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Cinquantenaire… « Freinet, toujours debout ! », Le Nouvel éducateur, n° spécial, octobre 2016

C’est le cinquantenaire de la disparition de Freinet, mais c’est aussi 90 ans de pratiques, d’expérimentations et de recherches à l’école et hors de l’école, de la maternelle au lycée.

Ce numéro exceptionnel de 140 pages présente le mouvement Freinet, une actualité ancrée dans l’Éducation nouvelle qui en ce début du xxie siècle demeure une force vive de propositions pour l’école populaire, celle de tous les enfants.

Un dossier articulé en trois parties :

– La construction d’un mouvement pédagogique avec des articles d’historiens, de compagnons de Freinet et de militants ;
– L’actualité de la pédagogie Freinet, tout un avenir, avec des articles de praticiens, de militants, des secteurs et chantiers de l’iCEM ;
– Ensemble pour l’Éducation, avec des paroles extérieures.

Cinquantenaire… « Freinet, toujours debout ! », Le Nouvel éducateur, n° spécial 229, octobre 2016, 12 €.

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Conjuguer Freinet à tous les temps, entretien avec Catherine Chabrun, rédactrice en chef du Nouvel Éducateur

QdC : Freinet, ce n’est pas seulement du passé : où en est le mouvement qu’il a lancé ? Avec quelles perspectives pour l’avenir proche ?

CC : Freinet craignait que le mouvement se fige et se personnalise comme Montessori, Decroly… il n’y a pas de « méthode Freinet », seulement le développement d’ un mouvement qui se nourrit de la société dans laquelle il vit et réciproquement la nourrit.

Ce qui se passe aujourd’hui dans une classe a peu à voir avec une classe des années 30, 50, 70, 90, etc. Ce qui y entre est relié au milieu qui l’entoure, aux problématiques de la société, aux nouvelles technologies… c’est ce qui a motivé Freinet dans le choix de l’expression « École moderne ». Ce qui lui a permis également de se distinguer de l’« Éducation nouvelle » qui représentait surtout des pédagogies bourgeoises loin de l’école populaire.

Aujourd’hui, comme tout au long du 20e siècle, la perspective du mouvement est l’émancipation de tous, ainsi les éducateurs Freinet font de la classe ce qu’ils souhaitent pour la société à venir :

– Être acteur et auteur de ses apprentissages avec un accès aux connaissances partagé, mutualisé, sans hiérarchie des savoirs et dans le respect des cheminements singuliers.
– Avoir le pouvoir de créer et d’agir.
– Dans un milieu fraternel, ouvert sur le monde, coopératif et démocratique avec une réelle participation aux choix, aux décisions, aux projets… et à leurs suivis.
Avec la reconnaissance et la valorisation des progrès, sans jugement ni compétition.

Comme notre société est de plus en plus individualiste, que le commun s’étiole, que le repli sur soi se généralise avec la peur de l’autre et de l’étranger, que l’opinion l’emporte sur l’information et la connaissance, que les résultats économiques prennent le pas sur les acquis sociaux, que la politique se réduit à des élections…. le mouvement Freinet aujourd’hui ne serait-il pas un des antidotes à cet empoisonnement de la société puisqu’il participe à la construction de l’adulte ?

Pour ce faire, le mouvement Freinet doit s’étendre dans les établissements scolaires, les espaces éducatifs et dans les lieux de formation. Il faut donc une volonté politique, et là ce n’est pas à l’ordre du jour !

QdC : Freinet, c’est aussi du passé – au sens positif d’un immense patrimoine : le numéro passe vite sur son engagement politique et social (détaillé par contre dans Freinet, le maitre insurgé paru récemment chez Libertalia), sur ses difficultés tant avec ses adversaires que ses amis politiques, mais met l’accent sur l’année 1936. Pourquoi s’agit-il d’un moment-phare pour l’homme et le mouvement dans son entier ?

CC : Oui, dans le numéro, la période du Front populaire est mise en avant, j’en suis sans doute un peu responsable avec les travaux que j’ai effectués et que j’ai portés avec enthousiasme. Il faut dire que c’était une période de rassemblement populaire avec un ministre de l’éducation engagé. Et puis 2016 : le Front populaire a 80 ans et ce sont les 50 ans de la mort de Freinet !

L’après-guerre a connu une forte dynamique également avec le Conseil national de la résistance, mais les rivalités politiques – notamment avec les communistes – n’ont pas permis à Célestin Freinet d’être force de proposition, notamment pour le Plan Langevin-Wallon qui d’ailleurs a été vite enterré.

Il y avait des tensions avant les années du Front populaire au sein du Groupe français de l’Éducation nouvelle qui regroupait alors tous les courants pédagogiques. Freinet souhaitait s’en éloigner, car il y voyait surtout des pédagogies actives plutôt que des pédagogies populaires et émancipatrices. Le Parti communiste voyait dans la pédagogie Freinet une pédagogie bourgeoise… surtout après 1945.

QdC : Le mouvement Freinet a salué les réformes de Jean Zay et encouragé les éléments positifs de la récente « refondation » ; dans la revue, Najat Vallaud-Belkacem consacre son article à l’éloge du militant. Entre appréciations encourageantes, réticences ou désaveux, quel bilan l’ICEM-Freinet tire-t-il de la partie « éducation » de ce quinquennat ?

CC : En général, l’ICEM ne s’est guère exprimé sur la « Refondation », il ne faut donc pas mélanger mes expressions personnelles et celles du mouvement. Il n’a pas fait de bilan du dernier quinquennat et je pense qu’il est variable selon les situations professionnelles et les sensibilités personnelles.
Pour ma part, j’ai réalisé une sorte de bilan en regroupant tous mes billets d’humeur de cette période. « Refondation », terminus tout le monde descend : http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/48336

QdC : Freinet tenait à se démarquer d’autres courants de l’éducation nouvelle, principalement pour affirmer l’engagement social du mouvement. Comment l’ICEM se situe-t-il aujourd’hui vis-à-vis des autres mouvements pédagogiques et des autres grandes inspirations sociales (Freire, Korczak) ?

CC : A la fois Freinet tenait à se démarquer des autres courants de l’Éducation nouvelle qui pour lui s’éloignaient de l’école du peuple, de l’éducation populaire, mais de l’autre, il leur rendait hommage et savait utiliser leurs pratiques pédagogiques quand elles correspondaient aux principes et à la philosophie de la pédagogie Freinet.

Aujourd’hui, il existe deux situations différentes :

– Il y a ce que j’appellerais les grands pédagogues comme Paulo Freire, Roger Cousinet, Paul Robin, Janusz Korczak, Anton Makarenko… qui ont nourri et nourrissent toujours les réflexions des militants Freinet. Des références et des fondamentaux indispensables.

– Et il y a les mouvements pédagogiques actuels avec lesquels l’ICEM travaille. Le plus souvent dans différents collectifs, associations qui défendent justement les références et les fondamentaux et se projettent dans l’avenir. Parfois c’est aussi au sein de rencontres, de stages, de congrès où sont mutualisées les expérimentations de chacun. Des publications, des ouvrages sont élaborés en commun.

Il y a parfois des divergences d’analyse politique sur telle ou telle réforme, il y a des pratiques pédagogiques différentes voire même des principes pédagogiques, certains mouvements sont plus dans le premier degré, d’autres dans le second, certains sont davantage présents dans la formation institutionnelle d’autres moins, certains sont plus hors de l’école, etc.

Mais ils ont tous en commun :

L’enfant sujet, l’éducabilité de tous, la motivation de l’enfant et qu’il soit actif dans ses apprentissages, des savoirs en articulation avec des projets mobilisateurs, la coopération et non la compétition, l’accompagnement personnalisé, apprendre mais surtout apprendre à apprendre, la formation à la citoyenneté et à la liberté,… et j’en laisse !

Et comme on en est loin, il reste du pain sur la planche pour les mouvements pédagogiques et ce ne sont pas les programmes électoraux déclarés qui peuvent changer l’éducation en France telle que nous la souhaitons.

Propos recueillis par Jean-Pierre Fournier

Sommaire et feuilletage du numéro sur le site de l’ICEM :
http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/48735

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