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Dans un bureau d’études, à l’usine, à la mine : Tranches de vie et de mort…

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[**Le travail m’a tué, Hubert Prolongeau, Arnaud Delalande et Grégory Madon*]

La BD refermée, une lourde sensation d’oppression m’a envahit ; à l’image du récit subtilement mais implacablement raconté par les auteurs. Un jeune centralien, Carlos Perez, issu d’une famille prolétaire d’origine espagnole, trouve le poste rêvé d’ingénieur dans une entreprise automobile jamais nommée mais qui ressemble fort à Renault. La pression augmente peu à peu : responsabilités accrues, pressions répétées avec objectifs chiffrés impossibles à réaliser, management brutal et inhumain qui détruit les solidarités d’équipe, vie familiale qui s’amenuise et disparaît au profit de l’employeur, outils informatiques inadaptés et dévoreurs de temps, missions kafkaïennes, soirées passées inutilement au travail et nuits sans sommeil… Descente aux enfers. Suicide ou accident ?

Le scénario, qui s’ouvre et se referme sur un procès qui « établit une faute inexcusable à l’origine de l’accident », ne laisse pas respirer le lecteur. Le dessin avec ses chapitres aux tonalités de plus en plus sombre et son trait schématique et efficace, accentue le sentiment de harcèlement et d’inéluctabilité du récit. A l’heure du procès d’Orange (France Telecom) sur les suicides et la souffrance de nombreux salariés, la lecture de cette bande dessinée légèrement romancée mais basée sur une enquête journalistique, est une nécessité pour ceux et celles qui combattent le (néo) management et les modes d’exploitation pervers des entreprises qui pressurent, au profit des actionnaires, les salariés en général et dans ce récit glaçant, les cadres en particulier.

Récit de Hubert Prolongeau et Arnaud Delalande, dessin de Grégory Madon, Le travail m’a tué, Futuropolis, 2019, 120 p., 19 €.
– Les 20 premières pages ICI.
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[**Bienvenue à l’usine, Bastien Bertine*]

Bastien, l’auteur de la BD, embauche dans une gigantesque fonderie. « J’observais chez les ouvriers ce mélange d’humeur sombre de chagrins intimes et de désespoir qu’on appelle “les soucis”. Ils semblaient se débattre faiblement contre quelque chose d’intenable. » Le bleu découvre l’usine, ses petits chefs, les rapports virils, la pénibilité du travail, Violette, une mécano passionnée de physique quantique, l’ogre, dix-sept ans de boite, les chats qui rôdent, les plantations rabougries… « La chaleur vous entre dedans par la bouche et n’en ressort plus. Vous ne quittez plus l’usine, même pas en rêve. » Après quelques semaines et des croquis volés sur le temps de travail, c’est la fin du CDD « le souvenir de la vie qui disparaît… qui se fond dans l’acier. »

Un bel album décalé où le dessin exprime une inspiration dominée par l’esthétique, la divagation et un regard à la fois surplombant et impliqué. La simplicité du trait et des aplats de couleurs révèle l’inhumanité de l’usine, la rudesse des rapports humains mais aussi les points de rencontres éphémères et vrais entre ouvrier.ères.

Bastien Bertine, Bienvenue à l’usine, Vide Cocagne éd. (coll. Soudain,), 2019, 117 p., 15 €.
– Les premières pages ICI.
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[**Gueules rouges, enfant de la mine, Eric Stoffel, Jeff Baud et Frédéric Allali*]

Histoire ouvrière romancée et basée sur les témoignages des Gueules rouges du Var, anciens mineurs de bauxite (minerai d’aluminium). Elle nous fait suivre la vie de Jules, enfant de 12 ans en 1929, arpète, pousseur de wagonnets qui verra les grèves de 1936, deviendra ouvrier puis porion. Les épisodes de sabotage de la production stratégique de bauxite pendant l’occupation allemande, les bombardements américains (1943-1944), le statut du mineur à la Libération, la modernisation et la mécanisation de l’extraction jusqu’aux années 60 et le déclin de la mine avec les luttes ouvrière en toile de fond sont évoquées et intégrées à l’histoire de Jules « qui est chacun d’entre eux [les mineurs] ».

Le scénario classique, nourri de fierté ouvrière et de mémoire industrielle et minière de trois générations de mineurs, s’allie avec un dessin réaliste à dominante rouge et orangée.

Eric Stoffel (scénario), Jeff Baud et Frédéric Allali (dessin), Gueules rouges, enfant de la mine, Idées plus éd. (coll. Aventure), 2018, 48 p., 14 €.
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