Le pape « progressiste » François s’en est pris ce dimanche aux manuels scolaires français. Sur la foi des propos d’un parent d’élève qu’il aurait rencontré, il accuse ceux-ci de propager un “sournois endoctrinement de la théorie du genre”, cette abomination « contre les choses naturelles », et ce faisant de mener rien de moins qu’une véritable « colonisation idéologique ».
Le caractère incongru de cette attaque surprise (mais la veille, en Géorgie, le pape s’en était déjà pris à la prétendue « théorie du genre » comme un des éléments d’une « guerre mondiale pour détruire le mariage ») ne doit pas faire oublier cependant qu’il est dans la droite ligne de la position de l’église catholique. Et ceux qui, la ministre de l’Education nationale en tête, pensent que le pape s’est laissé « entraîner », voire « embarquer par des intégristes », font fausse route.
C’est depuis plusieurs années en effet que des organisations catholiques mènent campagne contre ce qu’ils appellent abusivement la « théorie du genre », c’est-à-dire l’utilisation par les sciences sociales du concept de genre pour rendre compte des différences non biologiques entre les hommes et les femmes, autrement dit entre les rôles masculin et féminin.
En 2011, avant même l’arrivée de la gauche au pouvoir, le Conseil pontifical pour la famille avait pris position avec un opuscule, Gender, la controverse, préfacé par le prêtre, psychothérapeute et « consulteur » du Vatican Toni Anatrella, refusant toute valeur scientifique au « genre » et dénonçant sa présence dans des manuels scolaires.
La même année, 80 députés UMP avaient adressé au ministre Luc Chatel une lettre demandant de « retirer des lycées les manuels [de Sciences de la vie et de la terre des classes de première] qui présentent cette théorie » au motif que « Selon cette théorie, les personnes ne sont plus définies comme hommes et femmes mais comme pratiquants de certaines formes de sexualités ».
Deux ans plus tard, en avril 2013, le cardinal André Vingt-Trois dénonce devant l’assemblée des évêques de France « l’invasion organisée et militante de la théorie du genre particulièrement dans le secteur éducatif ».
Parallèlement, après l’adoption de la loi sur le mariage pour tous, les militants de la Manif pour tous, en particulier leurs franges radicales, avec l’aide de l’UNI, réorientent leur action : affirmant que « Le vrai but du mariage homosexuel est d’imposer la théorie du genre », ils mettent en place en juillet 2013 leur « saison 2 », c’est-à-dire la constitution de « comités de vigilance » chargés de veiller dès la rentrée scolaire aux messages véhiculés dans les écoles et les crèches.
Et en janvier 2014, les « journées de retrait de l’école » initiées par Farida Belghoul apparaissent comme une récupération de ce mouvement pérenne par les extrêmes droites, notamment « soralienne », ce qui permet d’y amener nombre de musulman-e-s abusés par une campagne délirante de SMS.
La déclaration du pape, si elle peut paraître abrupte, est donc loin d’être une surprise. Elle s’inscrit dans une campagne orchestrée de longue date. Et il faudra une certaine dose de naïveté pour ne pas faire le lien avec l’organisation, le 16 octobre prochain, par la Manif pour tous réactivée, d’une « grande manifestation » parisienne contre « les atteintes à la liberté éducative et la politique familiale ».
Comme quoi il n’y a pas que les salafistes et autres intégristes musulmans qui prétendent imposer leur loi à l’école laïque. Il n’est même pas sûr, vu le rapport des forces, qu’ils soient sur ce terrain les plus dangereux…
Alain Chevarin
Y’a quelqu’un qui m’a dit…
Tout à fait d’accord : la croisade du haut clergé catholique contre la pseudo théorie du genre n’est ni nouvelle ni anodine, mais…
Dans ses derniers propos, le pape argumente à partir du témoignage d’un père de famille horrifié par le voeu de son fils de devenir une fille. Rien ne dit qu’il aurait été horrifié si sa fille avait émis le voeu de devenir un garçon, mais l’essentiel n’est pas là. Ce qui est choquant, c’est le type d’argument utilisé : ni abduction, ni déduction, mais induction, c’est-à-dire énonciation d’une généralité, d’une loi générale, à partir de quelques cas concrets. L’induction a d’autant moins de chances d’être acceptable que les cas sont au départ peu nombreux. Et ici, il y a un cas. Intellectuellement, c’est la pire situation pour espérer mettre en place un raisonnement cohérent. La fragilité de ce type de raisonnement est illustrée par l’histoire cocasse (désolé : j’ai oublié l’origine exacte de l’histoire) de l’explorateur qui, ayant aperçu une femme noire sur la plage de telle ou telle île, en avait conclu que toutes les femmes de l’île étaient noires…
Seule méthode pour valider une loi générale à partir d’un raisonnement par induction : partir d’un nombre significatif de cas concrets, et surtout valider la loi générale définie par l’expérimentation. Il aurait donc suffi au pape de lire les manuels scolaires pour éviter de se ridiculiser.
Plus grave encore, et on touche à la notion de bonne ou mauvaise foi (avec ou sans jeu de mot !) du pape : il part d’un cas rapporté par un ami. Où est l’objectivité dans cette situation ? Et si le père en question avait déformé les propos de l’enfant, et si le pape avait déformé les propos du père, et si le garçon avait lui, contrairement à d’autres dans cette histoire, le sens de l’humour et avait fait un bon mot pour éluder cette sempiternelle et stupide question sur les projets professionnels. Autrement dit, le “cas” existe-t-il ? Peut-être pas. Le pape se ridiculise alors en endossant les habits de tant de hauts religieux et pseudo philosophes qui, selon Fontenelle (Histoire des oracles, 1687), ont argumenté et se sont entre-déchirés à propos d’une dent d’or qui aurait poussé à un enfant, quand il ne s’agissait en fait que d’une supercherie…