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École et écologie? Blablabla… – Vive les petits gestes!

Le numéro 18 de notre revue n’Autre école aborde le thème de l’écologie à l’école. Voici l’edito et un article extrait du dossier.

École et écologie : blablabla…

Tellement de discours… À l’heure où, à travers le monde, une partie de la jeunesse se mobilise et appelle à la grève scolaire – comme s’il ne restait d’autre solution pour agir que de déserter l’école – ce dossier de la revue N’Autre école passe au crible un certain nombre de pratiques (école dehors, classe promenade, éco-délégué·es, tri des déchets, coopération, interdisciplinarité, rénovation des bâtiments scolaires, etc.)
Aucune de ces pratiques, prises sépa­rément, ne semble à la hauteur des enjeux des dix prochaines années en matière de réchauffement climatique. Toutefois, peut-être est-ce en les multipliant, en navigant entre elles et en les faisant entrer en résonance et en cohérence, que l’écologie trouvera une centralité nouvelle à l’école et qu’apparaîtra la radicalité écologique nécessaire à une pédagogie du XXIe siècle.

Et aussi :
– Rage against the machisme, entretien avec l’historienne Mathilde Larrère
– Enseigner l’histoire du 17 octobre 1961 à l’école primaire
– Notes de lecture : pédagogie, social, littérature jeunesse…

A commander sur notre librairie : N’Autre école n°18 – École et écologie : blablabla… (questionsdeclasses.org)

Vive les petits gestes ! par Jean-Pierre Fournier

Titre évidemment provocateur. Car il ne s’agit pas de faire l’éloge de la propension de l’Education nationale à promouvoir mille petits projets anodins, « pour sauver la planète », et qui ignorent consciemment1, au nom du développement durable hier, de la transition écologique aujourd’hui, la responsabilité du capitalisme dans la production d’objets et de pratiques. Un pédagogue suisse parlait à ce sujet de « pédagogie-sparadrap »2.

Faut-il pour autant se réfugier dans la « dénonciation » ? Je pense que non, pour plusieurs raisons.

La pure et simple dénonciation est inefficace (elle ne convainc que les convaincus) et à qui s’adresse-t-elle dans l’Education ? Aux collègues ? Ils le savent bien mais haussent les épaules car « on ne peut rien faire » ou, au contraire « on peut quand même faire des trucs sympas ». Aux élèves ? L’estrade, ou ce qui en tient lieu symboliquement, n’est pas une tribune, si l’on respecte un tant soit peu la liberté de conscience.

Alors, ne rien faire ?

Impossible, sinon à se mettre au niveau de ces politiciens qui disent une chose et font le contraire et ne tiennent jamais leurs promesses quand elles ont un aspect progressiste. La base éthique de l’engagement social interdit (devrait interdire) de tourner la tête de l’autre côté. Question de cohérence.

C’est vrai aussi que l’engagement concret et pertinent est difficile : il y a d’abord l’intégration du social et de l’écologique, qui n’est pas évident ; le tri des déchets, qui va le faire, quand les agents sont trop peu nombreux ? Doit-on mettre dans une liste de revendications la généralisation du compost en sortie de cantine, la régulation et l’isolation thermique des locaux, la fin du plastique (et de la bouteille d’eau dans les sorties) ?

Possibilités…

Tout n’est pas aussi délicat : l’établissement de zones piétonnes autour des établissements autour des établissements peut être un combat commun des parents et des personnels ; un combat3 qui peut marquer des points. J’ai le souvenir d’élèves fiers de voir que leur projet d’extension de l’espace piétons était réalisé : symboliquement, passer des mots au fait, ce n’est pas rien. C’est peut-être cette fierté qui m’ont incité à penser qu’il n’y a pas de petits gestes….

Il ne s’agit que d’un exemple, et il y a des échecs : je me souviens aussi ne pas avoir réussi à convaincre une association qui promouvait, dans un arrondissement très populaire, des activités végétales, à s’adresser aux jeunes qui cassaient les branches d’arbres fraîchement plantés devant le collège : le sentiment d’indignation était trop grand pour permettre d’envisager ce saccage comme un problème à résoudre.

et obstacles

En dehors de la charnière social/écologique dans les revendications, déjà évoquée, il y a d’autres obstacles. Sociaux et pédagogiques, peu conscients et structurels : comment faire quand on se rend compte, même si la préoccupation « nature » est propre à tous, que l’écologie parle le langage de ceux qui sont allés à l’école, et à ceux-là seulement ; comment aborder la question des transports ou de l’alimentation, quand bien des parents vont hausser les épaules et faire comprendre à leurs enfants que « tout ça, c’est des c…ies » ?

Les pratiques existent :

  • le jeu de rôles : pour ou contre la piste cyclable, avec préparation par groupe pour un automobiliste, un maire, un piéton, etc.
  • le débat scientifique : on relira l’article de Jean-Louis Cordonnier dans le numéro 6 de N’Autre école 4.
  • les « discussions à visées démocratique et philosophique », une forme d’atelier-philo mis au point par Michel Tozzi5.

L’objectif ici n’est pas d’emporter la conviction, mais de montrer par la pratique que ce sont des sujets qui concernent tout le monde et dont tous peuvent parler. Qu’il ne s’agit pas d’adhérer à un contenu de croyance, mais d’échanger connaissances et points de vue pour construire son opinion sur des sujet d’importance.

On ne renversera pas les barrières mentales pour autant, d’autant que notre forme d’enseignement a tendance structurellement à les fonder : le simple fait qu’au primaire on fait (on récupère des déchets, on s’occupe d’un potager) et qu’au lycée on écrit sur les questions d’environnement (une dissert’ de sciences économiques et sociales, de Français, de philo…) signifie que plus on grandit, plus « ça devient sérieux », plus « on fait partie de ceux qui comptent » (car tout le monde ne va pas jusqu’aux étages supérieurs de l’édifice scolaire), plus le réel s’absente, plus on risque de parler dans le vide, sans implication.

Pour reprendre la métaphore de Péguy à propos de la morale kantienne, la dissertation n’a pas de bras.

Raison de plus pour planter des graines6, et en parler. Photographie, dessiner, écrire. Lire les poètes.

Calculer la superficie du jardin, les volumes de terre nécessaires, dresser des calendriers. La vie, notre vie d’enseignants et d’élèves, est faite de gestes concrets et conscients à la fois, exprimés de multiples façons, à hauteur de nos capacités, et ensemble. Ces gestes, petits ou grands ?

Jean-Pierre Fournier

1 Oxymore volontaire : refuser de reconnaître des éléments gênants de la réalité est une spécialité humaine très répandue, bien au-delà des dominants et de leurs serviteurs.

2 Sur ce thème, voir un billet p. 29 du n° 560 des Cahiers pédagogiques consacré à l’écologie, mars-avril 2020.

3 Pour des données sur le sujet, l’utile site de Respire https://www.respire-asso.org/

4 « PédaGOgiqueMent » , page 24. Disponible à partir du

site Questions de classe !

5 https://www.icem34.fr/images/organisercooperation/Fiche12_DVDP.pdf

6 De nouveau le numéro 6 de N’Autre école, page 89, un retour sur l’expérience du Jardin solidaire dans le 20° arrondissement de Paris.

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