C’est la troisième année, nous commençons le projet une semaine après les attentats. Comment présenter le projet aux élèves sans leur parler de Charlie ?
Nous choisissons de ne rien imposer de laisser circuler la parole librement, de parler s’ils en ont envie.
Nous avons préparé des dessins glanés à gauche à droite, hommage aux dessinateurs de Charlie et puis quelques caricatures du prophète aussi. Nous sommes dans un cours d’arts plastiques, nous intervenons en tant qu’artistes.
Certains rient de bon cœur, d’autres ont le regard sombre.
« Une des conséquence de ces attentats vous concerne directement car nous ne pouvons pas vous emmener à Beaubourg.
Quel est donc votre choix, où est donc votre libre arbitre ? »
Au fil de la journée la parole se libère entre eux et entre nous. C’est violent.
« J’ai peur madame de ce que je lis sur facebook. »
« on est pas aimé »
Nous parlons de notre émotion en tant qu’artistes, de l’immense talent de Cabu et de Wolinsky, des artistes qui au cour s de l’histoire ont choqué et été censurés mais jamais assassinés, de la liberté d’expression et de la liberté du blasphème .
Nous parlons du fascisme, et de la chance de pouvoir être ici dans cette classe à parler librement sans risquer d’être emprisonné ou tué.
Nous ressortons de cette journée sonnés, consternés et plein d’interrogations.
Vont-ils toujours nous faire confiance ? Allons-nous pouvoir travailler ensemble ? Car nous n’y avons pas été de main morte, notre statut d’artiste intervenant nous a permis de parler sans ambages.
La semaine suivante nous commençons les repérages dans le quartier. C’est à eux maintenant de créer en toute liberté.
« Je veux construire un immense crayon sur la place Maurice Chevalier car la liberté d’expression nous aussi à l’école nous ne pouvons pas toujours l’avoir »
« Nous voulons parler de l’esclavage, nous allons travailler sur Mandela »
« Nous allons transformer la fontaine en une sculpture Peace and Love »
« Nous allons nous photographier, faire des caricatures et travailler sur les préjugés »
« Nous allons rebaptiser la rue en Lemon Charlie et … »
«Nous allons ….
Kadidiatou :
« Juste regarder de la peinture c’est pas cool, aller dans un musée et juste regarder ça me gave. Il faut participer, j’aime ça quand il faut faire. Tu te souviens c’est comme la Roulotte sur la place Palikao avec Guillaume. Et oui moi je te connais depuis que je suis à la maternelle.
Je veux faire un atelier sur le boulevard. Je veux que tout le monde participe . Il y a beaucoup de gens qui n’osent pas car ils pensent qu’ils sont nuls.
Tu veux le faire comment cet atelier ? Avec qui ? Tu donnes un sujet ?
Mais non ! Il faut avoir la liberté de s’exprimer en peinture !
On met des bâches, de la peinture, des pinceaux . Je veux que tout le monde s’amuse en peignant. Car le dessin on peut en faire un métier et on peut en faire un plaisir ».
La magie est là et Charlie plane au dessus du quartier quoi qu’ils en aient dit.
Le cheminement de leur pensée s’éclaircit.
Nous n’avons pas fini de discuter mais à partir de maintenant c’est avec un crayon.
Sophie Nédorézoff, en résidence au collège Colette Besson (Paris 20°)
Le 13 février 2015