Nous ne pouvons nous empêcher de partager l’article de notre amie Laurence de Cock face aux évènements et ce sans l’avoir consultée, l’urgence, l’urgence de vous parler d’enfants…
Demain il faudra accueillir des enfants et des adolescents dans les classes. Et demain il ne faut s’attendre à rien de ce qui correspond à nos formes adultes de deuils. Certains arriveront soulagés de quitter la tristesse de leurs foyers, heureux de pouvoir retrouver la légèreté des cours d’écoles ou celle des discussions badines et codées dont les adolescents, partout, ont le secret. Ceux-là, vous les verrez avec un grand sourire quand nos lèvres restent impossible à décrisper. Certains – beaucoup – ronchonneront d’avoir cours. Oui, ils ont presque cru en écoutant le flux des informations qu’ils allaient pouvoir y échapper. Eux feront la gueule donc, comme d’habitude. D’autres enfin, attendent le moment de nous voir, nous les profs, de nous entendre dire quelque chose du drame et surtout de les rassurer.
Dans quelques quartiers qu’ici nous connaissons bien, des élèves arriveront la boule au ventre, persuadés d’être sous surveillance parce que janvier n’est pas si loin et que c’est eux dont on a montré “la barbarie” (sic) du doigt. Sûr que des familles ont déjà prévenu : “Tu fais pas le con demain hein !” ; et sûr qu’à l’inverse, des textos et des snap ont déjà circulé pour appeler les copains et copines à amuser la galerie.
Alors dans toutes les classes en France demain, ça va soit pleurer, soit déconner, crier , provoquer et même souvent tout ça en même temps dans une lourde cacophonie. La gravité et la tristesse n’ont pas de code qui se partage aussi facilement que l’on croit. Le rituel se construit dans l’accord et non dans l’ordre, parce qu’une classe n’est ni le miroir d’un micro-Etat, ni celui d’une mini société, et que les enseignants ne sont pas des petits ministres. Il va donc falloir écouter les questions, ne pas traquer les “dérapages” comme déjà certains chefs d’établissement le demandent, mais les saisir – le cas échéant – pour poursuivre, toujours plus loin, la discussion sans rien lâcher de ce qui nous anime : aider à comprendre et à poser des mots sur le drame.
Ne pas exclure donc, ne pas s’indigner trop vite, mais parler et écouter les angoisses être recouvertes par les paroles et les gestes qui viennent spontanément aux enfants et aux adolescents. Ils savent ce que l’on attend d’eux et tous n’auront pas envie de nous faire ce plaisir, c’est certain. Inutile alors de les attendre au tournant ; juste leur montrer le chemin, faire quelque pas à leur côté demain, y revenir tous les jours qui suivront et laisser la police en dehors de l’école, elle a mieux à faire.
Il y a toutefois une certitude puisque le mot a été lâché. Beaucoup d’élèves vont demander si la France est en guerre. J’aimerais avoir la liberté de répondre que je n’en sais rien mais que moi je ne le suis pas. J’aimerais qu’on me demande d’ici demain, ou qu’on me laisse (de) leur parler de la paix. Parce que la paix est un mot qui tapisse plus joliment les murs d’une école que la guerre, et que, pour le moment, je ne sais parler de la guerre que quand il s’agit de celle des autres.