploitation (ou de harcèlement) du travailleur » créent une vision monolithique des organisations. Ils jouent le rôle de repoussoirs, en particulier pour ces jeunes vulnérables qui du coup s’éloignent de l’emploi et de la formation. Ils perdent en employabilité. L’éducation nouvelle a un rôle à jouer dans ce domaine.
Manager, c’est prévoir, organiser, commander, coordonner, contrôler. Ces cinq missions essentielles définies par Henri Fayol au début du XXème siècle peuvent effectivement être assurées de façon machiavélique … ou pas. Tout dépend de la nature de l’organisation, de ses objectifs, mais aussi des personnes qui exercent le pouvoir et de leur mode de gouvernance.

JLC : Enseigner le management aurait pour but de dociliser les travailleurs pour les mettre au service du patronat. Qu’en penses-tu ?

SCM : Actuellement, dans l’enseignement les pratiques dominantes sont effectivement docilisantes. Dans les écoles de commerce, on pratique l’enseignement de cas d’entreprises. Les étudiants apprennent des séries de solutions sans être obligés de se poser de questions. Au lycée, le cours magistral dialogué, les exercices répétitifs, les textes à trous éduquent les élèves à chercher la réponse qu’attend le maître et pas à penser par eux-mêmes. C’est vrai pour les enseignements d’économie et gestion mais aussi pour tous les autres. On peut faire apprendre la philo ou l’histoire de façon émancipatrice ou pas. De la même façon, on peut développer une connaissance critique par l’étude du management ou non. Tout dépend du mode d’enseignement et pas de l’objet étudié.

La première difficulté dans l’enseignement du management est que tout y parait évident. Par exemple, la motivation des travailleurs passe par une rémunération correcte mais pas seulement. Un bon dirigeant est celui qui accorde de l’attention aux hommes et pas seulement aux tâches. Le niveau de l’opinion courante donne ici l’illusion du savoir sans qu’on soit capable de la justifier ni qu’on ait envie de la questionner.

Pour passer de l’opinion au savoir sur la « motivation des travailleurs » ou sur « les styles de direction », il faut donc confronter ces connaissances ordinaires aux réalités diverses des entreprises. Le savoir s’identifie alors à un processus de construction (plutôt qu’à son résultat temporaire) : repérage des problèmes, mise en relation de paramètres, élaboration ou utilisation de modèles, confrontation à l’expérience… Pour cela, il faut proposer des situations suffisamment ouvertes pour permettre d’affronter la complexité. Face aux contraintes et aux obstacles imposés on est amené à mobiliser tous les moyens intellectuels :

— questionner les évidences et les opinions ;

— activer les connaissances antérieures et les réorganiser, voire y renoncer ;

— se confronter aux modèles du savoir constitué, les comparer ;

— échanger et se confronter éventuellement entre pairs ;

— construire et formuler une analyse cohérente et pertinente…

La difficulté suivante pour le professeur est de proposer des situations de recherche et des consignes ni trop faciles ni trop difficiles, courtes mais suffisamment riches, impliquantes mais pas trop. Il est toujours sur le fil du rasoir. J’ai beaucoup testé les dispositifs que je propose dans mon ouvrage avant qu’ils soient aboutis. Par exemple, je propose une situation de réflexion (individuelle puis en groupes) où une jeune femme ingénieure Zouaouïa, embauchée chez Airbus à Toulouse perd progressivement toute motivation pour son travail. Les élèves doivent analyser la situation, la jouer, en s’imaginant dirigeants ou syndicalistes. Ils travaillent ensuite la théorisation. On est loin d’un cours docilisant !

JLC : Comprendre la compta ça sert aussi à résister ?

SCM : La comptabilité ou plus généralement la gestion financière est un des domaines relevant du management. Elle donne une image de l’entreprise. Elle est cadrée par des normes et pour cela elle est réputée neutre. La comprendre donne effectivement certaines clés de compréhension de sa situation. Pourtant, elle ne se confond pas avec la réalité de l’entreprise. Les normes laissent certaines marges de manœuvre. Du coup, apprendre à déchiffrer des documents comptables doit induire la question « qu’est-ce que les dirigeants ont voulu montrer ? »

En effet, ce savoir comptable est au cœur de conflits d’intérêts. Les questions comptables ont trait à la création des richesses, à leur répartition, à la façon dont les entreprises sont gouvernées. Les comités d’entreprise ont un droit d’accès aux comptes et un droit d’alerte quand ils considèrent que l’entreprise est en difficultés. Ils n’utilisent pas assez cette possibilité et l’alerte est souvent donnée trop tard.
Les institutions publiques (les lycées par exemple) ont aussi l’obligation de fournir des documents comptables à leur conseil d’administration. Les associations ont aussi l’obligation d’élaborer clairement leurs comptes.

La compta est-elle un outil de résistance ? C’est en tout cas un outil de débat démocratique qu’il faut prendre au sérieux. La connaître devrait être une composante à part entière de la culture générale.

JLC : Le management, ça concerne aussi les SCOP, les syndicats, etc… ?

SCM : L’expérience des Fralib est parlante : après quatre ans de lutte contre Unilever, ils viennent de créer une scop dont Olivier Leberquier, délégué CGT, est devenu directeur général. Ils viennent de créer une nouvelle marque de thé « 1336 » (qui sort ces jours-ci) en référence à leur nombre de jours de grève. Au cours de ces luttes, ils ont du acquérir des savoirs en management.
La croix rouge a des buts humanitaires. En mai 2015, elle a été pourtant mise en accusation par ses salariés et ses bénévoles pour mauvais traitements. Elle a dû redresser la barre rapidement.

Un principal de collège, un directeur d’école sont des managers. Le prof aussi fait du management dans sa classe.

Pour faire vivre la démocratie dans une organisation, la bonne volonté ne suffit pas. Il faut être capable de décrypter les styles de direction des leaders, les types de motivation des personnes impliquées. Ça s’apprend en management. Il est essentiel que l’éducation populaire s’en empare.

0 Comments

  1. neppo

    Enseigner le management
    Je me souviens d’avoir lu sous la plume de F. Poupeau que les filières techniques et leur vocabulaire participaient à l’utilisation de la novlangue entrepreneuriale (plateau technique, agents…) dans l’entreprise.

    Je trouve que ce livre y participe.

    Nier que ce mot est porteur pour les salariés mobilisés dans la vie de leur entreprise (comprendre les syndiqués, les raleurs, les affreux arracheurs de chemise…) de tout ce qu’ils exècrent, ne pas partir de là pour effectivement en démonter les rouages. Ne pas être capable de trouver un autre mot pour parler de la vie des scops et d’autres entreprises où se vit autrement le travail c’est dommage.

    Parler de la compta comme je cite « un outil de débat démocratique » c’est se moquer de la réalité qui fait qu’aujourd’hui dans la plupart des entreprises la plupart des salariés sont incapables d’avoir même une vague idée de comment se comporte leur entreprise et même souvent à qui elle appartient, il faut dire que le patronat (oh le vilain mot, ne se prive pas pour obscurcir l’affaire)

    Prétendre que «  une situation de réflexion (individuelle puis en groupes) où une jeune femme ingénieure Zouaouïa, embauchée chez Airbus à Toulouse perd progressivement toute motivation pour son travail. Les élèves doivent analyser la situation, la jouer, en s’imaginant dirigeants ou syndicalistes. Ils travaillent ensuite la théorisation. On est loin d’un cours docilisant ! »
    c’est être bien sur de soi : étude de cas et jeu de rôle ne garantissent pas l’esprit critique sinon les écoles de commerce seraient à la pointe de l’émancipation.

    « Pour faire vivre la démocratie dans une organisation, la bonne volonté ne suffit pas. Il faut être capable de décrypter les styles de direction des leaders, les types de motivation des personnes impliquées. Ça s’apprend en management. »


    La bonne volonté ne suffit pas certes mais faire croire que l’on gagne en étudiant les systèmes existants une expertise. Que c’est en décryptant les styles de direction des leaders et le types de motivation des personnes que l’on peut faire vivre démocratiquement une institution (au sens large, entreprise comprise) moi j’appelle ça de la dépolitisation.

    Camarade du GFEN, emparons-nous de l’outil de production, décrétons le salaire unique, constituons partout des conseils ouvriers… et après nous écrirons ensemble un manuel d’anti-management (heu ce sera forcément de la recherche-action, parce qu’il faudra comprendre ce que l’on est en train de changer et non étudier de vieux systèmes croulants).

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