En contre-point à l’article On a besoin des chef·fes???
Nostalgie dépassée ? Ce slogan soixante-huitard nous interroge cependant toujours. Car si râler contre le chef est la chose la plus commune au monde (commune mais pas Commune, car la Commune de Paris a connu des chefs, démocratiquement choisis), se passer de chef pose plus d’une question.
Si les chefs étaient d’abord des cibles commodes ?
Des collègues qui ont oublié de remplir le bulletin, qui font trop de bruit dans la salle d’à côté ? Non, mais de ceux-là, on ne peut pas se plaindre. Alors des élèves en retard, de ceux qui ne rendent pas le travail ? Ah, si, de ceux-là on peut se plaindre – et on le fait tout le temps, mais ça ne suffit pas. Il faut UN responsable, et pourquoi pas LE responsable, le chef d’établissement ? Déjà, les toilettes ne sont pas réparées, depuis un mois qu’on l’a dit…
Je caricature, mais critiquer le chef est une solution de facilité. Il en est certes beaucoup de lamentables ; j’en ai connu trois quasiment absents ou lointains, une nostalgique du temps passé (d’avant 68 pour elle), un alcoolique, un réac militant, deux très autoritaires, un hyper-actif, un vrai humaniste actif et réfléchi… un sur dix, ce n’est pas beaucoup.
Mais la critique du chef suppose de le remplacer par autre chose, et c’est du boulot. Du travail en plus, pas forcément payé : réunions (on voit venir les critiques de la réunionnite – vous connaissez un autre moyen de décider à plusieurs?), essais, erreurs, dialogue permanent et sans complaisance avec les élèves, conseil dans la classe – c’est dur mais ça marche. J’ai pu le faire à coudées franches ma dernière année d’enseignement : il faut des collègues volontaires, prêts à encaisser remarques hostiles et coups en douce, et surtout prêt à tout apprendre du travail collectif : il n’y a pas de manuel pour ça, on reste un éternel débutant, et ça aussi c’est dur quand on est supposé savoir.
Et puis quand même, s’il n’y a pas de chef, il y a souvent quelqu’un qui propose plus, qui chamboule un peu le train-train ; dans un premier temps, on trouve qu’il en fait un peu trop, et après on s’appuie trop sur lui ; animateur ou leader, peu importe le terme : pas omniscient, fiable mais surtout pas infaillible. Mais dynamique : qui a et exprime une force. Dans une organisation volontaire, il se peut qu’il soit élu, ou pas.
Mais voilà : organisation de volontaires ou, précédemment, gestion collective d’une classe. Un chef, justement, m’objectait : « mais on ne peut pas demander ça à des enseignants, ce sont des fonctionnaires, pas des militants ». N’est-ce pas pour ça qu’il « faut » des chefs ?
Le chef comme symptôme de nos manques… Banalité, vraiment ?
Jean-Pierre Fournier