Menu Fermer

École et écologie : blablabla…

Nous vous proposons ici l’édito du nouveau numéro de la revue N’Autre école, disponible en librairie ou à commander sur notre boutique en ligne.

Il y a « urgence » : le dernier rapport du GIEC l’a montré clairement. On n’échappera pas au réchauffement et aux dérèglements massifs en termes de climat et d’écosystèmes, mais des changements radicaux peuvent le limiter. Parmi les êtres humains, dans le système capitaliste, les dominé·es, notamment habi-tant·es des Sud, sont les premier·es touché·es par le réchauffement climatique et les pollutions. On sait aussi que le dérèglement climatique menace de disparition un certain nombre d’espèces. S’il nous concerne tous et toutes en tant qu’habitant·es de la Terre, nous ne sommes donc pas tout·es impacté·es au même degré par celui-ci. La gestion capitaliste et coloniale de la crise climatique, à laquelle nous assistons, nous promet donc une société encore plus violente et inégalitaire.
Tout une tradition de productivisme pèse sur le mouvement social. Syndicats, organisations de gauche, collectifs de lutte… ont mis du temps à se saisir de l’urgence­ climatique et des luttes écologistes. De même, les militant·es écologistes ont peiné à articuler enjeux écologiques et justice sociale ; articulation qui émerge aujourd’hui de manière forte avec les notions de justice climatique, ou encore d’écologie populaire, d’écoféminisme ou d’écologie décoloniale.
À Questions de classe(s) nous aussi nous sommes porteurs de l’inertie de notre héritage politique : nos références s’ancrent notamment dans l’histoire du mouvement ouvrier qui n’a pas su prendre en charge la question de l’écologie. Force est de constater que si nous avons décidé d’écrire un numéro sur le sujet, nous nous sentons moins à la hauteur d’un point de vue pédagogique que dans d’autres domaines. Si la réflexion sur les rapports sociaux, par exemple, a pu irriguer et modifier nos gestes professionnels les plus routiniers, qu’en est-il de l’écologie ? La radicalité écologique que nous souhaitons en politique a-t-elle trouvé son écho dans nos pratiques au quotidien ? Certes, on peut déjà faire l’inventaire de pratiques « écolo » à l’école, tenter de mettre au centre la question de l’environnement et du rapport des enfants à la nature. Mais, est-ce à la hauteur de l’urgence ?
Ces quelques dernières années ont vu tout à la fois l’émergence dans la rue d’un mouvement écologiste plus jeune et dynamique, d’une « génération climat » et des organisations s’auto-désignant comme représentantes de la jeunesse, mais aussi quelques collectifs enseignants qui militent pour une présence plus importante de l’écologie à l’école. Ce mouvement se retrouve aussi dans l’Éducation nationale avec par exemple la circulaire du 27 août 2019 insistant sur l’éducation au développement durable.

© Cécile Cée
Ce numéro est illustré par Cécile Cée, qu’elle en soit ici remerciée.
N’hésitez pas à la suivre sur Instagram : www.instagram.com/cecilcee/


Quelle radicalité pédagogique pour répondre à l’urgence ? Nous n’avons pas trouvé la pédagogie de l’écologie radicale, et nous ne la pratiquons pas. Écrire est aussi pour nous une manière de mettre le pied à l’étriller, d’amorcer la réflexion et d’opérer des mouvements. Donner une centralité à la question écologique quand on la cantonnait aux marges. Ne plus la penser comme un sujet qui entoure l’école, mais qui la traverse profondément. Multiplier les « projets », les « initiatives », les « séances », les prises de conscience… se lancer, tâtonner et voir ce que cela change.
D’abord, il y a ceux et celles qui prennent à bras-le-corps la question du rapport à la « nature ». Avec leurs élèves, en sortant de la salle de classe, ils/elles nouent des relations, souvent plus sensibles ou savantes, aux plantes, aux animaux, aux paysages… On peut penser aux praticiens de la « classe dehors » ou à la « classe promenade » en pédagogie Freinet. Il s’agit d’introduire les enfants à la « nature », de mieux la connaître­ pour aussi mieux l’aimer et la protéger. Si on peut penser cela de manière rela­ti­vement apolitique ou hygiéniste, on peut aussi lire cet enjeu à l’aune des réflexions sur la manière dont colonialisme et capitalisme ont construit la nature comme une « ressource à exploiter » et non comme un espace habité. Il peut s’agir de réap­prendre, avec nos élèves, à habiter un territoire en relation avec les autres êtres vivants qui y vivent. Ces transformations radicales dans notre manière d’habiter le monde portent ainsi en elles des perspectives écologiques fortes.
La seconde piste est celle de ce que certain·es appellent une « citoyenneté environnementale » : actions des écolier·es pour mieux trier les déchets à la cantine, installation de nichoirs à oiseaux, éco-délé­gué·es, nettoyages de terrain vague. Il s’agit de sensibiliser les enfants par l’action elle-même. Dénoncer souvent comme une écologie « des petits gestes » qui ne remet pas en cause le système, peut-on pour autant en faire l’économie ?
La troisième piste est celle des savoirs critiques sur les questions environnementales et climatiques. On peut citer comme exemple la question du développement durable dans les programmes de géographie de cycle 3 et les questions de climat ou d’écosystèmes en SVT. Mais, pour une compréhension politique des questions climatiques et des responsabilités humai-nes, il est nécessaire de décloisonner les disciplines et de les faire dialoguer entre elles. On pourrait ainsi imaginer des séances donnant une perspective historique sur la question des gaz à effet de serre, ou mettant en relation les écosystèmes urbains et les manières d’y habiter. Pour conscientiser les problématiques écologiques, il semble par ailleurs difficile de passer à côté d’une compréhension de l’impact des modes de consommation et de production capitalistes. Comme on peut interroger chaque sujet du curriculum à l’aune du genre pour y déceler les impensés sexistes, il pourrait être intéressant de faire le même travail pour les impensés productivistes du curriculum scolaire.
Aucune de ces pratiques, prises sépa­rément, ne semble à la hauteur des enjeux des dix prochaines années en matière de réchauffement climatique. Toutefois, peut-être est-ce en les multipliant, en navigant entre elles et en les faisant entrer en résonance et en cohérence, que l’écologie trouvera une centralité nouvelle à l’école et dans les pratiques enseignantes, qu’apparaîtra la radicalité écologique nécessaire à une pédagogie du xxie siècle. ■
Arthur Serret, collectif Q2C

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *