« Au total, les jeunes gens […] sont les produits du système scolaire dans ce qu’il a de plus typique : une maîtrise partielle de la langue, une tendance aux clichés, une culture nulle – l’ère du vide dont parlait jadis Gilles Lipovetski, et dont il m’est déjà arrivé de faire le tour – à laquelle le Coran s’est substitué. »
C’est du lourd, c’est du glauque, c’est du sordide, c’est du Brighelli, dans sa dernière tribune au Point, un hebdomadaire qui s’est fait une spécialité d’accueillir ce genre de prose : on ne pense pas, on n’argumente pas, on aligne des phrases, toujours les mêmes, avec ce qu’il faut de citations et de références savantes quand elles viennent en réalité du caniveau.
Pour Brighelli – qui termine sa carrière d’enseignant comme délégué national d’un micro-parti identitaire – tout est simple, tout est limpide : le terroristes ayant à un moment donné de leur existence, fréquenté l’école, cette dernière est donc responsable du terrorisme. Poussons l’argumentaire : les chauffards ont fréquenté l’école, l’école est également coupable de l’hécatombe routière, comme elle l’est de l’alcoolisme, les alcooliques ayant aussi été écoliers, comme elle l’est de la délinquance sexuelle et de tous les maux de la société. Treize millions d’élèves, autant de délinquants en puissance, autant de terroristes en puissance. Et tout cela, par la faute d’un infâme complot « pédagogiste » dont l’entreprise de destruction du savoir (de la méthode syllabique et de chronologie des rois de France) a trouvé son aboutissement l’autre soir au Bataclan.
Comme un pendant au discours sécuritaire de Hollande, Brighelli avance sa solution, destinée à en finir avec le terrorisme : « Nous devons impérativement remettre sur pied la transmission de la culture française et européenne, au lieu de nous perdre dans des arguties idiotes. Nous devons à nouveau exalter l’histoire nationale. Dire d’où nous venons. » Culture française, histoire nationale car à ses yeux, tout se ramène à ces fameuses racines que des décennies de cosmopolitisme éhonté, d’immigration effrénée auraient fait perdre à ce vieux peuple gaulois. Depuis « La Fabrique du crétin », succès de kiosque de gare en 2005, le mauvais élève s’est juste un peu basané : aujourd’hui, le crétin c’est l’arabe et l’arabe, le terroriste. A chacun sa philosophie de l’histoire et les conceptions éducatives qui vont avec, leur auteur ayant déjà eu l’occasion d’affirmer qu’il « adhérait à 80 % du programme du FN sur l’école ». On se demande toujours où sont les 20 % restants.
Outrance verbale, parole qui tourne à vide, incapacité maladive à analyser, connaissance superficielle voire inexistante de son sujet (par exemple lorsqu’il évoque l’enseignement de l’histoire), Brighelli pourra faire rire ou consterner. C’est selon. Plus problématique, néanmoins, le fait que cette idéologie qu’il revendique sans fard et les représentations qu’elle véhicule soient déjà largement partagées dans une partie de l’opinion. Au sein même de l’école ? Difficile à affirmer, même s’il faut rappeler que Brighelli s’était vu remettre la légion d’honneur par Darcos en personne (2009), pour son engagement aux côtés de Sarkozy. Mais au-delà ce cet épisode, resté dans les annales du carriérisme, il faudrait s’aveugler pour ne pas voir que cette tribune au Point, par son contenu comme par sa tonalité, a déjà largement débordé de son milieu d’origine. Sans même remonter à cette tirade homérique d’un parlementaire UMP (2012), Nicolas Dhuicq, qui voyait dans l’enseignement de l’histoire à l’école … et dans l’homosexualité la source du terrorisme, tout près de nous, un récent rapport sénatorial, conçu dans des circonstances extravagantes après les attentats de janvier, ne dit finalement guère autre chose que Brighelli, avec la même mauvaise foi, la même ignorance des questions éducatives et les mêmes fantasmes sur une école qui aurait eu le tort de s’ouvrir à son temps… et aux kalachnikovs.
Quelques jours après les attentats, entre un gouvernement qui a perdu tous ses repères et une opinion publique manipulée par des tribunes hystériques, l’école est une nouvelle fois prise pour cible.