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Du bulletin scolaire au bulletin RN ?

Garde à vous

Quand des éducateur·ices se sont rassemblé·es à Calais en 1921 pour le premier congrès de l’éducation nouvelle, c’était en partageant un constat : le rêve d’une école civilisatrice et pacificatrice s’était fracassé dans les tranchées de la première guerre mondiale. Une question les a alors taraudé·es : « Que s’est-il passé ? Qu’avons-nous fait pour que l’école n’empêche pas ne serait-ce que d’envisager cette « boucherie d’intérêt cantonnal » (Julien Gracq). Pis encore, qu’avons-nous fait pour que les soldats partent sans rire « la fleur au fusil » aller casser du boche et boire un coup à Berlin trois mois plus tard ? »

On rejoue la partie : tous les gens qui ont voté RN ou Reconquête sont passés sur les bancs de l’école, tous les gens, à commencer par ce président, qui aujourd’hui allument « un feu qui ne pourra s’éteindre » (Racine) y sont même resté très longtemps, et dans les meilleures conditions. Alors nous devons tout de suite, sans attendre, nous poser la question de 1921 : qu’avons-nous fait, à l’école, pour rendre ça possible ? Qu’avons-nous fait pour que alors qu’on célèbre, jour pour jour, le 80e anniversaire du massacre d’Oradour sur Glane, qu’on n’est pas très loin de célébrer celui de la découverte par les soldats soviétiques des camps d’extermination, on s’apprête à donner le pouvoir aux mêmes représentations, aux mêmes idées, aux projets similaires ?

La question est brûlante, elle porte sur nos pratiques quotidiennes, sur le fameux « climat scolaire ». Est-il possible d’entendre encore aujourd’hui, à propos de nos élèves, des phrases comme « iel n’a pas sa place au lycée, il faut penser à une réorientation » sans nous interroger immédiatement sur le sens de ces propos ? Est-il possible de continuer à utiliser des évaluations nationales, par cohortes, afin de vérifier non la finesse d’esprit, la curiosité, la singularité de nos élèves mais leur conformité à un modèle préconçu dans une administration centrale sans nous demander ce que ça signifie, à terme ? Est-il possible de continuer à faire comme si de rien n’était quand un ministre, dans deux postes successifs, impose les groupes de niveaux, soit un tri systématique et bureaucratique qui ne peut qu’aboutir à de l’humiliation de masse ? Est-il possible d’accepter que le projet de Jean Zay, puis du CNR, puis de Henri Wallon et Paul Langevin de démocratisation de l’école se transforme en fabrique à agents économiques, sous l’impulsion d’un patronat dont l’histoire, dans ce domaine comme dans d’autres, n’est pas très appétissante ?

Nos élèves auxquels on impose des tests de fluence dès le plus jeune âge, avec des compte-rendus officiels directement transmis aux parents, celles et ceux qu’on a envisagé sérieusement, voici quelques années, de « tester » dès trois ans pour repérer et écarter les élèves « perturbateurs », qui ont été abandonnés pendant la pandémie de COVID 19, qui ont traversé la scolarité comme on se déplace dans une maison délabrée, les autres, celles et ceux qu’on met à l’écart parce qu’iels « excellent », qu’on rêve d’enfermer dans des internats, peuvent-ils, forts de cette expérience, envisager autrement que par un long travail de réflexion la notion même de commun ?

Voulons-nous lutter contre le réflexe nauséabond de l’extrême droite, de la sélection, du jeu permanent de validation et d’invalidation qu’est leur monde rêvé ? Commençons par changer l’expérience des 20 premières années de vie, en changent l’école, en la rendant commune, en en faisant un lieu d’apprentissage des socialisations plutôt que de « choc » des savoirs. Nous avons une responsabilité, elle est immense, prenons la à notre compte au travail.

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