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C’est parti !

« Une année de mort. Et si on parlait de l’année 2020 ? Eh bien cette année il y a eu un virus : on l’appelle le coronavirus ou le COVID 19. Il s’est propagé dans le monde et il y a eu plein de gens malades et morts : les pauvres ! Mais la plupart ont été guéris : c’est bien ! Après, il y a eu un confinement pendant trois mois. C’était long mais c’est passé. En juillet, je suis allée en vacances malgré le COVID. Heureusement que ma famille et moi nous ne l’avions pas… mais c’est l’avenir qui décidera. J’espère que ce virus disparaitra. Nous n’avons pas eu école : c’était tellement nul ! Les adultes et nous devions porter des masques. Avec la canicule, on ne pouvait plus respirer. Eh bien ! On n’oubliera jamais l’année 2020 ! Aujourd’hui, c’est la rentrée. Je suis contente parce que ma nouvelle classe est belle et ça me donne envie de lire tous les livres que la maitresse a mis dedans. »
Iliana, jour de la rentrée.

L’année scolaire avait superbement commencé. Je ne sais plus si je peux parler de « rentrée joyeuse », cette formule tôt capturée cette année par Blanquer…
Mes élèves, vingt CM2 de cette école au Nord de Paris, étaient tout enthousiastes, mettaient du cœur à l’ouvrage, s’engouffraient dans l’installation de cette nouvelle classe coopérative et… tout à coup, patatras !

Semaine 3.
Lundi, 9h. La directrice fait irruption au beau milieu du « Quoi de Neuf ? », m’isole dans le couloir : la petite Iliana manque à l’appel car son père a reçu un résultat de test positif au COVID dans le week-end, sa mère est malade et toute la famille se fait tester.

Sidération.

Je suis dans le couloir, les élèves m’attendent, seuls, dans la salle de classe. « Pour le moment, on ne fait rien, on ne prévient personne, on attend. Mais, toi, si j’ai un conseil, pense à toi et protège-toi. » (paroles de directrice)
Ce jour-là, je resterai à l’école, auprès des élèves et de nos projets encore si fragiles mais tellement plein d’espoirs et de vie, la journée entière, comme si de rien n’était pour les enfants.

Cogitations.

Si le résultat du papa est arrivé ce week-end, c’est qu’il a été passé la semaine dernière. Le virus a pu circuler dans la classe, tout au long de cette deuxième semaine. Et dans la cour ? Et dans la salle des maitre.sse.s ? Et quand nous sommes allés à la piscine mercredi avec les autres CM2 ? Et à la cantine où les élèves sont à touche-touche au libre service ? Et quand je corrige la pile complète des cahiers de la classe ? Le papier ne se désinfecte pas… Ce soir-là, par « chance », j’ai mon rendez-vous de contrôle. Écoutant mon récit de la situation, l’oncologue grimpe aux rideaux ; je ressors de là avec un arrêt de travail d’une semaine pour commencer, au cas où. Et pourtant, j’ai résisté à cette idée…

  • Au cas où la mise en quatorzaine immédiate de la classe ne serait pas ordonnée.
  • Au cas où je n’obtiendrais pas de suite une autorisation spéciale d’absence.
  • Au cas où les résultats de mon test tardaient à arriver.
  • RER, tempête sous mon crâne…
    Demain, je ne vais pas à l’école. Et pourtant j’ai des cahiers d’élèves avec moi ; à corriger. Demain, les collectes de notre sortie libre nous attendront sur le tableau. Demain, les élèves seront orphelins de mes promesses d’émancipation.

Colère, désarroi, déception.
En rentrant, au téléphone, je demande à la directrice de l’école de renvoyer au maximum mes élèves chez eux le lendemain matin. Il est 21 heures. J’insiste : ne faut-il pas prévenir les familles ? On va créer un cluster. Pour la première fois de ma vie d’instite, parfois malade, parfois maman, je croise les doigts pour qu’aucun.e remplaçant.e ne soit disponible pour la classe le lendemain. J’écris à l’IEN ; mon inquiétude. Je ne dors pas beaucoup. La nuit me taraude. Symptômes ? Pas symptômes ? Je ne sais plus, mon corps ne sait plus. En juillet, j’étais sur la liste des personnes vulnérables. Juste avant septembre, nous sommes très nombreux à en être sortis. C’est quoi les symptômes, déjà ? Un traitement me donne régulièrement des bouffées de chaleur…
Et si là c’était la fièvre ? Je suis sujette aux angines, surtout quand le désarroi me gagne… Et si là c’était LE symptôme ?

Mardi, 6h15. C’est l’heure. Je me lève quand même, même si je ne vais pas à l’école.
Je trouve un mail réponse de l’IEN : en attendant le retour du test de l’élève, RAS ; des masques de type ffp2 sont disponibles dans son bureau, il faut venir les chercher munie d’un certificat médical ; elle me redonne la liste des personnes vulnérables, que je connais tristement par cœur…

Allez travailler !
Je m’en fiche, je ne vais pas à l’école ; moi, je vais me faire tester. Durant les trois heures passées à attendre devant la mairie pour me faire tester, j’agite tout : la cellule médicale du rectorat (poil dans la main), l’ARS (c’est la directrice qui doit prévenir et pas moi), la directrice (elle ne sait plus où donner de la tête). On finit par apprendre que le test de l’élève de ma classe est positif. La directrice met immédiatement en branle le protocole mais… on nous dit qu’on doit attendre la décision de l’ARS validée par le rectorat pour décider ou non de confiner la classe… plusieurs jours…
Quant à moi, je finis par passer le test et déclarer que j’ai des symptômes pour tenter d’accélérer l’arrivée du résultat (délai prévu : sept jours!!).
A côté, une petite fille d’une autre école du quartier pleure de douleur devant le test. Les élèves sont nombreux ce matin-là. Les enseignants de cette école sont venus aussi. Une longue file d’attente ne désemplit jamais. Trois cents à quatre cents personnes attendent, en permanence, à longueur de journée.

En attendant…

La directrice appelle les familles et conseille de garder les enfants à la maison car… « nous n’avons aucun remplaçant disponible pour demain. »
14h (je l’avais prédit, la journée sera longue!). J’écris à nouveau à l’IEN : je demande à passer en autorisation spéciale d’absence (et non en arrêt maladie) et à avoir un ordinateur pour télétravailler.
Ce soir, il est bientôt 21 heures et j’attends toujours la réponse. Je suis restée à la maison, une journée de plus. Avec ma fille, qui faisait pourtant son entrée en 6ème : le principal, catégorique quant à lui, n’en veut plus au collège tant que je fournis pas un test négatif.

Ce matin, deuxième jour reconfinée, un peu avant 9 heures, j’ai pris sur moi d’écrire à mes élèves, pour leur dire que notre classe de CM2 et l’aventure coopérative était toujours bien là, quoiqu’il arrive dans les jours à venir.

Ce petit texte d’Iliana tourne en boucle dans ma tête.
C’est le gros gros bronx. On ne sait pas ce qu’on doit faire. Attendre la décision de l’ARS pour fermer la classe ? Mais l’ARS est déjà saturée et ne répond pas avant au mieux plusieurs jours. En attendant, le virus circule sans doute dans l’école, des enfants restent chez eux, privés à nouveau ; d’autres errent dans les classes des collègues, qui craignent de voir s’étendre la contamination.

Ce petit texte d’Iliana tourne en boucle dans ma tête.
Pour le moment, officiellement, je ne suis même pas en enseignement à distance. Puis-je prendre contact avec les élèves ? Je le fais quand même. Message d’espoir. Je donne un peu de travail : texte libre, création mathématique ; et le compte-rendu de notre premier atelier psycho-Lévine.

Ce petit texte d’Iliana tourne en boucle dans ma tête.
La directrice dit que c’est sûr, la classe va fermer, mais elle ne sait pas quand. En attendant, elle demande un remplaçant. Pourvu qu’il n’arrive pas. Les collègues remplissent le RSST, se préparent à exercer leur droit d’alerte.
Et les élèves dans tout ça ? On fait quoi ?
Ce soir on prend la décision de dire la vérité aux familles, sans attendre l’ARS, et de leur demander de rester à la maison.

Soulagement.

Demain, j’écrirai à nouveau à la classe (j’ai déjà reçu quatre nouveaux textes libres), je ferai de mon mieux pour inventer avec rien, mon ordi perso pourri. Mais je ferai de mon mieux pour enchanter ce mauvais passage et construire pour elleux, avec les élèves.

Une instite du Nord de Paris, Louise Thierry,
Mercredi 16 septembre.

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