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Contre le mépris social : Le commun

Contre le mépris social :
Le commun

Après chaque explosion de violence, djihadiste sans plus trop savoir exactement de quoi il est question tant on y projette de fantasmes, de peurs et d’angoisses existentielles de tout ordre, les discours sécuritaires pleuvent : reconduction de l’état d’urgence, appel aux réservistes sur fond d’union nationale, détermination à mener une guerre au terrorisme dont on a du mal à entrevoir la fin ou même l’efficacité et, in fine, banalisation d’un l’État policier incompatible avec les conquêtes démocratiques et les libertés fondamentales. Le durcissement du contrôle sécuritaire alimente de plus les sentiments xénophobes contre un supposé ennemi intérieur, cet « Autre » qu’il faudrait à tout prix réduire parce qu’il menacerait la cohésion nationale en raison de son éloignement culturel. On a même entendu un homme politique, et pas des moindres, proposer d’équiper les militaires de l’ « Opération Sentinelle » de lance-roquettes, rien que ça. Chaque jour, cette société prend un peu plus des allures de foire aux atrocités. Le mouvement social, quant à lui, est à la recherche d’un nouvel agir collectif. Nous ne pouvons plus faire comme si l’alternative était déjà là – il faut la construire ensemble. Une telle ré-élaboration ne saurait être menée à bien sans la passion du commun.

Le nihilisme stade suprême du capitalisme

Comment ne pas questionner en effet une société qui abandonne les individus à eux-mêmes face à la loi d’airain du marché et où les seules qualités qui comptent sont celles dictées par les profits vite faits bien faits ? Des individus qui en outre éprouvent de plus en plus de mal à s’inscrire dans une vie collective réduite à rien ou peu de chose à force de chômage, de précarité ou du fait d’un travail qui laisse indifférent par manque de sens social ? Quand on ne peut plus rattacher son existence à des symboles, des valeurs ou des idées propres à la société où l’on vit, on va les rechercher ailleurs, y compris du côté d’une idéologie meurtrière pour peu qu’elle réponde à des besoins psychiques dévorants.
Et que dire de la politique, au sens habituel du terme en tout cas ? Elle apparaît de moins en moins comme une alternative crédible à l’enfer des vies défaites tant elle semble impuissante à contrôler des forces économiques qui ont non seulement gagné leur complète autonomie mais ont encore soumis le politique à leurs fins. Pour bien prendre la mesure des choses, il suffit de se retourner sur l’actualité la plus récente. Comme s’il fallait encore s’en étonner, on a appris que José Barroso, ancien chef du gouvernement au Portugal et président de la commission européenne, venait de se faire embaucher par la banque d’affaires Goldman Sachs, celle-là même qui fut le principal protagoniste de la crise de 2008, la figure emblématique du capitalisme de casino planétaire en folie, pour défendre au mieux ses intérêts dans un contexte économique incertain depuis la décision des Anglais d’une sortie de l’Union Européenne. On peut bien parler d’une crise sévère et multiple, sociale, culturelle et politique du monde arabe, mais cela ne peut pas nous conduire de ce côté de la Méditerranée à fermer les yeux sur l’état de délabrement de nos propres sociétés.

Restaurer la République ou inventer du commun ?

Après les vagues d’attentats de 2015, les autorités publiques ont souhaité une refondation de la République à l’école. Au-delà des effets d’annonce ou de la formule purement incantatoire, il est assez cocasse d’entendre encore parler de chose publique, res publica, au moment où la logique marchande a colonisé entièrement la vie quotidienne et abouti à une privatisation de l’espace public presque totale, à tel point que la (dé)raison économique en vient maintenant à se confondre avec le monde lui-même.
Mais plutôt que de refondation, il faudrait encore se demander si, faute de vouloir s’engager sur la voie d’une toute autre politique, ce n’est pas la tentation de la restauration d’une République conservatrice qui est la plus forte. Sauf à se retrancher derrière un mythe national usé qui ne permet de se confronter ni au différend colonial ni à la pluralité culturelle, il devient urgent de redonner tout son sens au social en redécouvrant les puissances de l’agir collectif, en inventant à nouveau du commun pour que la vie batte plus intensément hors des eaux glacées du calcul égoïste. Mais un phénomène social et politique somme toute assez inédit et inattendu comme les Nuits débout est peut-être bien déjà la traduction de telles aspirations, même de façon confuse.
Dans l’éducation, comment ne pas investir dans ce but les pédagogies coopératives pour penser les apprentissages en termes d’interactions, de connaissances partagées et d’entraide contre l’emprise de l’individualisme possessif, l’indifférence aux autres et la concurrence ? Les diverses expériences historiques de républiques d’enfants nous rappellent aussi que les établissements scolaires peuvent devenir des lieux de démocratie réelle où imaginer et expérimenter des alternatives à l’ordre existant, des communautés de vie où le développement de tous et toutes repose sur la liberté de chacun-e. Mais il est impossible de mettre en œuvre un tel projet dans des écoles-usines où les élèves s’entassent à raison de 30 ou 35 et parfois plus par classe, avec des opportunités de travail en groupes réduits de plus en plus rares et en l’absence d’enseignant-e-s et d’éducateurs correctement formées, sans parler de la précarité grandissante dans la profession. Autant dire que rien ne pourra se faire tant que les politiques de rationalisation économique n’auront pas été dégommées. Car dans un tel univers, il n’y a plus de place ni de temps pour l’expérimentation pédagogique, seulement pour la gestion des flux d’élèves la plus efficace possible. C’est d’ailleurs une réalité de terrain que l’introduction de l’accompagnement personnalisé dans l’enseignement secondaire a du mal à dissimuler, le dispositif se révélant être dans les faits surtout le moyen d’habiller la pénurie et l’expression vidée de sa signification originelle.
Le « commun » comme principe d’organisation de la société reste un imaginaire social radical encore disponible à partir duquel renouer les relations humaines. C’est aussi en remontant ce fil qu’il deviendrait possible de se réapproprier l’idée communiste qui déborde en représentations les formes historiques qu’elle a pu prendre jusqu’à présent. S’il n’y pas d’autres mondes que celui-ci, il y a à coup sûr d’autres manières de l’habiter.

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