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Au brevet, l’éducation morale et civique des collégiens évaluée par l’armée

Aujourd’hui, pour la session 2017 du DNB, l’éducation morale et civique de quelque 800 000 collégiens est évaluée par l’armée (avec l’aimable participation de l’iFRAP, (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques qui défend, entre autre, la suppression du SMIC (1)). Vous avez dit moral et civique ?

EMC = éducation morale et civique. Il s’agit d’une des matières officielles de l’Education, couvrant l’ensemble de la scolarité, faisant l’objet de programmes officiels et d’une épreuve écrite obligatoire dans le cadre du DNB (diplôme national du brevet). Aujourd’hui, pour la session 2017, l’éducation morale et civique de quelque 800 000 collégiens est évaluée conjointement par l’iFRAP, une fondation ultralibérale et par l’armée. Vous avez dit moral et civique ?

Le document sur lequel les élèves sont censés travailler – « les grands principes de la défense nationale » – est effectivement tiré d’un article publié par la très médiatique fondation d’Agnès Verdier-Molinié, qui sera heureuse d’apprendre qu’elle a dorénavant ses entrées à l’Education nationale, dans le cadre d’un examen officiel. Précisons toutefois que les sujets d’examen étant préparés loin en amont, le présent ministre n’a probablement pas eu l’occasion de participer à leur élaboration. Même s’il n’en est probablement pas mécontent.

Le thème retenu – les grands principes de la défense – n’est malheureusement pas nouveau. Spécificité française, l’éducation à la défense est organisée conjointement par l’EN et par l’armée dans le cadre de protocoles dont le premier remonte à 1982, complétés et renforcés jusqu’au dernier en date (20/05/2016) signé par NVB et Le Drian (1). La philosophie en est simple et forte : l’éducation à la défense « vise à faire comprendre [aux élèves] que les militaires servent la Nation […]. Pour remplir pleinement ces missions, les militaires ont besoin du soutien de l’ensemble de la Nation. » Et pour remplir ces missions, tous les moyens sont bons, y compris le bourrage de crâne et la manipulation malhonnête comme c’est le cas avec la présente épreuve : le document ne porte pas sur l’implication de l’armée française dans le génocide du Rwanda ni sur les agressions sexuelles à laquelle se livrent certains militaires dans le cadre de leurs missions, mais, plus honorablement, sur la mobilisation d’une dizaine de camions militaires réquisitionnés dans le Loiret contre les inondations du printemps 2016.

Pas de quoi choquer de jeunes esprits… et encore moins leur faire appréhender d’un regard critique la dernière question à laquelle ils ont à répondre : « Montrez en quelques lignes que l’armée française est au service des valeurs de la république et de l’UE ». Ce tour de passe-passe – de braves militaires pataugeant dans la boue au service des sinistrés du Loiret – permet de faire passer le message : les multiples interventions militaires de la France (plus d’une centaine depuis les années 90, 25 pour la seule année 2015), le plus souvent au service d’états corrompus ou d’intérêts économiques, le commerce des armes, qui entretient la guerre et dont la France est l’un des premiers contributeurs mondiaux, la bombe atomique, expression d’un terrorisme d’état, les invraisemblables dépenses militaire de la France (premier budget militaire en Europe après la Russie), la légitimité d la violence dans la résolution des conflits etc, tout cela ne doit faire l’objet d’aucune interrogation de la part des élèves : « l’armée est au service de la nation », puisque c’est ce qu’on leur répète tout au long de leur formation « morale et civique ». Le protocole armée-école ne prend même pas la peine de dissimuler son objectif fondamental : « permettre aux élèves de percevoir concrètement les intérêts vitaux ou nécessités stratégiques de la nation, à travers la présence ou les interventions militaires qu’ils justifient. » Autrement dit, en France, dans le cadre de leur formation « morale et civique », les élèves sont censés apprendre à l’école que, quoiqu’il décide en la matière, le gouvernement a toujours raison : les interventions militaires sont « justifiées », même les plus criminelles, même lorsqu’elles sont motivées – c’est le cas de la plupart d’entre elles – par la défense des intérêts des industriels de l’armement.

Formation du jugement, de l’esprit critique, liberté de conscience ? Ces valeurs dont on abreuve les élèves tout au long de leur scolarité – à condition qu’ils se contentent de les réciter par cœur – s’arrêtent à la porte des salles de classes, pendant les cours d’EMC. Et même si l’EN n’a pas la possibilité matérielle de savoir ce qui se passe réellement dans les salles en question, cette épreuve du DNB permet de contourner la difficulté, comme le reconnaissait Florence Robine, directrice générale de l’enseignement scolaire sous le précédent gouvernement : déplorant de ne pouvoir « contrôler systématiquement l’acquisition des connaissances », elle pouvait s’en consoler en ajoutant « même si nous pouvons faire en sorte que des sujets liés à la défense soient régulièrement posés aux examens. » Effectivement.

L’éducation à la défense a de multiples implications qui traversent toute la scolarité des élèves (2). Reste cette question : pourquoi, depuis 35 ans que l’éducation à la défense gangrène l’éducation civique, que cet enseignement relève d’un absolu manque de respect pour la liberté de conscience et les valeurs légitimes de chacun, pourquoi, donc, les enseignants, les parents, leurs organisations représentatives, les mouvements éducatifs n’ont-ils jamais contesté cette dérive ?

(1) Le programme de cet institut promeut :
– La réforme de la fonction publique : réduction des effectifs de la fonction publique, réserver le statut des fonctionnaires aux missions régaliennes,
– La réforme de la fiscalité : pour favoriser le financement des nouvelles entreprises, suppression de l’impôt sur les grandes fortunes,
– La réforme du marché du travail : ouverture des magasins le dimanche, des allocations des chômeurs dégressives pour ne pas rendre la situation de recherche d’emploi plus attractive que le salariat, suppression du Salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC).

Le fondateur de l’Ifrap, Bernard Zimern, est par ailleurs l’auteur de La Dictature des syndicats : FO, CGT, SUD… nos nouveaux maîtres, Albin Michel, 2003

En 2011, Franck Ramus, directeur de recherche au CNRS indique sur son blog : « aucun des “chercheurs” de l’IFRAP examinés ci-dessus n’a jamais publié le moindre article dans une revue internationale d’économie […] j’hésiterais à dire que l’IFRAP est un institut de recherche, et que ses membres sont des chercheurs au sens usuel du terme. Lobbyistes serait sans doute un terme plus juste. Notez qu’il n’est pas honteux d’être lobbyiste. En revanche il est plus discutable de le dissimuler derrière une étiquette fallacieuse de “chercheur”, et de faire passer ses opinions pour des connaissances scientifiquement établies ».

Source Wikipedia

(2) https://blogs.mediapart.fr/b-girard/blog/101016/education-nationale-defense-nationale-les-liaisons-dangereuses

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